Fumer ou ne pas fumer : une question d’argent ou d’image ?
« Tu fumes quel type de tabac ? » « Du … », « Tu l’achètes où ? » « En Belgique » répond Julien, 20 ans, fumeur depuis 2 ans. Et Julien n’est pas le seul selon le gouvernement, près de 12 millions de personnes fument en France. Malgré l’augmentation progressive du prix du tabac, le besoin d’acheter ces cigarettes, qui font partie d’une identité, d’un mode de vie, est bien plus fort. D’autant plus si le fumeur vit proche d’une frontière, comme celle de la Belgique, où le paquet de cigarettes coûte moins cher.
« La frontière belge peut être facilement atteinte en 15 minutes de marche », explique Julien. « Pour moi, c’est encore plus simple, j’habite à Tourcoing juste à côté de la Belgique. » Une fois arrivé en Belgique, les premiers tabacs apparaissent, les portes grandes ouvertes pour recevoir les acheteurs venus faire leurs provisions pour les jours à venir.
Mouscron est l’une de ces nombreuses villes de Belgique qui les accueille. Le propriétaire d’un bureau de tabac, à 30 pas de la frontière, affiche une clientèle française aux deux tiers : « Sur 300 clients par jour, 200 en sont. » Pourtant la Belgique connaît aussi une nouvelle politique tarifaire : « Ils ont augmenté depuis janvier, et ce, de manière progressive. Le paquet de … (marque de cigarettes manufacturées classiques) est passé de 8,80 € à 11 €, ce qui incite certains de mes acheteurs à arrêter de fumer. »
Pour beaucoup de ces vendeurs, c’est une perte d’argent énorme qui les attend, les obligeant à diversifier leurs produits (bières, chocolat, feux d’artifices). D’un côté, la concurrence est rude avec les bureaux de tabac luxembourgeois, situés à 2 h 30 en voiture de Lille, qui bénéficient de prix plus bas. De l’autre, l’idée d’une politique commune pour que le prix soit uniformisé n’est même pas envisageable pour les Belges : « La France reste à ce prix et nous au notre ! »
Vers une augmentation impactant la consommation
Selon l’INSEE, la France se démarque des autres pays européens par la quantité importante de tabac achetée hors des frontières. Des étudiants, comme Julien, en viennent même à acheter pour leurs amis, participant à une sorte de « trafic transfrontalier », leur permettant d’acheter leur paquet au prix de 7,90€ (prix du paquet de tabac à rouler de 30 g). « En France je pourrais dépenser presque 80€ par mois, ce qui est trop pour mon budget d’étudiant. Si le prix augmente, je serais trop dans la merde ! », raconte Julien.
L’achat de cigarettes et de tabac à rouler dans le réseau officiel français représente respectivement 82% et 14% des ventes de tabac. Bien que l’augmentation du prix semble être le meilleur moyen de forcer les gens à arrêter de fumer, l’arrêt total de la consommation de tabac est loin d’être atteint. De surcroît, ce changement de prix enrichit l’Etat. En effet, selon le bilan annuel de la douane en 2020, l’Etat a touché 15,3 milliards d’euros de taxes liées au tabac. Il n’a donc aucun intérêt à arrêter la vente même pour des raisons de santé publique. Dans les années 70, un homme français pouvait fumer entre un et quatre paquets par jour contre en moyenne 14 cigarettes aujourd’hui. Le prix a sûrement fortement influencé l’arrêt de la cigarette, comme les campagnes de publicité sur les risques liés à leur consommation. Pourtant presque 18% de la population française continue de fumer.
Outre l’addiction au tabac, les fumeurs sont dépendants du geste qui « fait partie du style et de la personnalité ». Les alternatives comme la cigarette électronique (CE) ou, celle qui fait fureur chez les jeunes la “puff”, l’ont démontré. Les Français ont grandi avec l’image charismatique du héros ou « main character » du film qui fume, beaucoup, si ce n’est pas à chaque scène : « fumer c’est un peu un aveu de faiblesse” ou à l’inverse , c’est respecter le fameux : “fume avant que la vie ne te fume”. Alors peut-être que l’arrêt de la clope repose moins sur l’augmentation de son coût que sur la déconstruction d’un mythe, d’une apparence, d’un symbole de liberté et de force, auquel on veut être associé.
Sophie Castagnet
Zoom sur
Une alternative à la cigarette : la snus
Faite à partir de poudre de tabac mâché humide et consommée principalement dans les pays scandinaves, la snus apparait comme la nouvelle alternative à la cigarette pour les jeunes. Entre abimer ses poumons ou ses gencives, le choix est vite fait chez les sportifs, « c’est un moyen de ne pas subir l’agression de la cigarette lors des entrainements » avoue Jules Buraud, ancien athlète au pôle espoir de snowboard.
Mais si cette habitude est aussi attractive, c’est en partie grâce aux effets immédiats qu’elle procure « c’est un moyen de se détendre, ou de rire plus fort en soirée », continue le Chamoniard. Car ces sachets blancs aux gouts de menthe, fruits rouges ou exotiques sont composés de verre pilé qui provoque des microlésions à la gencive et fait entrer la nicotine directement dans le sang. L’effet est instantané et le plaisir ressenti à l’origine de la dépendance. Seulement voilà, « on connait des copains à qui les gencives remontent presque jusqu’aux yeux », la snus, au même titre que toute dépendance n’est pas sans conséquence.
Le revers de la médaille pour un instant de bonheur : par les lésions cutanées la consommation de snus aggraverait les risques de cancer ainsi que les AVC et de développement du diabète de type 2. Sans négliger un risque de tabagisme hors du commun, car un sachet de snus suédois contient presque trois fois la quantité en nicotine d’une cigarette, entre 3 à 20 mg contre 1 à 3 mg. Ces snus là sont prohibés en France, les « white snus » vendues dans les commerces ne contiennent pas de tabac, seulement de la nicotine.
Il en faudrait pourtant plus pour sevrer Jules « On commande des centaines de boites en Suède et on les revend entre copains, c’est un énorme commerce », admet-il. Et à sept euros la boîte de 20 sachets, qui pourrait blâmer ces jeunes qui décident d’abandonner la cigarette à cette pratique nordique ? Parce ce que la faille se trouve en Suède, seul pays de l’Union européenne à autoriser la snus ainsi que sa vente. « Tout le monde sait que ce n’est pas une solution, mais les cigarettes valent cher et la snus parait moins nocive » se désole le jeune sportif.
Cléo Stamos