L’ubérisation, les solutions pour lutter contre la livraison d’une société à un individualisme démesuré
L’ubérisation est un terme largement popularisé en France par les contestations contre l’entreprise Uber Pop en 2015 dont le modèle a complètement changé la société avant de s’étendre insidieusement à d’autres aspects de la vie. Au départ perçu comme une réponse au chômage, il semble pourtant véhiculer des implications néfastes qu’il convient de comprendre afin d’y répondre.
L’ubérisation c’est : commander à travers une application un véhicule pour un horaire et un tarif définit qui nous livrera à travers un choix d’une centaine de restaurant, tout ça dans un appartement loué sur Airbnb devant une série Netflix qu’on « loue » également tout en écoutant de la musique qui ne nous appartient pas non plus sur Spotify.
« Tout le monde a peur de se faire ubériser », exprime l’auteur Maurice Levy, connu pour avoir donné le nom d’ubérisation, à ce phénomène économique nouveau aussi nommé « plateformisation de l’économie », qui a progressivement changé toute l’économie mondiale. L’ubérisation, c’est simplement convertir tous les services au numérique, par le biais de plateformes (Amazon, Uber eat, Netflix, etc.) dans le but d’offrir un monde encore plus moderne et « connecté ». Cependant il semblerait, à la surprise générale, que cet objectif soit une illusion et que ce modèle soit en réalité l’aboutissement d’une volonté de société ultra libérale. Ce qui créerait une société où l’individualisme serait extrêmement fort et provoquerait la destruction progressive du lien et de la cohésion sociale chez les travailleurs comme chez les consommateurs. Face à ce constat de nombreuses solutions sont envisageables pour lutter contre l’individualisme et construire une société à la cohésion sociale forte.
Une lutte contre les conséquences de l’ubérisation
L’ubérisation semble être un leurre faisant miroiter aux travailleurs le statut d’auto entrepreneur mais qui en contrepartie leur retire tous leurs droits sociaux. Les entreprises ubérisées mettent en place consciemment ou inconsciemment un modèle de travail qui ne crée pas de sentiment d’appartenance à un même groupe social chez les chauffeurs-livreurs et limite au maximum le lien social. Les travailleurs se retrouvent donc isolés par leur statut de non salarié et par la déprofessionnalisation. En effet la non considération de ce travail à la tache comme un « réel » métier et l’absence de qualification ne permet pas la formation d’une conscience collective des travailleurs. Ce qui aboutit à des conflits sociaux, un individualisme fort, une perte de sens et une grande précarité qu’avait prédits le sociologue Emile Durkheim 125 ans plus tôt.
Selon le journaliste et auteur Gurvan Kristanadjaja « toutes ces entreprises nous ont rendu accros ». En effet tous ces usages sont parfaitement optimisés, intuitifs et addictifs. Cette recherche évolue car ces services simplifient la vie : « La psychologie humaine cherche toujours à se tourner vers la facilité et le bien être à court terme », rappelle Kristanadjaja dans son livre Ubérisation piège à con. Le problème c’est qu’il y a un revers de la médaille et il n’est pas doré. Tous ces comportements de consommation incitent à rester chez soi, se détacher de la vie en société et brisent peu à peu le lien social avec les environnements. Poussé à l’extrême, l’ubérisation permet même de pouvoir vivre sans sortir de chez soi, puisqu’elle répond à absolument tous les besoins (que ce soit le divertissement avec Netflix, le travail avec Zoom, la santé avec doctolib ou la livraison de ses courses avec Flink). Il semble donc nécessaire de lutter contre l’individualisme croissant renforcé par ce phénomène, en particulier dans une société où il est urgent de tendre vers une cohésion forte, pour affronter une multitude de problématiques. L’ingénieur et économiste Madiou Diallo dit à ce sujet : « L’individualisme est une conséquence du choix d’une société qui se veut consommatrice par vocation. » L’ubérisation est de fait à la fois une cause et une conséquence de l’individualisme, qu’il est nécessaire de combattre.
