Les autorités françaises condamnent systématiquement le cannabis, son usage et sa vente. Pourtant, le fruit de l’économie souterraine formée autour du deal est admis dans le calcul du PIB (Produit intérieur brut) du pays. Le deal est un enjeu économique et social qu’il faudra analyser ainsi. À Lille, KAYS est dealer et explique sa vision du marché des drogues.
L’univers du deal ne pourrait reposer uniquement sur la peur et l’intimidation, pour la simple raison que les dealers doivent entretenir des relations commerciales pacifiées. C’est la stabilité des interactions qui permet un état de sécurité pour vendeurs et acheteurs.
Qui sont ces vendeurs ? Quelles sont leurs stratégies commerciales ? Comment se laissent-ils recruter dans ce système pyramidal ?
C’est en général sur les réseaux sociaux ou via un numéro de téléphone que l’on prend contact avec un dealer pour la première fois. KAYS vend sur Lille et ses environs, tous les jours, entre 14 heures et minuit. Le deal est une économie à part entière, qui admet une forme de concurrence. Il faut donc être disponible et KAYS s’efforce de le rester. Suite à un message, il répond rapidement : « Je peux être là dans 30 minutes. » Ce qui est particulièrement intéressant à souligner, c’est qu’il met des conditions à ses déplacements : « Après 20 heures, je me déplace que pour cinq grammes. » Ces critères ne sont autres que des clauses commerciales, elles prennent en compte le risque, l’investissement nécessaire, le coût du déplacement et l’étendue du possible bénéfice.
Plus que cela, KAYS témoigne d’une réelle volonté de fidéliser ses acheteurs : « J’ai besoin de clients réguliers, qui achètent souvent et à qui je peux faire confiance. » Les dealers ont besoin de stabilité, d’une rémunération certaine et de la garantie d’une clientèle régulière.
On ne commence pas le deal par hasard, les vendeurs qui le sont par simple volonté de défiance des lois sont rares, s’ils ne sont un pur produit de l’imaginaire collectif. La vente de stupéfiants est souvent une réponse à la précarité qui frappe la part de la population que la politique de la ville a pris soin de rassembler dans certains « quartiers » au courant des quinze ou vingt dernières années. Pour devenir dealer, il suffira de demander à une connaissance un approvisionnement, comme l’a d’ailleurs fait KAYS : « Un pote à moi vendait déjà, j’ai juste pris contact avec son fournisseur et j’ai fait pareil. »
En réalité, le deal est la scène d’inégalités sociales dans la mesure où les milieux défavorisés habituent les individus qui en proviennent, à la présence de drogues. Certains ont toujours eu un pied dans le monde du deal, sont déjà stigmatisés pour cette raison et de ce fait, échapperont difficilement à une chute dans ce commerce.

La légalisation au cœur du débat politique
Si la France tendait vers une légalisation, un plan de réinsertion sociale serait nécessaire : réhabiliter les personnes incriminées, prévoir des politiques de préventions, réduire l’impact économique sur les populations concernées. Mais pour l’instant, les groupes politiques ont échoué à faire des propositions aussi complètes.
Les arguments contre une évolution légale du marché du cannabis sont multiples. Si certains sont de nature idéologique ou morale : incitation à l’usage d’autres drogues, mauvais message passé à la jeunesse ou permissivité, la principale crainte quant à la légalisation est la déstabilisation de l’économie des cités. Les politiques prohibitionnistes se concentrent sur les zones urbaines sensibles (ZUS), souvent qualifiées par raccourci de « quartiers ».
La fraction de la population qui participe à cette économie risque de se trouver appauvrie si elle vit du maintien de ce marché illicite. Le deal représente un enjeu de cohésion sociale et de stabilité politique. L’organisation interne des quartiers repose sur des logiques de solidarité et de répartition des rôles. La légalisation impliquerait que les autorités étatiques aient main mise sur la circulation et donc sur l’économie construite autour des drogues.
Changer le regard
Ces politiques se concentrent donc surtout sur les cités, permettant la justification d’une répression de la part des autorités. Le problème de la drogue en France a des répercussions plus larges qui ne concernent pas uniquement les « ghettos ». Les politiques de régulation de la drogue se concentrent sur les quartiers sensibles, elles stigmatisent cette part de la population, les peint comme un danger pour l’équilibre national et annihilent toutes stratégies d’insertion sociale.
Un changement de perception est nécessaire. En levant la diabolisation qui gravite autour du cannabis, un champ peut s’ouvrir pour des études sur la consommation et les addictions, sur la répartition inégale du deal, sur les effets à long terme des drogues douces. Le cannabis est un problème social qui doit être considéré comme tel.
Marie Zannier
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Maxime Paulin