Sur le marché du cannabis, les accusés sont les victimes

by Élène Saliou
Les autorités françaises condamnent systématiquement le cannabis, son usage et sa vente. Pourtant, le fruit de l’économie souterraine formée autour du deal est admis dans le calcul du PIB (Produit intérieur brut) du pays. Le deal est un enjeu économique et social qu’il faudra analyser ainsi. À Lille, KAYS est dealer et explique sa vision du marché des drogues. 

L’univers du deal ne pourrait reposer uniquement sur la peur et l’intimidation, pour la simple raison que les dealers doivent entretenir des relations commerciales pacifiées. C’est la stabilité des interactions qui permet un état de sécurité pour vendeurs et acheteurs. 

Qui sont ces vendeurs ? Quelles sont leurs stratégies commerciales ? Comment se laissent-ils recruter dans ce système pyramidal ?

C’est en général sur les réseaux sociaux ou via un numéro de téléphone que l’on prend contact avec un dealer pour la première fois. KAYS vend sur Lille et ses environs, tous les jours, entre 14 heures et minuit. Le deal est une économie à part entière, qui admet une forme de concurrence. Il faut donc être disponible et KAYS s’efforce de le rester. Suite à un message, il répond rapidement : « Je peux être là dans 30 minutes. » Ce qui est particulièrement intéressant à souligner, c’est qu’il met des conditions à ses déplacements : « Après 20 heures, je me déplace que pour cinq grammes. » Ces critères ne sont autres que des clauses commerciales, elles prennent en compte le risque, l’investissement nécessaire, le coût du déplacement et l’étendue du possible bénéfice. 

Plus que cela, KAYS témoigne d’une réelle volonté de fidéliser ses acheteurs : « J’ai besoin de clients réguliers, qui achètent souvent et à qui je peux faire confiance. » Les dealers ont besoin de stabilité, d’une rémunération certaine et de la garantie d’une clientèle régulière. 

On ne commence pas le deal par hasard, les vendeurs qui le sont par simple volonté de défiance des lois sont rares, s’ils ne sont un pur produit de l’imaginaire collectif. La vente de stupéfiants est souvent une réponse à la précarité qui frappe la part de la population que la politique de la ville a pris soin de rassembler dans certains « quartiers » au courant des quinze ou vingt dernières années. Pour devenir dealer, il suffira de demander à une connaissance un approvisionnement, comme l’a d’ailleurs fait KAYS : « Un pote à moi vendait déjà, j’ai juste pris contact avec son fournisseur et j’ai fait pareil. »

En réalité, le deal est la scène d’inégalités sociales dans la mesure où les milieux défavorisés habituent les individus qui en proviennent, à la présence de drogues. Certains ont toujours eu un pied dans le monde du deal, sont déjà stigmatisés pour cette raison et de ce fait, échapperont difficilement à une chute dans ce commerce. 

Police nationale dans le "quartier" de Moulins, à Lille. Photo Julia Semeteys
La légalisation au cœur du débat politique 

Si la France tendait vers une légalisation, un plan de réinsertion sociale serait nécessaire : réhabiliter les personnes incriminées, prévoir des politiques de préventions, réduire l’impact économique sur les populations concernées. Mais pour l’instant, les groupes politiques ont échoué à faire des propositions aussi complètes. 

Les arguments contre une évolution légale du marché du cannabis sont multiples. Si certains sont de nature idéologique ou morale : incitation à l’usage d’autres drogues, mauvais message passé à la jeunesse ou permissivité, la principale crainte quant à la légalisation est la déstabilisation de l’économie des cités. Les politiques prohibitionnistes se concentrent sur les zones urbaines sensibles (ZUS), souvent qualifiées par raccourci de « quartiers ». 

La fraction de la population qui participe à cette économie risque de se trouver appauvrie si elle vit du maintien de ce marché illicite. Le deal représente un enjeu de cohésion sociale et de stabilité politique. L’organisation interne des quartiers repose sur des logiques de solidarité et de répartition des rôles. La légalisation impliquerait que les autorités étatiques aient main mise sur la circulation et donc sur l’économie construite autour des drogues.

Changer le regard

Ces politiques se concentrent donc surtout sur les cités, permettant la justification d’une répression de la part des autorités. Le problème de la drogue en France a des répercussions plus larges qui ne concernent pas uniquement les « ghettos ». Les politiques de régulation de la drogue se concentrent sur les quartiers sensibles, elles stigmatisent cette part de la population, les peint comme un danger pour l’équilibre national et annihilent toutes stratégies d’insertion sociale. 

Un changement de perception est nécessaire. En levant la diabolisation qui gravite autour du cannabis, un champ peut s’ouvrir pour des études sur la consommation et les addictions, sur la répartition inégale du deal, sur les effets à long terme des drogues douces. Le cannabis est un problème social qui doit être considéré comme tel.

Marie Zannier

 

5 choses à savoir sur… le CBD

 

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Pour réaliser ce reportage, nous nous somme rendus dans la boutique de CBD « Le Lapin Blanc » située au 9 rue Froissart à Lille. Nous avons pu échanger avec Damien Bertrand, créateur de la boutique, qui nous a éclairés sur ce nouveau produit.
  •  Le CBD, qu’est-ce que c’est ?
Tout d’abord, le CBD c’est l’abréviation de cannabidiol, une molécule extraite du chanvre, comme le cannabis. Sauf qu’à l’inverse de ce dernier, le CBD ne possède qu’un infime pourcentage de THC, la molécule de cannabis responsable de l’effet stupéfiant, entre 0,2 et 0,3%. Au-delà de ces chiffres, le produit est qualifié de stupéfiant et ne peut être consommé ni vendu sur le territoire français. Au Lapin Blanc, la plupart des produits sont « Made in France ».
  • Quels en sont les bienfaits ?
Aujourd’hui, différentes molécules de CBD existent et peuvent venir apporter de nombreux bienfaits au corps. Ainsi, les produits à base de cannabigerol (CBG) peuvent aider à la récupération musculaire. La molécule la plus populaire reste le cannabinol (CBN) qui agit sur l’anxiété, le stress et le sommeil et convient très bien pour des personnes au sommeil perturbé.
  • Quelles formes prend-il ?
De nombreux produits peuvent contenir du CBD. Bien que les fleurs restent le produit le plus populaire, au Lapin Blanc, des thés et cafés à base de CBD sont mis en vente. On peut aussi retrouver le cannabidiol sous forme d’huiles comestibles, d’huile de massage ou encore mélangé à du sucre de canne. En clair, la plupart des produits peuvent aujourd’hui être associés à du CBD.
  • Quels sont les profils des consommateurs de CBD ?      
Actuellement, la France en est le plus gros consommateur d’Europe. En 2023, 7 millions de Français affirment consommer régulièrement du CBD selon le centre « For Medical Cannabis ». Au Lapin Blanc, les profils sont plutôt variés allant des personnes âgées qui en font usage pour les bienfaits musculaires à ceux qui veulent découvrir les produits. Une partie de la clientèle quant à elle est constituée de consommateurs de cannabis qui cherchent une alternative pour stopper leur consommation illicite.
  • Quelle législation est mise en place autour de ce produit ?
La législation autour du CBD est aujourd’hui contraignante et continue de se durcir. La France est également le plus gros consommateur de cannabis d’Europe, puisqu’un dixième de la population en 2021 affirme avoir consommé du cannabis au moins une fois dans l’année. Ainsi, les contrôles se font de plus en plus stricts et les produits à base de CBD sont de moins en moins différenciés du cannabis par les forces de l’ordre.

Maxime Paulin

La vraie vie des « stoners »

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