La consommation de demain au carrefour d’une révolution citoyenne
Les supermarchés sont boudés par une partie des consommateurs, soucieux de l’environnement, de la qualité des aliments ou encore de la rémunération des producteurs. De nos jours, ils portent des alternatives aux échelles locales à Lille et ailleurs. Regards croisés de ces “consom’acteurs” et d’un sociologue.
Philippe Cardon, maître de conférences et membre du laboratoire Ceries (Centre de recherche Individus, Epreuves, Sociétés) à l’Université de Lille, explique que « les modalités de production alimentaire sont fortement encadrées par une dynamique de production intensive ». Les grandes surfaces en sont le dernier maillon chargé de la distribution.
Une partie des consommateurs en viennent à se détourner des grandes surfaces. Philippe Cardon nomme cela « l’agir citoyen » et le définit comme « de nouvelles formes de pensées dans le rapport à la consommation et la production qui sont actées par des citoyens, quelle que soit la forme avec laquelle ils agissent. » Une alimentation respectueuse de l’environnement et de la santé, les valeurs de partage, de sociabilité, structurent ces pensées pour aller au-delà de l’acte traditionnel d’achat. Les supermarchés coopératifs basés sur l’économie collaborative avec de plus petites marges, tels que SuperQuinquin à Lille, se développent grâce à des “consom’acteurs” faisant vivre le magasin tout en y consommant. L’un d’eux se réjouit du lien social qu’entraîne ces deux rôles : « Je rencontre plein de gens pendant les services et on peut participer à des assemblées décisionnaires. »
"Distinctions de classes"
La fin des supermarchés n’est pas à venir, une coopératrice de SuperQuinquin nous indique d’ailleurs y acheter des produits qu’elle ne trouve pas autrement.
Philippe Cardon souligne que les industriels investissent des domaines comme le bio. Ceux-là restent des niches mais l’écart de prix s’est globalement réduit entre supermarchés et magasins spécialisés. Dans les rayons frais de SuperQuinquin, nous trouvons des prix proches de ceux des grandes surfaces. Un coopérateur explique : « On a mieux pour le même prix qu’avant. »
Mais ces alternatives ne sont pas adaptées à tous les milieux sociaux, nuance Philippe Cardon. « La consommation témoigne des distinctions de classes qui continuent à marquer nos sociétés », ajoute t-il. Le prix et l’achat sont fortement déterminés par la posture sociale des ménages. « Un ouvrier et un employé peuvent avoir des conditions économiques proches mais ne consommeront pas les mêmes choses », illustre-t-il.
Ce dernier met en lumière la problématique d’un « plafond de classe ». « Plus on monte dans la hiérarchie sociale, plus la représentation de la bonne santé s’accorde avec le discours du corps médical et des pouvoirs publics », explique-t-il.
« Les politiques publiques sont là », précise Philippe Cardon, en prenant l’exemple de la Direction régionale de l’agriculture. Son Plan National de l’Agriculture a financé nombre d’initiatives agricoles partageant les valeurs évoquées. On compte 60 % de projets portés par des associations et non des communes, preuve de la vitalité de « l’agir citoyen ».
Ceci dit, ces politiques publiques peinent à atteindre les milieux populaires les plus touchés par des maladies comme l’obésité. Une coopératrice nous indique que SuperQuinquin travaille désormais avec la marque Belle France pour proposer une gamme de qualité et moins chère encore. Le but : ne pas attirer uniquement les classes moyennes et supérieures, comme constaté à son lancement.
Un mouvement s’initie localement. Philippe Cardon le qualifie de « réforme par le bas ». Il est question, à l’échelle des individus, d’avoir « la capacité collective de se réapproprier des enjeux sanitaires, environnementaux, jusqu’alors portés par le politique ».
Etienne Balthazard
Un service avec les coopérateurs de SuperQuinquin
Vidéo : Colin Van Hille, Mathis Bonamy
ZOOM sur l’appli « LeCourtCircuit.fr », quand le numérique donne un nouvel élan aux circuits courts
Vous cherchez à manger local en privilégiant les circuits courts ? L’application LeCourtCircuit.fr peut répondre à ces attentes en alliant prix et qualité. Fruit d’une initiative portée par trois amis et entrepreneurs, l’app’ a vu le jour en 2013 avec la conviction de favoriser un nouveau mode de consommation ancré dans une démarche d’ESS (Economie sociale et solidaire). Le CourtCircuit.fr c’est avant tout un territoire visé, le Nord – Pas-de-Calais, dans lequel 1 producteur sur 5 vend en circuit court, une offre donc importante mais qui manque de visibilité. Résultat, le consommateur peine à localiser les circuits courts alors que manger local est devenu un critère parfois décisif. Côté producteur, ce modèle économique permet de dégager des marges plus importantes que les circuits classiques par la diminution du nombre d’intermédiaires, un gage de revenu plus juste qui promeut une agriculture plus vertueuse de l’environnement.
En pratique, une carte de la région donne accès à 40 points de retrait avec des horaires de créneaux ouverts à la commande. Une fois le lieu de retrait sélectionné, le consommateur peut composer son panier en fonction des produits proposés par les producteurs : fruits, légumes, viandes, produits laitiers ou boissons, chacun pourra y trouver son compte. Il ne reste alors plus qu’à régler sa commande avant d’aller récupérer son panier en point de retrait. Et si jamais le temps vous manque, l’appli propose aussi la livraison à domicile sur Lille et 35 communes de la MEL.
Si LeCourtCircuit.fr œuvre uniquement à l’échelle de la région, d’autres territoires s’inspirent de sa démarche pour tenter eux-aussi de mieux répondre aux besoins de citoyens et producteurs : une démarche inspirante pour notre consommation de demain !
Nicolas Amadei