La réduction des risques au service des plus vulnérables
Depuis 2006 en France, le label « CAARUD» est attribué à des établissements qui proposent un accompagnement pour les consommateurs de drogues. Ces accompagnements se traduisent entre autres via l’accès gratuit à des outils de réduction des risques, comme des seringues stériles. Nombre d’entre eux proposent aussi des dispositifs liés aux pratiques sexuelles (dépistages, capotes). Ces CAARUD, accueillent par extension souvent des publics plus vulnérables.
« C’est une grande famille, surtout pour ceux qui sont en rupture avec la leur. » Sur la fiche Google du CAARUD lillois « Aides », on peut trouver de nombreux messages similaires. « Aides » comme d’autres établissements avec le label CAARUD, accueillent chaque jour (ou presque) un public qui nécessite des outils de réduction des risques. Pipes à crack, capotes, seringues, la liste est longue. Le but ? Proposer des dispositifs qui apportent un peu plus de sécurité dans des comportements à risques. Si la bonne vieille méthode répressive ne semble pas avoir fait ses preuves, celle de la réduction des risques vise à accompagner sans stigmatiser, à soutenir les plus fragilisés. Dans les locaux, la distribution de matériel stérile se fait sous anonymat. Si un pseudonyme peut être demandé, une identité officielle n’est pas nécessaire pour discuter et trouver un peu de réconfort. En plus des matériels distribués, les CAARUD proposent en général aussi des suivis médicaux et des analyses de drogue pour certains.
Un refuge à soi
En plus d’accompagner, les CAARUD prennent la forme de refuge pour les personnes les plus vulnérables, souvent en situation de grande précarité. Les locaux de ces établissements, leurs canapés à disposition et parfois des douches et sanitaires en font des espaces de repos, de pause pour celles et ceux qui n’en auraient pas. A Lille, le « sleep-in » est un hébergement d’urgence adoptant la réduction des risques, qui fonctionne en dehors de la liste du 115. Ceux refusés des autres accueils d’urgences, peuvent ici trouver une place, même en cas d’addiction à des substances. Si les personnes sans-abri consommatrices peuvent ici s’abriter, ce n’est pas la seule population vulnérable à qui la réduction des risques rend service. « Entre’acte » association Lilloise elle aussi, s’oriente pour aider les travailleur.euses du sexe usager.es de drogues ou non. Que cela soit sous forme d’unité mobile la nuit, ou de locaux en journée, Entre’acte cherche à répondre aux besoins basiques des travailleur.euses du sexe (manger, boire, se soigner, se loger). Avec consommation de drogues ou non, la réduction des risques est aussi orientée pour se protéger durant ou après des rapports sexuels. Mais malgré toutes ces associations Lilloises, qu’en est-il du futur de la réduction des risques sous différentes formes ?
Flyer de l’association Spiritek sur la vulnérabilité chimique.
Pousser la politique à bout
Si aujourd’hui la consommation même de drogues est interdite à l’intérieur des CAARUD, des salles de consommation à moindre risque existent dans quelques villes françaises. Aussi surnommées « salles de shoot », ces établissements proposent un espace et du matériel stérile pour s’injecter leurs propres substances de manière sanitaire et supervisée. Ces salles, poussent la politique de réduction des risques d’autant plus loin et partagent les mêmes buts, ceux d’éviter au maximum la transmissions d’IST et les overdoses ou « bad trip ». En juin 2021, Martine Aubry la maire de Lille, avait annoncé la création d’une de ces salles pour sa ville, qui sera par la suite bloquée par Gerald Darmanin, ministre de l’Intérieur. Malgré l’abandon de ce projet, les politiques de réduction des risques tant à Lille qu’au niveau national, semblent avoir fait leurs preuves pour la réduction de transmission des IST, des overdoses tout comme pour l’accompagnement de personnes en grande exclusion.
Juliette Jaffrot
Vidéo sur la consommation de drogue chez deux jeunes (anonymes)
Réduction des risques liés aux drogues : une légalisation encadrée par la santé publique
Bien qu’interdite en France et en Belgique, la consommation de psychotropes est un phénomène ancré dans de nombreux festivals et événements musicaux. Consciente de cette réalité, l’association belge Modus Vivendi milite en faveur de la réduction des risques liés aux drogues dans les milieux festifs. Une approche plus pragmatique, promouvant une légalisation encadrée par les services de santé et une conscience des risques par les consommateurs.
Légaliser ou interdire, une observation est claire : les politiques en matière de drogues en Belgique comme en France sont obsolètes face à la réalité du terrain. Illia Sarkissiane, assistant social, travaille depuis 10 ans à Modus Vivendi, une ABSL (Association Sans But Lucratif) spécialisée dans la lutte contres les risques liés aux drogues, à Bruxelles. Il fait lui référence à la loi de 1921 mise en place en Belgique, pour interdire la vente, l’achat ou la consommation de drogues dans des locaux : « A cause de cette loi, c’est très difficile d’ouvrir des salles de consommation à moindre risque. On a deux salles de consommation en Belgique qui ont été créées et qui tiennent contre l’avis du pouvoir fédéral. On est dans une faille au niveau de la loi. » Sans réelle perspective, avec une prohibition qui nie l’existence de la consommation et augmente les risques, il faut envisager une nouvelle approche. Et pourquoi ne pas s’intéresser à la santé des principaux concernés ?
