Le choix du squat, entre vie alternative et engagement
Il y a trente ans, Fabrice* a entièrement rénové de sa poche et de ses mains un local abandonné dans Paris intra muros et a décidé de l’occuper. Aujourd’hui, sa fille Charlotte*, a repris le lieu et a accepté de livrer son témoignage au Châtillon, avec l’appui d’Antoine*, également occupant du squat.
C’est un choix politique d’une différente forme d’occupation et d’habitation d’un lieu”
Cette forme de vie alternative s’inscrit dans une revendication contre la propriété privée, et non en raison d’une situation de précarité. Cette démarche est en réalité un refus de l’accès à l’immobilier par la propriété face au grand nombre de logements vacants en France, particulièrement en métropole. A travers la vie en squat, Antoine* et Charlotte* s’opposent également à la monopolisation du marché de l’immobilier par des rentiers propriétaires d’immeubles qui puisent leurs richesses via la location d’appartements aux étudiants et aux plus précaires.
Pour eux, cette revendication politique est également appuyée par le fait que le lieu ait été entièrement rénové par Fabrice*, le père de Charlotte*, sans aucune aide financière ou matérielle de la mairie de Paris, propriétaire du local. “Il y aurait une certaine forme d’injustice à ce que l’on paye un loyer à la ville”, rapporte Charlotte*, vivant dans ce squat depuis son enfance, et qui insiste sur le fait que la mairie laisse le lieu à l’abandon depuis une trentaine d’années.
L’égalité et la tolérance comme mots d’ordre
“Ces lieux sont des alternatives à la société capitaliste qui nous est imposée, c’est important que ce soit des lieux qui tiennent.” Dans leur squat, Antoine* et Charlotte* proposent une différente façon de concevoir la société basée sur l’égalité totale, mais également placée sous l’égide d’une grande ouverture d’esprit. L’objectif est de rejeter au maximum les différentes formes d’oppressions (racisme, sexisme, homophobie…), pour pouvoir accueillir des personnes dans un lieu où elles peuvent s’émanciper de la domination de ces principes oppressants, ainsi chacun est libre d’être la personne qu’il souhaite, sans faire face à un quelconque jugement ou harcèlement. Dans ce lieu, on suggère de coexister et non de cohabiter.
“On se défendra”
Même si le local est abandonné depuis plus de trente ans, Antoine* et Charlotte* ne sont pas à l’abri de l’expulsion. En effet, il y a quelques années, la mairie de Paris a décidé d’imposer un loyer au bâtiment, que les occupants ont décidé de ne pas payer en raison de leurs revendications politiques. Néanmoins, les dettes s’accumulent et la ville peut envisager de saisir le lieu, malgré l’existence d’un bail d’occupation.
“On va d’abord envisager une défense médiatique”, effectivement, ce squat est également un lieu culturel. On y propose l’art d’une différente manière que dans les musées, parfois perçus comme élitistes et difficiles d’accès pour les plus précaires. Ici, il nous est présenté de l’art et des activités artistiques gratuitement, en plein cœur de Paris.
Dans un second temps, une défense juridique sera mise en place pour faire valoir leur droit à rester sur place dans la mesure où le lieu est occupé depuis trente ans et entièrement rénové par Fabrice*. “On tiendra autant que possible face à la police”, déclare Charlotte*, dans une démarche politique contre l’Etat policier qui croît de nos jours.
Janelle Delattre
*Pour une question d’anonymat, les prénoms des personnes interviewées ont été modifiés.
LES MOTS D’UN SQUATTEUR
Eliot, pseudonyme du témoin qui souhaite rester anonyme, est un jeune squatteur au profil particulier. Il s’agit du récit de la rencontre avec une personne qui a décidé de renoncer à tous ses privilèges pour rencontrer ceux qui n’en n’ont jamais eu. Eliot est issu d’une famille aisée de classe moyenne, il n’a jamais manqué de rien. C’est suite à l’obtention de son baccalauréat qu’il choisit d’aller vivre en squat. Depuis plusieurs années, il enchaîne les squats d’habitation et les squats d’activité tout autour de l’Europe, notamment sur le territoire français.
Eliot les appelle “les exclus des exclus de la société“, toutes ces personnes qui vivent en autonomie, dans des bâtiments étatiques abandonnés, sur la base d’un système d’autogestion. 30 à 300 individus, le plus souvent marginalisés, plongés dans la vraie précarité cohabitent. Dans les “bât” se tissent des liens indélébiles, la cohésion de ces collectivités est marquante. Travailleurs.euses du sexe, sans-abri, sans-papiers, individus issus de l’immigration, femmes et jeunes filles rescapées de réseaux mafieux, enfants, personnes malades en situation de précarité, jeunes militants. Un éventail d’histoires, de cultures, de langues autour duquel se construit une communauté. Eliot en parle ainsi: “La richesse reposait dans les moments d’énorme bienveillance, je sentais une sorte de rage de vivre forte qui nous unissait, le vouloir vivre librement et dignement.”
Il y a des journées plus faciles que d’autres, les squats peuvent être des havres de paix dans lesquels s’organisent une panoplie d’activités sociales, sportives, culturelles, artistiques ou familiales. Ces mêmes “bât” se transforment parfois en théâtre d’opération où forces de l’ordre et militants s’affrontent, parfois pendant plusieurs jours. Ces périodes de tensions sont difficiles à vivre : “Personne ne rentre, personne ne sort, tout le monde a peur.” La violence, ils la connaissent bien : qu’elle soit physique ou psychologique, elle est omniprésente. Mais c’est bien la crudité de cette réalité qui donne la force à Eliot de persévérer dans sa quête de justice : “Cette expérience a fait évoluer mon rapport à la vie sous de nombreux aspects, qu’il s’agisse de la résilience, de la conscience de la condition humaine, des liens humains, du partage, autant d’éléments qui m’ont forgé.”
Juliette Alfano
Les mots d'une personne anonyme : vivre en squat
Un.e squatteuse.eur anonyme partage son expérience et sa vision du squat et de cette manière alternative de vivre. Iel a vécu un mois dans un squat à Marseille en 2022 et reste très proche de ce milieu bien qu’aujourd’hui iel n’habite plus en squat. Entre choix militant et nécessité de survie, le squat se présente à iel comme une solution.
Afin de conserver l’anonymat totale de la personne interviewée, l’entretien a été retranscrit et ré-enregistré. Ce n’est donc pas sa voix que vous entendrez mais bien ses mots.
Afin de présenter un exemple d’initiatives culturelles qu’un squat peut mettre en place, des images de cette vidéo ont été prises dans l’immeuble anciennement squatté 59 Rue Rivoli, à Paris. Ce lieu accueille un collectif d’artistes et l’appropriation de l’immeuble a été légalisée par une convention de la mairie.
Ici, ce ne sont pas les images qui ont de l’importance, mais le témoignage de la personne interviewée.
Pour en savoir plus sur le squat, la personne interviewée recommande de se diriger aussi vers la brochure Le squat de A à Z et le site internet: squat!net.
Olivia Bagarry