Faire du slam en étant une femme issue des quartiers populaires de la banlieue parisienne. Voici toute la complexité que Youcera Derbal, 20 ans, tend à retranscrire dans ses textes. De ses premiers vers à sa première scène ouverte, elle nous raconte un parcours aux débouchés difficiles.
D’une apparition timide en France dans les années 90, jusqu’à une considération totale récemment à l’Académie française, le Slam a acquis une place bien définie dans le paysage musical contemporain. Situé entre la poésie et le rap, ce style dresse un portrait engagé souvent familier sur la vision de la société avec des instruments peu nombreux ne servant qu’à accompagner la voix.
Lâcher la plume
Au milieu de tout ça Youcera Derbal dite Jeune Banlieusarde, «a trouvé son bonheur». Cela s’est même avéré être « une évidence » lorsqu’elle a mis les pieds à un atelier de slam en troisième, à son commencement. Poussée par sa professeur de français, elle enchaîne avec ses débuts en scènes ouvertes où « les premières fois avec un micro dans les mains sont stressantes », raconte-t-elle mais resteront « à jamais gravées dans ma mémoire ».
Elle, face au monde. Elle, face à elle-même. Elle raconte : sa vie, ses échecs, ses craintes, le monde qui l’entoure, son quotidien. Un quotidien que la native de Mantes (78) comble avec une licence en histoire à la faculté de Lille et des petits travaux afin d’avoir un budget pour mener à bien son projet. Cette activité est en quelque sorte une thérapie qu’elle entreprend. Un exutoire où « il suffit que quelque chose se passe dans le métro, qu’une musique que j’écoute me transcende et je sens en moi l’envie d’en parler, de l’écrire », avoue la jeune artiste. La peur de la page blanche est alors lointaine lorsque la plume se lâche. Une plume en qui elle a « totalement confiance ».
Un rêve presque “inatteignable”
Le nom, explicite, de son projet intitulé Jeune Banlieusarde, est pourtant arrivé par hasard il y a deux ans en cours de terminale. « Un jour, mon prof principal à qui j’avais envoyé mes textes m’a pris au dépourvu et m’a dit de faire mon texte, alors intitulé Jeune Banlieusarde, devant tout le monde », raconte Youcera. Ce n’est qu’après ce moment anodin que lui est venu l’idée de son nom de scène. Tout d’abord, car son entourage a « associé ce texte à ma personnalité qui était authentique », mais également parce qu’elle estimait que « sa place au sein du système français faisait écho avec ce nom ».
Au départ vu comme un simple passe-temps, l’étudiante vit, à mesure que son encre coule, avec cet espoir « de pouvoir vivre un jour de cette passion ». Cette dernière engrange de l’expérience, sait faire face aux critiques : « à partir du moment où tu publies ton contenu sur les réseaux sociaux, il faut s’attendre à ce que tu aies des retours négatifs. », commence l’intéressée. Pour y faire face, elle a le cran de dire qu’elle raconte un vécu qui peut toucher plein d’autres personnes et pas seulement son histoire personnelle. En revanche, Youcera reste réaliste et sait que « cela reste très compliqué et presque inatteignable en tant que slammeuse » mais si l’occasion se présentait Jeune banlieusarde « le ferai sans hésiter ».
Youcera Derbal reste encore loin de ses inspirations telles que « Kery James pour sa manière de dénoncer » ou « Grand Corps Malade pour sa technique » mais celle-ci n’oubliera surtout pas d’où elle vient et sa prof de français à qui « elle doit cette passion ».
Marius Grébo
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La New Wave ? Encore ?
Si vous êtes cinéphile vous avez sans doute entendu parlé de la Nouvelle Vague du cinéma français dans les années 50, ce n’est pas ça. Mais peut-être que si vous entretenez des liens plus étroits avec notre quatrième art vous connaissez la New Wave des années 80. Ce genre musical arrange rock, punk et reggae, le tout biberonné aux synthétiseurs et aux boîtes à rythmes. Et bien raté aujourd’hui on parle de la New Wave au sein du rap français.
Le rap français brille par sa diversité, pourtant un ressenti se répète au sein des auditeurs : le rap mainstream s’essouffle, on tourne en rond. Les têtes d’affiches n’arrivent plus à proposer du nouveau contenu. Il leur est reproché d’être répétitif, répétitif car sans prise de risque, répétitif au détriment de la qualité du rap pour faire du chiffre. Les scènes alternatives attirent donc automatiquement l’oreille des auditeurs en soif de rafraîchissement.
Deux rappeurs semblent incarner ce nouveau souffle. En 2018, Khali et La Fève publient leurs premiers morceaux. Rapidement, ils inscrivent leur nom dans le monde du rap. « On cherche à avoir notre propre identité musicale et je pense que c’est ce que cherchent les gens maintenant. Ils en ont un peu marre des sonorités classiques et ils cherchent des identités fortes. » La Fève. Ils ne font pas un meilleur rap, mais bien leur rap. L’importance accordée aux productions ne reflète que l’importance que ce nouveau genre met dans ses paroles. L’écriture est juste, incisive et sans filtre, on s’exprime sans utiliser les codes des auteurs mainstream.
Pol Blanchard
Jules EUZEN