Amitié et cohésion dans l’équipe de rugby-fauteuil de Lille
Le rugby-fauteuil est un important lieu de socialisation pour les personnes en situation de handicap. L’équipe de Lille, sacrée championne de France cette année 2023, met en lumière l’importance de cette cohésion, par les joueurs qui la compose.
Au coup de sifflet de l’arbitre, les sourires amicaux des joueurs s’estompent pour laisser place à la concentration. L’équipe de rugby fauteuil de Lille, la seule des Hauts-de-France, s’entraine deux fois par semaine. Elle a été créée en 2006 à Roubaix puis intégrée à l’IRIS club de Lille en 2014. Ce club est un important lieu de rassemblement et d’amitié pour les joueurs.
Une équipe passionnée et chaleureuse
Parmi les crissements des pneus sur le sol du gymnase et des encouragements, huit joueurs de rugby-fauteuil s’entraînent assidument ce lundi soir. Ils traversent le terrain à toute allure, se passent la balle par des gestes précis, les fauteuils s’entrechoquent, les visages sont crispés de concentration et rougis par l’effort. Le rugby-fauteuil se pratique avec deux équipes de quatre joueurs, qui tentent chacune de passer la ligne de l’en-but adverse avec la balle, les passes en avant étant autorisées. Il s’adresse aux handicaps moteurs et seules les personnes touchées aux membres inférieurs, au tronc et à au moins un bras peuvent participer aux compétitions. Mais tout le monde est le bienvenu, même les personnes valides voulant découvrir ce sport. La bienveillance règne dans ce groupe où les coéquipiers se connaissent depuis plusieurs années. Pour la plupart, ils se sont rencontrés à leurs débuts grâce à ce sport unificateur qui leur permet de créer des liens forts. Même en tant que champions de France, ce sont avant tout des amis qui viennent passer un moment convivial.
Un handisport fédérateur en quête de reconnaissance
Pour les joueurs lillois, le rugby-fauteuil n’est pas seulement un loisir. Maxime, qui pratiquait le foot lorsqu’il était valide, joue depuis quinze ans. Surmontant son handicap, il a voulu continuer un sport pour se dépenser et rester en forme. Seule joueuse de l’équipe, Stéphanie, qui apprécie aussi ce côté physique, affectionne particulièrement la camaraderie du groupe. « Sur le terrain on se fout sur la tronche ! », confie-t-elle en souriant, « mais c’est bon enfant ». La séance de jeu passée, les amitiés et les rires remplacent bien vite la concentration et l’adversité. Stéphanie soulève aussi un enjeu oublié de ce handisport, pourtant mixte : la place des femmes. En France, seulement une dizaine de femmes pratiquent le rugby-fauteuil et il n’y en a aucune dans l’équipe nationale. Par nécessité de les voir s’approprier la scène internationale de ce sport, la Women’s Cup, coupe du monde féminine, a été créée. Stéphanie a participé à la troisième édition en mars 2023, à Paris. Elle souhaite une meilleure visibilité de cette discipline que peu de gens connaissent ou qu’ils jugent trop violente, alors qu’il suffirait de « monter sur le terrain et voir par soi-même ».
Blond et gringalet, au sourire chaleureux, Victor, du haut de ses 22 ans, est un des anciens de cette équipe, dans laquelle il a débuté à 12 ans et dont il est le capitaine aujourd’hui. Fièrement, il annonce qu’il fait aussi partie de l’équipe de France. « Je suis un des plus jeunes », partage-il, des étoiles dans les yeux. La moyenne d’âge de l’équipe est entre 30 et 40 ans. En plus de ces deux entraînements hebdomadaires à Lille, il joue parfois à Grenoble et réalise mensuellement un stage de quatre jours à Vichy avec la sélection française. Engagé, Victor sensibilise les écoles et entreprises de la région et partage son expérience dans les centres de rééducation, prônant le bien-être apporté par le sport. Il connaît tout sur le rugby-fauteuil qui fait partie intégrante de sa vie, ses coéquipiers étant ses plus proches amis.
Hélène MASSON
Questions à un expert :
Rencontre avec Denis Bernardeau-Moreau, chercheur en sociologie sur les sciences et techniques des activités physiques et sportives, à l’université de Lille.
Concrètement quels sont les bienfaits de la pratique sportive sur le corps de personnes en situation de handicap ?
DBM : Tout d’abord, il faut relativiser ce qu’on appelle par « sport », le fait de monter des
escaliers plutôt que des escalators, ou alors faire un footing, ce ne sont pas des activités étiquetées comme des activités physiques, mais qui peuvent être considérées comme telles… On peut noter des améliorations de la condition physique qui ne font aucun doute, l’activité permet aux personnes en situation de handicap, comme aux personnes valides, de prévenir certaines maladies, mais surtout elle permet d’éviter un isolement social, qui dégrade la qualité de vie. Cependant, on sait que les personnes handicapés pratiquent généralement moins que les personnes valides. La pratique sportive en France, concerne les 2 tiers de la population sur le territoire, et la moitié des personnes portant un handicap. En parallèle, depuis 2017, les médecins peuvent inciter sur ordonnance la pratique d’une activité, cependant il n’est pas toujours évident de les inciter au sport quand il peut supposer des souffrances…
Pourquoi les personnes en situation de handicap pratiquent généralement moins de sport ?
DBM : La raison majeure c’est l’accessibilité aux équipements, son coût et son éloignement sont des freins importants au développement de la pratique sportive… [ndlr : Un fauteuil de rugby-fauteuil coûte environ 10 000€]. Il y a un gros travail à avoir auprès des collectivités, qui ne peuvent pas non plus faire face à toutes ces nécessités financières. Les médias et les compétitions sont un moyen extraordinaire pour que les Français soient mieux informés et fassent le lien entre les personnes handicapés qu’ils peuvent connaitre dans leur espace privé, et les porteurs de drapeaux non valides qui par leurs mérites, leurs efforts, vont pouvoir faire évoluer les choses, et espérer obtenir des moyens supplémentaires.
des activités physiques et sportives à l'Université de Lille
Rencontre avec Patrick Talom, joueur de rugby-fauteuil
Lors d’un entraînement de rugby-fauteuil à Lille, nous avons pu échanger avec Patrick Talom. Dyslexique de naissance et paraplégique des membres inférieurs, il s’engage dans la promotion de l’inclusivité par le rugby-fauteuil notamment au travers du projet “Lille-Paris”.