A l’échelle locale, les associations de réduction des risques représentent cette démarche, c’est-à-dire accepter la consommation mais l’encadrer d’un point de vue sanitaire et social. « Le fait qu’il y ait des produits coupés, que la vente soit tenue par des mafias et qu’on n’ait aucun contrôle sur les produits augmente les risques. Au Portugal, où s’est dépénalisé les gens n’ont plus affaire à la police mais à la santé publique », illustre Illia Sarkissiane. En cela, le nom de l’association Modus Vivendi est évocateur de leur position sur le sujet. Signifiant « manière de vivre » en latin, cette expression est définie comme un accord permettant à deux parties en litige de s’accommoder d’une situation.
« Pour et par les jobistes »
Modus Fiesta, branche de l’association Modus Vivendi, est spécialisée dans la réduction des risques dans les milieux festifs et possède le label Quality Night. Présent aussi à Lille dans certains établissements comme Le Bistrot Saint So, ce label assure l’existence de « services de santé » dans les évènements festifs. Ces derniers, représentants les principaux espaces qui regroupent les nouveaux et anciens consommateurs, l’importance de cibler ces lieux est devenue essentielle. Ainsi, aujourd’hui, les actions de réduction des risques s’étendent au-delà des raves et des free parties, pour inclure les soirées étudiantes, les festivals et même certains lieux comme les locaux d’accueil de Modus Fiesta. Avec l’évolution des scènes festives et des manières de consommer, le paysage des intervenants s’est diversifié et leurs actions aussi.
Liste des matériels mis à disposition des consommateurs par le CAARUD Spiritek
On ne les nomme d’ailleurs pas intervenants dans les locaux de Modus Fiesta mais plutôt « jobistes ». Des bénévoles consommateurs, qui sont formés par l’association pour prévenir et sensibiliser aux risques. Les jobistes sont pour la plupart présents lors des interventions « Drogues risquer moins » sur des stands mais aussi dans les locaux de Modus Fiesta. Illia Sarkissiane explique : « Le reste des permanences sont assurées par nos jobistes. C’est un lieu communautaire qui est occupé pour et par les jobistes. » La réduction de risques c’est aussi la nécessité de faire confiance et d’aider sans jugement. L’association travaille surtout avec le principe de pairs : « Ce sont souvent des jobistes ou des potes de jobistes qui
viennent. C’est du bouche à oreille. On a un public sensible à la réduction des risques, avec une moyenne d’âge de 25 ans et qui consomme de manière festive avec peu de problèmes d’addiction », précise Illia Sarkissiane. Ainsi, la stigmatisation ou la criminalisation des fêtards consommateurs n’a pas sa place. La démarche est plutôt justifiée par l’envie de se protéger et de s’entraider.
L’accent est aussi mis sur la gestion de la consommation par les organisateurs d’événements festifs. En effet, les boîtes de nuit et festivals font face à la difficulté de respecter les réglementations en vigueur tout en garantissant la sécurité et le bien-être du public. Des associations comme Rave Safe accompagnent les collectifs dans la mise en place de dispositifs de bienveillance et de réduction des risques. En montrant aux organisations une nouvelle manière de gérer le problème, elles permettent de peu à peu faire rentrer la réduction des risques comme voie possible dans la gestion des drogues. La réduction des risques, signifiant implicitement l’acceptation de son usage, est peut-être la moindre solution pour lutter contre ses dangers. Ainsi, il est peut-être temps d’ouvrir le champ des possibles, en plaçant la santé et le bien-être des consommateurs au centre des débats et politiques publiques.
Carla Bitto
QUARTIER LIBRE : Trajet d’un cachet
Il doit être trois heures du matin quand J. s’éclipse dans les toilettes de la boîte, il revient amoureux du monde, lunettes cœur, il a les yeux fermés, trop lourds, il mâche un chewing-gum imaginaire. Danse, aime, danse. Il reste des paillettes sur nos fronts humides, on danse. J. a les yeux trop grands, un cachet dans tout son sang. Il danse.
La drogue est indissociable du monde de la nuit : paradis artificiel, enfermé.es dans une boîte, le son sonne plus fort, les gens dansent mieux. Sous les paillettes, la violence. Viol/rejet/ le tout du vide d’existences trop grandes, trop vivantes, trop belles. La drogue chez les trans-pédés-gouines comme moyen de survivre, trop souvent, paradoxe.
J’entends ce soir à la radio, à Bruxelles une salle de torture dans un container de bateau. Pas un jour sans règlement de comptes à Bruxelles : 1er arrêt du Flixbus après Lille Europe, les tirs, les enfants, le pouvoir, les sachets, la blanche. A Bruxelles. C’est drôle, ou pas tant, le trajet d’un cachet/ poudre/résine, montagnes du loin, où est interdit le « non ». Bateau,
avion, slip d’un passeur payé pour peut-être mourir, peut-être payer ses factures – dealer du coin, le contact du pote de ta colloc’, ou de sa voisine peut-être.
Acheter son carton de L à un gars sous contrat officieux ou une bouteille au gars sous contrat officiel ? Narcotrafiquant ou capitalisme insidieux : l’existence paraît plus simple, plus belle, un carton pour un Disney moins cher, pas loin de la maison.
La drogue c’est pas bien, pas beau, méchant. Pas de consommateurices, pas de trafic. Pas de problèmes, pas de consommateurices. Cercle infini depuis toujours ou peut-être qu’un commerce équitable, local et encadré, préventif et adapté sauverait des vies partout ?
Eloïse Adamo
Photos de Clara Boutrand
Vidéo d’Elouenn Guitton