Lilia Jarasi, étudiante en Sciences Politiques à l’Université de Lille, est bénévole au laboratoire de photographie argentique du cinéma associatif l’Univers, situé à Moulins. Ce dernier accueillera son exposition HYSTERIQUES du 8 au 21 mai prochain. Elle servira à exprimer une colère suscitée par l’injustice qu’est le manque de considération envers la parole féministe dans notre société, dominée par le patriarcat.
Lorsqu’on lui a proposé d’investir la salle d’exposition du cinéma l’Univers, qui n’était pas exploitée, Lillia a commencé à mener une réflexion sur le thème, mais également sur le message qu’elle souhaitait faire passer. Quelques jours plus tard, à la lecture d’un texte du philosophe et théoricien politique Jean Bodin, dont un extrait qui portait sur la soumission de la femme à l’homme, elle a eu l’idée du thème : la colère féministe. Elle s’est donnée pour objectif de recueillir le vécu de « toute personne faisant partie d’une minorité de genre, qui s’identifie à la cause, qui considère vivre ou avoir vécu toute cette domination masculine, toute cette société, sexiste et patriarcale, […] issue de tout âge, toute origine sociale, tout vécu ». Pendant ces entretiens, elle s’est rendu compte que tous.tes les participant.e.s avaient été confrontées à des Violences Sexistes et Sexuelles. Même si quelques participant.e.s n’avaient pas été directement victimes de ces VSS, ces dernièr.e.s en avaient tout de même été témoins, ou connaissaient un.e proche qui avait subi ces violences.
Lilia, fondatrice de l’exposition Hystériques © Anouk Joubès
Une exposition qui repose sur des témoignages…
Chaque témoignage est unique, cependant, tous sont une source d’apprentissage pour la photographe. Elle prend comme exemple des témoignages de personnes féministes issues de précédentes générations, qui lui ont permis de renforcer ses connaissances sur l’histoire des luttes pour les droits des femmes, mais également de se confronter parfois à une autre vision du féminisme que la sienne. Après chaque entretien, qui parfois dure plusieurs heures, elle se « charge de capturer avec [son] appareil photo l’émotion » de la (ou des) personne(s) interviewée(s) dans un lieu que les participant.e.s choisissent. Pour l’instant, elle a réalisé une centaine d’entretiens et cherche à recueillir environ le même nombre d’autres témoignages.
…pour illustrer la colère féministe
Cette exposition portera sur la colère, féministe principalement, qui n’est non « pas dirigée envers les hommes, mais envers les diktats de la société » patriarcale. Lilia désire également faire comprendre aux spectateurs la légitimité de cette colère. Elle a choisi de centrer son exposition sur cette émotion car elle estime que la colère est sujet tabou, un sujet qu’on a rendu tabou ».
La photographe cherche à montrer que les nombreux.ses participant.e.s sont à l’aise avec le fait de ressentir et d’exprimer cette colère envers l’oppression patriarcale dont iels sont victimes. Iels désirent donc s’approprier cette émotion associée à la masculinité afin de faire changer les choses : par exemple ne plus se faire injustement qualifier « d’hystériques », terme discriminant et employé à tort et à travers par les opposant.e.s à la cause féministe, obtenir des droits tels que l’égalité salariale entre les genres ou encore libérer entièrement la parole féministe afin qu’elle soit enfin écoutée.
Lilia Jarasi
Elle proposera au public une immersion auditive, avec le son d’ambiance qui sera une compilation de témoignages, discussions et lectures de textes par les participantes qu’elle aura enregistré lors des entretiens. L’immersion sera également visuelle, avec les nombreuses photos des participantes affichées au mur. Lilia souhaite donc, à l’aide de cet environnement immersif, déstigmatiser la colère, mais aussi faire passer un message « Écoutez-nous, et comprenez-nous ».
Lilia a déjà des idées pour une seconde exposition. La photographe a le projet d’en organiser une autour des émotions que peuvent ressentir les hommes, puisque « les normes de la société patriarcale leur impose de garder leurs émotions pour eux ».
Clémence Gellis
Édito
Je veux que tu perçoive notre souffrance
Parler et être écouté. Deux mots qui vont de pair et pourtant se dissocient constamment. Une femme, victime de VSS, cherche à porter plainte. En face, un policier, un gendarme, peu importe, quelqu’un qui devrait écouter mais qui n’écoute pas. Manque de temps, de moyens ou simplement un système, comme une épine dans l’épiderme impossible à déloger.
Selon l’Observatoire des violences faites aux femmes, en 2018, ce sont 18 800 plaintes pour crimes ou délits sexuels qui sont déposées (dont 88% de femmes). Que deviennent-elles après ? Car seulement 1028 condamnations en découlent. Les femmes parlent, témoignent, essaient de mettre des mots sur ce qu’elles ont subi et puis quoi ?
Une femme sur deux a déjà subi une violence sexuelle en France. Une sur deux… Il est terrible de regarder autour de soi et de réaliser que nos sœurs, mères, grand-mères, filles, cousines, amies, collègues, patronnes, professeures, médecins, ont peut-être, ou sûrement, été victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle au moins une fois. Peut-être ont-elles parlé, à une proche ou un policier, ou peut-être se sont-elles tues, muettes face à un système où leur parole, cet outil pouvant prendre une partie de leur souffrance, n’est pas écoutée. Entendue, peut-être, écoutée, non.
Entendre (selon le Larousse) : Percevoir par l’ouïe
Écouter (selon le Larousse) : Être attentif à un bruit, à un son, à de la musique, etc., les entendre volontairement.
Non je ne veux pas que tu m’entendes, que tu entendes mes sœurs. Je ne veux pas que tu nous perçoives, que tu perçoives notre souffrance. Je veux, nous voulons, que tu y sois attentif. Et toi aussi. Et toi aussi. Et vous aussi, vous tous. Toi à qui elles devraient pouvoir s’ouvrir, toi qui devrais les écouter. La souffrance devient colère, grondant, prête à exploser. Qu’elle explose. Peut-être alors écouteront-ils.
Anouk Joubès
Pour aller plus loin…
Anouk Gonet