“Le Mac Donald’s de la rue de Béthune, un des fast food les plus concernés par la livraison à domicile à Lille” – Par Clara Huon
La cohésion sociale et la lutte contre l’individualisme comme solution
Pour les travailleurs il est essentiel qu’ils puissent se réunir, s’unifier pour faire valoir leurs droits. Les solutions se trouvent dans des associations comme « coop cycle » qui lutte contre l’exploitation des livreurs et souhaitent créer un vrai sentiment d’appartenance ainsi qu’une union des livreurs. Ils mettent en place des locaux où les livreurs peuvent échanger et leur apportent de l’aide afin d’améliorer leurs conditions de vie et de travail. Cependant la part la plus importante reste celle de l’Etat qui doit mettre en place des solutions pour améliorer la vie des travailleurs qui subissent l’ubérisation. Il doit lutter contre ces entreprises puissantes qui transgressent les lois et incarner un contrepouvoir. Ce qui permettrait de déjouer les mécaniques de l’ubérisation et d’au moins tirer profit au maximum, uniquement des aspects positifs de ce phénomène, qui sont tout de même existants.
Pour les consommateurs qui sont en réalité tout le centre du phénomène, il s’agit de repenser sa consommation sur de nombreux points. Se rendre au cinéma, sortir au restaurant lorsqu’on en a sincèrement envie et ne pas se replier vers des applications par pur réflexe consumériste, mais faire preuve d’une consommation intelligente en privilégiant le rapport humain. La part la plus importante reste encore une fois celle de l’Etat, qui doit mettre en place des solutions pour améliorer la compréhension de ce phénomène et éduquer les jeunes, qui sont en particulier touchés, en leur expliquant les dangers de l’ubérisation. Tout cela pour permettre d’aller vers une société plus coopérative en conservant la cohésion sociale et en évitant un libéralisme débridé entraînant un individualisme néfaste.
Par Romàn Carlier Del Rio
L'uberisation : Le point de vue de Denis Jacquet
Par Sofiane Descamps
Coup d’œil sur Amazon, le patron de l’ubérisation
119 928 851 c’est le nombre de produits que l’on peut trouver sur Amazon en avril 2019. Technologie, électronique, livres, produits du quotidien, consommables, improbabilités, difficile de trouver quelque chose que le géant américain ne propose pas sur le marché.
PRESQUE 30 ANS
C’est le 5 juillet 1994, à Bellevue dans l’état de Washington au Etats-Unis qu’est officiellement fondé le projet « Amazon » de Jeff Bezos. L’idée ? Lancer une librairie en ligne au plus gros de la rué vers l’or d’internet. Presque trente ans plus tard, le géant Américain a évolué de telle sorte qu’on le retrouve dans toutes les sphères de nos vies, tant et si bien qu’il remodèle la manière de consommer de nombreux utilisateurs et crée petit à petit une véritable dépendance chez les consommateurs.
VOUS AVEZ DIT « LIBRAIRIE » ?
Si le projet d’origine (déjà ambitieux) était une idée simple, on ne compte plus l’essor d’Amazon dans toutes les sphères de production et de consommation du monde. Pour ne parler que des plus gros succès qui sont venus défier la concurrence, le service de streaming Prime Video est lancé le 14 décembre 2016 tandis que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, Amazon Music a lancé sa version bêta il y a déjà 15 ans. Quand on se penche sur son étalement, la firme ne semble manquer à l’appel sur aucun plan.
TELLEMENT PRATIQUE, MEME SANS ETHIQUE
Rythme de travail infernal, heures supplémentaires souvent non payées, pression constante, emplois précaires, maltraitance salariale ; en moyenne un employé ne tient par plus de trois mois dans l’entreprise. A côté de ça, Amazon est aussi accusé d’être néfaste et destructeur pour les petites entreprises de ventes avec ses prix qui défient souvent toute concurrence.
En 2021, c’est 152 millions de personnes par mois qui se rendent sur le site de vente en France. Prisé pour sa praticité et son efficacité, le géant a la main mise sur le marché et agit sans pitié.
Avec Amazon, la question qui semble toujours en suspens est la suivante : qu’est-ce qui est à suivre ?
Par Mahaut Lafont-Baldauf