Tout le monde ne voit pas la culture de la même façon et ne se sent pas légitime à en appréhender des parties. Rencontres avec des personnes fréquentant et travaillant aux cinémas L’Univers (Lille) et Le Méliès (Villeneuve d’Ascq) ainsi qu’à La Condition publique (Roubaix) – trois lieux de culture ouverts sur leur quartier et avec un public mixte – qui évoquent leurs actions pour rendre les différentes pratiques culturelles accessibles.
Le cinéma d’auteur, les films d’animation, les expositions, les mangas, les concerts, l’opéra, le graffiti… sont des éléments culturels considérés – ou non – comme de la culture légitime et qui ont différents publics.
Emma Darquié, chargée de médiation, nous confie alors que l’espace physique joue un rôle dans le fait de se sentir – ou non – légitime : certaines personnes n’osaient pas entrer à la Condition publique, qui accueille des artistes et propose plusieurs éléments culturels, impressionnées par la grande porte, se disant que ce lieu n’était pas fait pour elles. Mais aussi, le sentiment de ne pas appartenir au bon groupe – selon l’âge ou le milieu social par exemple – pour tel élément culturel. Le Méliès, cinéma majoritairement fréquenté par des personnes âgées a longtemps essayé d’attirer les jeunes qui se sentaient illégitimes d’aller dans ce « cinéma de vieux ». Ou certaines personnes ne se sentent pas d’aller voir des films dits d’auteur. Pour Simon Buisine, responsable accueil, ce n’est alors « pas le bagage culturel qui compte dans la compréhension [d’un film] mais le ressenti ».
Pierre Bourdieu, sociologue, explique alors dans La Distinction (1979) que les goûts sont situés socialement ; et qu’il y a une volonté, notamment des classes supérieures, de se distinguer des autres classes. Cela passe – entre autres – par les pratiques culturelles et peut amener à ce sentiment d’illégitimité (pour les autres classes sociales). Il montre également que le prix n’est pas le seul frein.
Qu’est ce que la légitimité ?
D’après le CNRTL, la légitimité est d’abord la « qualité, état de ce qui est légitime, conforme au droit, à la loi », mais aussi la « conformité de quelque chose, d’un état, d’un acte, avec l’équité, le droit naturel, la raison, la morale ». Il y a donc une notion de se sentir ou non autorisé.e à avoir certaines pratiques culturelles, d’avoir le droit de le faire, en fonction de normes et d’attendus de la société et de ses caractéristiques sociologiques.
« Des facilitateur.ices de liens »
Les trois lieux font de la médiation culturelle – pour Emma Darquié, c’est faire le lien « entre l’artiste et le public », par des visites, des ateliers ou des invitations d’artistes. Ewen, médiateur culturel à l’Univers, préfère alors le terme de « facilitateur de liens », entre les personnes qui viennent et le lieu, permettant de « créer des moments » lors des projections et ateliers.
Ces endroits accordent une importance à leur localisation : la Condition publique est un « lieu de vie pour le voisinage » et les lieux de projections sont des « cinémas de quartier » (contrairement à de plus grands cinémas). Le personnel cherche alors à répondre aux envies des habitant.es : créer et entretenir des liens, maintenir une atmosphère conviviale voire familiale, de partage et développer des activités qui intéressent le public, en en proposant plusieurs. Cela se ressent alors par l’ambiance : la Condition publique est composée de plusieurs espaces, ouverts, où l’on peut aisément passer de l’un à l’autre, avec la salle de jeux et de skate park et les endroits consacrés aux ateliers et expositions. Le Méliès, quant à lui, présente un petit hall où se trouvent le comptoir bas et des fauteuils qui permettent de patienter, avant de pouvoir aller s’installer dans l’unique salle de projection aux sièges bleus, moelleux et accueillant.
De la culture pour toustes
Mais des personnes des villes alentours, ou de plus loin y viennent également. De même, les publics adeptes de multiples pratiques culturelles s’y retrouvent : celleux qui vont au théâtre, qui vont dans les centres sociaux, qui aiment un certain art… Il y a alors de la mixité sociale. Les activités proposées attirent toutes ces personnes. Il y en a pour tous les goûts : diverses soirées spéciales au Méliès (avec des débats, des rencontres, pour les plus jeunes…), des projections et ateliers pour les enfants à l’Univers (entre autres) et des expositions, des ateliers, des visites guidées d’un parcours d’art dans l’espace public… à la Condition publique. Les personnes peuvent alors devenir des habituées, et, les lieux proposant divers éléments culturels, elles peuvent s’intéresser à d’autres pratiques, pour lesquelles, jusque-là, elles se sentaient illégitimes.
Le personnel et les médiateur.ices étant là également pour conseiller, cela permet d’ouvrir à d’autres cultures. C’est ainsi que des personnes âgées vont voir des films d’animations, que des touristes parisiens font le parcours d’art dans l’espace public roubaisien ou que des jeunes viennent voir des films d’art et d’essai. Les prix, plus bas que les autres endroits qui proposent les mêmes activités, voire le prix libre permettent également d’être plus accessibles, comme l’indique une mère lors de l’atelier à l’Univers, (pour en lire plus sur le prix libre).
Ces organisations ont également des partenariats avec d’autres associations, des centres de loisirs ou sociaux, des établissements scolaires… ce qui participe à partager les différentes cultures. A l’Univers, une mère venait alors à l’atelier pour enfant « pour amener autre chose à [sa] fille, avoir un éventail de tout ce qui peut se faire et l’ouvrir à toutes ses formes culturelles ».
Emma Langevin