Politique calaisienne à la dérive, des migrants qui survivent
Depuis maintenant plus de vingt ans, la crise migratoire tiraille l’État français entre protection et expulsion. Des associations se sont créées sur le littoral nord français pour pallier cette inertie politique. A travers des distributions de nourriture, en passant par des maraudes littorales, ces associations œuvrent chaque jour pour garantir une aide, un soutien et un accompagnement aux personnes exilées.
“On ne peut pas accueillir toute la misère du monde“, voici le discours régulièrement adopté par les dirigeants politiques français. Un discours que l’État le prend trop souvent au pied de la lettre. Ce sont les associations qui ont pris le rôle d’accompagner ces migrants qui arrivent en masse chaque année, notamment à Calais. Après la «jungle» et maintenant le plan zéro point de fixation, on a tendance à voir un État submergé par le phénomène. C’est dans ce contexte que certaines associations essaient d’accompagner et de redonner espoir à ces migrants. Elles jouent un rôle décisif et sont un véritable point d’appui pour les personnes exilées.
Agir au quotidien
Parmi ces associations, Utopia 56, créé en 2015. Ce sont 18 000 adhérent.es depuis sa création et 200 bénévoles mobilisé.es par jour. Les missions qu’ils entreprennent sont devenues vitales pour ces populations en transit, entre maraudes, réponse au téléphone d’urgence, mises à l’abri des familles et la logistique de l’entrepôt pour organiser et trier les dons, l’impact de l’association est réelle et elle offre une aide concrète et présente sur le territoire en allant directement à la rencontre de ces personnes.
Pour illustrer cet engagement citoyen, Fleur Germain raconte son expérience. Bénévole de l’association Utopia 56, elle est coordinatrice de l’association à Calais et est spécialisée dans la communication et les plaidoyers. Son témoignage, permet de mettre en lumière la réalité du terrain mais également la complexité, pour de simples bénévoles, de gérer la situation.
En effet, même si les associations s’efforcent d’aider ces populations en exil, pour des bénévoles qui agissent à temps partiel, il est difficile de subvenir au besoin nécessaire.
Fleur livre également ses expériences positives, comme celle d’un jeune homme qui a eu un accident à la suite d’une tentative de traversée en camion. Utopia 56 et ce jeune ont créé un lien fort : « Et finalement, ce jeune a décidé de rester en France et il a maintenant sa demande d’asile qui est en cours et qui avance positivement.»
Mais il y a aussi des histoires qui ramènent à la dure réalité de ce quotidien : « J’ai été marquée lorsqu’on a rencontré un groupe d’environ 80 personnes (…) la police les avait interceptés, les gens étaient trempés, et il n’y a eu aucune prise en charge de la part de l’État donc c’était à nous de s’occuper d’eux ».
On constate que l’impact des associations est à relativiser car même s’ il y a du bon les associations se retrouvent, comme l’État, submergées par l’ampleur du problème.
La politique restrictive de la mairie de Calais enraye la démarche de ces associations notamment avec des contrôles des forces de l’ordres récurrents envers les associations ce qui déstabilise certains bénévoles, mais aussi par leur absence de réponses, c’est ce qu’explique Fleur : « Pendant nos maraudes littorales, on se fait contrôler et on doit ouvrir le coffre, montrer notre matériel, ce qui nous ralentit dans nos missions. C’est aussi de l’intimidation, ça peut stresser certaines personnes qui sont sur le terrain.(…) Un autre problème, on essaie d’interpeller les services d’état, donc la préfecture, mais aussi la mairie et on a vraiment aucune réponse.».
Ce témoignage pose question notamment d’un point de vue éthique, n’a-t-on plus le droit d’aider les gens dans le besoin ?
Lucien Marsollier
Vidéo : Rencontre avec Salam, une association d'aide aux personnes exilées dans le Nord-Pas-de-Calais
Maïa Devynck-Vignon
Calais, un des nombreux exemples de la politique nationale
Sur place les dispositifs insuffisants se sont enchaînés autour de l’accueil des migrants depuis le début des années 2000 et ce jusqu’en 2016. Il y a d’abord eu le centre de Sangatte jusqu’en 2002, relayé par la “Jungle” pendant près de 15 ans. Le démantèlement de la Jungle au cours de l’année 2016 a marqué un tournant dans la considération politique de la région du “Calaisis” pour les migrants.
Depuis, Natacha Bouchart, maire de Calais, suit deux lignes de communication: la critique de la politique anglaise mais aussi le rejet de la responsabilité sur son gouvernement et sur les voisins européens. Autrement dit, ce qui se passe à Calais est causé par la permission des autres gouvernements. En outre, elle prône deux modes d’action, fermeté et humanité.
En 2017, la maire de Calais produit un arrêté municipal interdisant toute distribution d’eau et de nourriture afin de décourager tout point de fixation pour les migrants à Calais. Il s’agit déjà depuis quelques mois d’encourager une nouvelle stratégie sur place, “zéro point de fixation”.
Celle qui prônait fermeté et humanité, prend une décision en 2022 : “Si on ne veut pas de campements gênants en centre-ville, je me dois d’agir”. Attention, ici, agir ne veut absolument pas dire trouver une solution pour l’aide de ces migrants dans sa ville. Ici, agir signifie disposer des rochers dans des zones du centre-ville pour bloquer l’installation de tente ou de distribution alimentaire. Les politiques locales ne voulaient pas s’occuper des migrants, désormais, elles les chassent et les invisibilisent.
Maxence le Dauphin