À Lille, en décembre dernier, le Châtillon a fait la rencontre de deux poètes des temps modernes, Orphevre et Benjamin Epps. Ils nous aident à déceler les rouages d’une jeunesse qu’on ne prend pas la peine d’écouter.
Sujet de controverse, le rap est un moyen d’expression qui parle à notre génération. Beaucoup le décrivent comme une ouverture aux possibles, véritable penseur et dénonciateur de l’air du temps. Malgré son caractère anticonformiste et thérapeutique, qu’inspire-t-il sur le réel ?
Orphevre comme celui qui assemble plusieurs pierres précieuses pour en faire une grande pièce. C’est comme ça que se définit Orphé, artiste de 22 ans basé à Lille: “Au final, je passe mon temps à assembler des pièces et faire en sorte que malgré mes dysfonctionnements, tout puisse plus ou moins marcher“, nous confie t-il. Comme lui, les étoiles montantes du rap d’aujourd’hui créent un idéal littéraire commun qui donne une voix à la jeunesse trop souvent oubliée des institutions. Il se sert de sa musique pour rendre visible : “La parole du jeune, qui, au fond de sa chambre, sait pas trop ce qu’il va faire dans sa vie, mais à qui on bassine qu’il doit suivre un chemin précis.” Ici, sa musique permet d’inspirer celui qui se sent à la marge, et y voit au départ un frein au développement.
Orphé a 9 ans lorsqu’il quitte le Gabon, son pays d’origine, pour s’installer en France. Il y vit une enfance qu’il qualifie de “chaotique et innocente“. Il nous avoue qu’inconsciemment, de part son vécu personnel, sa musique est d’ors et déjà politisée : “Pleins de fois dans mes sons, je fais référence à la police qui tire dans la rue. Ce que je raconte implique une oppression, et moi je suis l’oppressé.” En 2009, alors qu’il rentre de l’école pendant la présidentielle qui oppose Ali Bongo Ondimba, Parti démocratique Gabonais, et Pierre Mamboundou, Union du peuple Gabonais, des violences policières éclatent. Orphé assiste alors au massacre des opposants, après la victoire d’Ali Bongo : “On savait que c’était le président qui était là depuis 40 ans qui allait gagner. Mais là, il y avait un vrai parti d’opposition, avec des opposants qui avaient réussi à faire lever une foule dans la rue. Elle a été matée à coups de balles. je devais avoir 6 ou 7 ans.” Sur internet, peu sont les articles consacrés à cette tragédie. C’est aussi ça, le pouvoir du rap : dire tout haut ce que le système n’a pas voulu révéler.
Le plus riche du monde n’est pas un rappeur
La démocratisation du genre pose la question de ce que le rap représente dorénavant dans l’espace public. Le genre est-il devenu un moteur du capitalisme, système qu’il a longtemps critiqué ? Le 5 décembre dernier se tenait à Science Po une conférence accueillant Benjamin Epps, jeune homme qui a su se faire une place bien ancrée dans le monde du rap. Il nous livre les dessous de cette industrie et la difficulté à générer de l’argent lorsqu’on est dépendant d’un Label : “Moi ce que je souhaite à quelqu’un qui veut se lancer, c’est être indépendant. Il n’y a plus besoin de personne, il y a internet. Tu achètes ton micro, ta carte son, tu vas sur youtube, tu apprends à mixer, et tu enregistres.” En France, il est difficile de vivre de son art. L’émancipation financière par le rap paraît alors restreinte, contrairement aux idées reçues. “Le streaming ne paie pas, […] je vis bien de ma musique parce que je fais des ventes physiques”, avoue le conférencier.
Comme le Petit Prince
Dans le roman du Petit Prince de Saint Exupéry, l’auteur veut nous faire comprendre que nos yeux seuls ne peuvent pas percevoir la singularité d’un individu. Ce dernier est enfermé dans son apparence, et c’est seulement en l’apprivoisant que nous pourrons le comprendre, et apprécier son authenticité. Dans un cas d’introspection individuel, nous nous connaissons qu’en embrassant nos pensées, en les confrontant. Pour Orphé, c’est la même chose : “Avec ma musique je fais tout sauf mettre de la distance. Jusqu’ici, je comprenais pas ma personnalité. J’ai l’impression que je suis plein de bouts de choses, et le rap, ça me sert un peu à ça, à mettre les choses ensemble. Quand je parle de pièce, je parle de toutes ces phases de ma vie ou je comprenais rien. Maintenant que je confronte, je peux assembler et me dire que telle chose m’impacte de telle manière.”
Il paraît alors évident que le rap comporte de nombreuses vertus thérapeutiques. Écrire, c’est gratuit, et ça permet de conscientiser. Le genre musical est très certainement une des clés principales pour soigner les maux d’une jeunesse encore trop peu considérée, qui comprendra à travers la musique pourquoi elle n’a pas besoin de l’être pour trouver la force d’oser.
Marieke Rollus
Zoom : pourquoi la musique nous affecte-t-elle autant ?
Bien que les contextes sociaux aient une influence sur la manière dont nous écoutons la musique, nos affects musicaux conservent toujours une part de mystère. En effet, il est souvent difficile d’expliquer pourquoi nous aimons une musique. Les plus connaisseurs pourront toujours sortir des arguments sur la technique mélodique et rythmique, mais dans le fond, pourquoi la musique nous procure-t-elle autant de bien ?
C’est dans la science et la psychologie qu’il faut chercher les réponses car cette question, pouvant paraitre abstraite, y a souvent fait l’objet d’expérimentations. Alors, laissez-moi enfiler ma blouse blanche et vous expliquer tout cela.
Tout d’abord, lorsque nous écoutons une musique, les circuits neuronaux qui entrent en jeu sont les mêmes que les mécanismes de motivation et récompense. De la dopamine, communément appelée « l’hormone du bonheur » est ainsi libérée. Le système limbique impliqué est par ailleurs le même que lorsque l’on consomme de la drogue, ce qui va créer l’addiction.
La musique modifie également la perception de l’effort, en le rendant plus agréable. C’est pourquoi nous avons tendance à écouter de la musique douce lorsque nous travaillons ou de la musique plus rythmée durant le sport. Un BPM plus élevé peut, en effet, influencer la vitesse des athlètes.
De plus, la musique présente des vertus apaisantes en réduisant l’anxiété et en améliorant le sommeil. Elle aide aussi à développer des moyens cognitifs comme l’attention et la mémoire.
Des psychologues ont même expérimenté son influence sur des comportements, ayant plus attrait à la morale, tels que la générosité.
Ainsi, l’expérience “Les milles effets de la musique” a démontré que la musique classique rendait le comportement des enfants moins violent. Pas sûre que le Stanley Kubrick d’Orange Mécanique * aurait été de cet avis…
Gaby Millour
* Dans le célèbre film Orange Mécanique de Stanley Kubrick, le personnage principal, un homme ultraviolent, raffole de la musique de Beethoven. A la sortie du film en 1971, beaucoup de spectateurs se sont indignés de cette association qu’ils jugeaient dégradante pour la musique classique.
Rap au féminin
Eléanor Ndiambourila