Quand les étudiants prennent en main leur alimentation
Posted On 30 octobre 2024
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Les distributions passent mais la file indienne reste. Elles aident les étudiants face à l’urgence. Mais plus que refourguer les invendus, remplir des ventres avec la bonne conscience de lutter contre le gaspillage, il est question de justice face à l’alimentation. Dans une société où les inégalités se creusent, le problème est déjà de manger. Linkee s’attaque à celui de bien manger, ne pas oublier les besoins qualitatifs. Mais c’est aussi manger local. Certes les plus aisés ont accès à une alimentation variée, mais est-ce bien manger qu’un panier bio de produits aux origines exotiques ?
Nombreux sont les étudiants pour qui les bourses ne sont pas suffisantes. « Certains soirs je me dis qu’il vaut mieux ne pas manger », confie Élie, étudiant et boursier échelon 7 (celui le plus élevé). Les paniers lui permettent de faire de grosses économies sur ses courses : « J’arrive à ne pas dépasser 35 euros pour 2 semaines. » Certes, le Crous offre sur demande 100 repas gratuits mais très peu sont ouverts le soir à Lille. Même un étudiant non boursier peut vite se retrouver dans la précarité. « Pourquoi tout le monde ne bénéficie toujours pas du repas à 1€ ? », s’indigne Sara, étudiante et bénévole de l’association depuis 1 an. Pour elle, « bien plus d’étudiants devraient pouvoir bénéficier d’une bourse. Les critères ne correspondent pas à la réalité de chacun ». C’est pourquoi, les distributions sont ouvertes à tous, pas besoin de justifier sa précarité, vécue comme « une perte de dignité » déplore Mathilde (étudiante bénéficiaire).
Le bénéficiaire, rapidement entraîné dans la dynamique, n’est plus passif d’une charité descendante. Presque tous les bénévoles sont aussi bénéficiaires. Se considèrent-ils d’ailleurs comme bénévoles ? Avant tout, ils agissent. « Nous sommes 230 », affirme Sara. Ce nombre permet de mettre en place une organisation souple et non-hiérarchisée où chacun peut prêter main forte à sa hauteur ; de la collecte à la distribution. Cet engagement ponctuel favorise en fait, un engagement citoyen continu. « C’est pour ça que ça ne pue pas la déprime », il y a un vrai lien social qui se crée. C’est un moment de partage et d’échange qui vient « compenser le sentiment de déclassement », dit aussi Mathilde.
Il y a un bien un mépris de classe avec la malbouffe pour les quartiers populaires. Le taux d’obésité est lié au lieu d’habitation, à la précarité, au milieu d’origine. La démocratie alimentaire passe par le rapprochement du producteur et du consommateur pour que bien manger ne soit plus un privilège. « Tu n’achètes pas de légumes si tu n’as pas de sous », affirme Sara. « 1kg de pâtes, c’est 70 cts, des endives c’est 2,30€ », confirme Mathilde. Linkee constitue des paniers frais, équilibrés et diversifiés en s’appuyant sur un réseau d’entreprises et de producteurs locaux que l’association essaie de pérenniser. Souvent, les produits n’ont pas pu être vendus mais dans la majorité des cas « c’est une question de date de péremption ou de calibrage pour la grande distribution », selon Sara. D’autres alternatives solidaires et économiques permettent de reprendre le pouvoir d’agir sur l’alimentation comme les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) qui elles, soutiennent les producteurs. Pour Sara, « cette solidarité devrait s’appliquer à toutes les échelles » de la vie des étudiants, toujours trop chère.
Félix Aguado
Photographies de Ambre Michelet
Dans un contexte d’inflation des denrées alimentaires, les étudiants sont aux premières lignes. En plus des conséquences liées à la crise sanitaire, viennent s’ajouter des difficultés d’approvisionnement. Le phénomène, pourtant régulièrement relaté dans les médias, est peu étudié par les chercheurs.
L’association COP1 a pris les devants et mène des études sociologiques sur les étudiants pour améliorer son dispositif d’aide et faire un état des lieux de la situation. Comme Linkee, elle œuvre pour la solidarité étudiante et propose des actions variées : distribution alimentaire / vestimentaire, accès à la culture et au sport, accès aux droits…
Leur dernière étude est une enquête quantitative effectuée auprès d’un échantillon d’étudiants précaires et bénéficiant des services de COP1. Une autre enquête similaire, réalisée en partenariat avec l’IFOP (Institut français de l’opinion publique), concerne un échantillon représentatif de la population étudiante en France.
Un étudiant sur deux a déjà supprimé un repas et plus d’un tiers indiquent qu’il leur arrive de se dire qu’ils pourraient avoir à se procurer des denrées alimentaires auprès d’associations. Avec une augmentation de 20% sur le prix de certains produits, 69% des étudiants privilégient le hard discount (Lildl, Aldi). Cependant, les renoncements à l’achat ne concernent pas uniquement les produits alimentaires mais aussi la quasi-totalité des biens et services : les loisirs, l’habillement, le logement, l’hygiène, etc…
Charlotte Blondeau
Vidéo de Noa Lakard
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