Les Cordées de la Réussite, levier de démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur ?
Depuis 2008, les Cordées de la réussite mettent en relation établissements secondaires et supérieurs. Le dispositif, via du soutien scolaire et un accompagnement à l’orientation, tente de réduire les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur. Dans le cadre de la semaine nationale des cordées de la réussite, Sciences-Po Lille a organisé une journée d’étude traitant de la démocratisation de l’entrée dans le supérieur.
Jeudi 17 janvier, 10h. La neige recouvre les pavés de Lille, la ville retire son masque, se montre à découvert aux passants. Dans l’amphithéâtre de la Boétie, c’est le nouveau visage de l’éducation que dessinent universitaires et professionnels en charge de cordées. L’éducation est un droit fondamental, mais la France permet-elle vraiment à chacun de ses enfants de s’en saisir ?
Entrée dans l’enseignement Supérieur : inégalités et iniquités persistent en France
Si le nombre d’étudiants s’est vu multiplié par huit depuis 1960, de fortes inégalités persistent selon les revenus, diplômes et professions des parents. Quant à l’inégalité territoriale, une enquête de la Cour des Comptes parue en février 2023 confirme que « le taux de diplômés diminue à mesure que l’on s’éloigne des grandes villes ».
Ces inégalités remontent à l’enfance. Les écarts apparus en primaire entre les élèves les plus favorisés et les enfants issus de milieux défavorisés, s’accentuent au collège et se creusent dramatiquement au passage au lycée. L’orientation dans le supérieur est l’étape finale de ce système éducatif élitiste.
Les inégalités se sont en réalité déplacées vers des niveaux d’étude plus élevés ou concentrées entre des études généralistes et les voies sélectives. Anne-Pascale Maquinghem, directrice du centre Gaston Berger Hauts-de-France (structure INSA pour garantir la diversité) questionne les répercussions de la sémiologie de l’éducation. Prôner les « grandes écoles », « filières sélectives », et « prépas d’excellence» pourrait avoir un rôle dans le mythe d’une « élite » et aggraver -de fait- l’auto-censure.
En 2008, la ministre de l’Enseignement supérieur et la secrétaire d’État en charge des politiques de la ville créent les Cordées de la réussite. Elles ont pour projet l’encouragement de l’ambition scolaire, l’ouverture d’horizons et l’accompagnement de l’élève dans son projet professionnel grâce à un système de tutorat entre étudiants et jeunes. « Soutien scolaire, recherche des formations qui intéresseraient le plus jeune, rencontre avec des professionnels, visite culturelles. » Les invités détaillent les actions mises en place dans leurs écoles. Trois étudiants tuteurs de Sciences-Po, anciens tutorés, rappellent cependant les inégalités persistantes une fois entrés dans l’enseignement supérieur ; l’année à l’étranger, devenue presque inévitable, n’est pas accessible à chaque étudiant et ce malgré les bourses à cet effet.
Un nécessaire changement de paradigme de l’éducation
Les résultats observés laissent espérer davantage de mixité dans l’enseignement supérieur. Le dispositif est complété par une réforme progressive de l’accès au supérieur (révisions des modalités d’entrées, quotas de boursiers,…). Malgré cela, Gabriel Brassart, auteur d’un livre blanc sur les diversités et l’ouverture sociale, souligne le manque d’enquêtes sur les résultats des dispositifs et l’absence d’objectifs. Ce constat questionne la prise au sérieux du problème au-delà des bonnes intentions communiquées par les politiques éducatives.
Comment faire de chacun un acteur participant à l’évolution en cours ? Sur un plan systémique, les intervenants martèlent l’urgence de s’attaquer aux inégalités scolaires dès le plus jeune âge. La rectrice de l’académie des Hauts-de-France, Valérie Cabuil, insiste, elle, sur les mécanismes d’auto-censure et appelle à placer la parole des jeunes concernés au cœur des réflexions pour répondre au problème avec cohérence.
La mobilisation d’acteurs de l’éducation et d’étudiants laisse espérer une avancée vers un enseignement supérieur démocratisé. Il n’en est pas moins vrai que ces dispositifs, palliatifs plus que curatifs, résultent d’une obstination dans un modèle éducatif encore largement inégalitaire.
Marion Lescuyer
ZOOM sur la solidarité entre étudiants pour faire face à l’entrée dans le supérieur
Suite à la conférence réalisée à Science-Po Lille sur la démocratisation de l’accès aux études supérieures, Antoine, élève en première année dans cet établissement, y témoigne son expérience lors du passage des concours d’entrée.
En effet, il a pu bénéficier lors du passage des concours en terminal du Programme PEI (programme d’études intégrées), dont il est aujourd’hui tuteur pour conseiller à son tour les prochains candidats.
Il accompagne les élèves de son établissement attitré, dans le cadre des Cordées de la réussite, « en leur expliquant comment aborder le concours, la méthodologie des épreuves mais aussi en répondant à toutes les interrogations qu’ils peuvent avoir sur l’école et la vie étudiante en général », témoigne-t-il lors d’un échange. Dans ce système enrichissant, Antoine perçoit un apport mutuel. Le tutoré peut « dépasser la théorie du concours en ayant la possibilité de pouvoir poser des questions méthodologiques à quelqu’un l’ayant réussi ». Quant à l’élève tuteur, il pourra retirer une expérience positive de cet « exercice de pédagogie qui oblige à s’adapter aux élèves en face ». Pour Antoine c’est avant tout un contact humain rassurant entre élèves qui essayent de surmonter la pression des concours et d’augmenter leur chance de les réussir.
Malgré cela des failles persistent car les tuteurs sont peu nombreux et les potentiels tutorés n’ont pas nécessairement connaissance de ce dispositif encore largement inconnu. L’accès aux études supérieures sélectives reste un privilège et le tutorat essaye à son échelle de démystifier les concours et de permettre à tout à chacun de candidater sur un pied d’égalité. L’étudiant rajoute que « le plus dur c’est de réussir à convaincre le public visé de saisir la perche qui lui est tendue et de ne pas abandonner au cours de l’année. »
Noémi Videira
Photo et infographies : Alice Gesbert
Vidéo : Angèle Guët