L’AEPF, substitut des îles polynésiennes dans l’Hexagone
Créée en 2020 par le Tahitien Kalei Siao, l’Aepf (Association des Etudiants de Polynésie Française) de Lille est une association à but non lucratif qui accompagne les étudiants polynésiens venus dans la capitale des Flandres pour poursuivre leurs études supérieures.
Collier de coquillage au cou, fleur de tiare à l’oreille et paréo noué sur les hanches, Leila fredonne la balade tahitienne Mihi au ia oe d’Andy Tupaia. Une chanson qui la transporte sur son coin de paradis, Tahiti, situé à 15 000 km de l’Hexagone. Depuis deux ans, l’étudiante en première année de Master, est présidente de l’Aepf de Lille. Une association qui a pour but de «rassembler la communauté tahitienne venue dins ch’nord».
Eh oui ! Ils sont à peu près une vingtaine de Tahitiens à avoir traversé la moitié du globe pour poursuivre leurs études supérieures à Lille cette année. « Dès que j’ai obtenu mon bac je suis partie», explique Kirei, étudiante en deuxième année de sociologie. Comme la jeune femme, ils sont environ 38 000 étudiants ultramarins à partir pour l’Hexagone chaque année pour leurs études supérieures. Effectuer son cursus universitaire en France métropolitaine est un passage obligé pour la plupart des étudiants polynésiens, la faute à une palette de formations restreinte. «J’ai des parents qui ont fait des études en France donc je savais que c’était une logique. J’avais envie de partir», affirme Rani, étudiante sage-femme. Quant à Laureen, étudiante en sciences politiques, c’est en s’informant sur la plateforme Parcoursup qu’elle se rendit compte que sa formation n’existait pas en Polynésie. Ohana et Tevainui, de leur côté, ont dû plier bagages en mai 2022 pour les oraux des concours de classe préparatoire.
Un aller sans retour au fenua ?
Diplôme en poche, la plupart des étudiants d’Outre-Mer n’ont qu’une envie : exercer chez eux. Malheureusement, certains Tahitiens sont contraints de rester dans l’Hexagone à la fin de leur cursus, la balance entre les postes disponibles et les demandeurs d’emplois ne penchant pas en leur faveur. Tout comme Rani qui s’est résignée : «J’ai dû faire un choix entre mon métier et mon île.» Kalei partage le même sentiment : «Je suis en France depuis 2016 et ne suis pas retourné à Tahiti dû à un manque d’ouverture de postes pour les jeunes ingénieurs.»
Vivre seul, loin de ses repères familiaux peut vite laisser place à la déprime. A l’éloignement s’ajoute également le choc des cultures : ce n’est pas toujours facile de passer du poisson cru au lait de coco à la tarte aux maroilles du Nord ! Mais quand les adhérents de l’Aepf se retrouvent, il n’en est rien. Guitares à la main et sourires aux lèvres, ils chantent à tue-tête. Ils sont tous d’accord sur ce point : l’Aepf c’est une grande bande de copains, et même pour certains une deuxième famille. A l’aube de ses
25 ans, Tuhei asserte «le fait de venir d’ailleurs et d’intégrer l’Aepf m’a fait me sentir comme chez moi, comme à la maison». Ohana se confie également : «Un an après mon arrivée, j’ai eu besoin de retrouver ce cocon réconfortant et c’est pour ça que j’ai intégré l’Aepf». Les plus timides affirmeront qu’il est parfois plus facile de se lier d’amitié avec des personnes ayant les mêmes expériences de vie que soi.
Vouloir retrouver ce cocon familial paraît évident pour tout étudiant loin de ses proches, d’autant plus quand on vient des Outre-Mer. L’Aepf c’est donc comme un substitut de ces îles polynésiennes qui permet aux adhérents de garder un lien avec leurs racines. « C’est quand on quitte son île qu’on commence à apprendre les chants polynésiens, qu’on cherche
à retrouver son identité culturelle » confie Leila.
On compte huit Aepf actives dans toute la France. Elles se retrouvent une fois l’an lors du “RASS” un rendez-vous mêlant à la fois tournois sportifs et spectacles de danse tahitienne. « Cette année ils étaient environ 350 polynésiens à avoir répondu présents au RASS », affirme Taitapu, président de la Fédération des Aepf. Un évènement attendu avec impatience qui, le temps d’un week-end, apporte dans son sillage le soleil des îles du Pacifique.
Nanihi Broséus
Vidéo : Être étudiant d’échange en Europe : une intégration locale et continentale dystopique
Un rêve ou une confrontation à la réalité, le programme de mobilité Erasmus peut se révéler être une prison dorée pour les étudiants qui choisissent de poursuivre leurs études dans un pays étranger. L’échange universitaire entre pays européens leur est vendu comme une utopie pour s’enrichir culturellement. Mais en réalité, les quelques lacunes administratives sur le plan d’intégration à la vie étudiante peuvent être pesantes pour ces étudiants une fois sur place.
Réflexion : De la nécessité de quitter son nid
Au fil des années, nous tissons là où nous avons grandi un cocon dont nous connaissons tous les recoins. Nous y avons bâti des habitudes et créé un quotidien dans lequel la place laissée à la surprise et à l’imprévu se réduit. Cette zone est confortable, agréable, connue. Pourquoi la quitter ?
En passant cette limite, on plonge dans l’inconnu, synonyme d’incertitude. On prend un risque. On saute. Dans le vide. Tel l’oisillon qui quitte son nid. Partir c’est arriver dans un nouvel endroit où il y a tout à reconstruire. Il faut recréer un endroit que l’on appellera « maison » plus tard. Aller vers les gens, que l’on appellera « amis » plus tard. Il faut rebâtir. Découvrir les rues, les arrêts de bus, les cafés. Trouver là où on ira faire nos courses. Cela demande du temps et de la persévérance. Au début on regarde chaque détail, tout est nouveau. Notre cerveau réenregistre des tonnes d’informations, c’est prenant, fatiguant, terrifiant. Alors à quoi bon ?
C’est en se retrouvant seul en territoire inconnu que l’on se rend compte de ce que nous sommes capable d’accomplir. L’homme ne s’est jamais surpassé lorsqu’il n’était pas menacé. En quittant le nid, on ne peut compter que sur nous. Et c’est là que l’on découvre vraiment ce que l’on est capable d’accomplir. En construisant petit à petit de nouvelles habitudes et en voyant les situations que l’on arrive à résoudre, notre confiance en nous grandie. De plus, on en apprend davantage sur nous-même, sur notre capacité à s’adapter au changement. On se sent capable. Quant à la multitude de possibles que cela ouvre, notre horizon n’en est que plus radieux.
Louise Basson