Femmes et sciences, les racines d’une équation complexe
Le constat est sans appel, les filles sont moins représentées dans les études de sciences dites « dures ». Et c’est loin de s’être amélioré avec la réforme du lycée de 2019. Pour Mmes Barrau, Boullery et Slovacek-Chauveau, respectivement les représentantes des associations Femmes et Sciences, Femmes Ingénieures et Femmes et Mathématiques, cela résulte d’une conception genrée de ces filières et métiers. En France notamment, les femmes voulant poursuivre des études scientifiques ne correspondent pas aux normes sociétales, et cela depuis que ces domaines sont apparus.
« J’ai souvent été interrogée, surtout par des femmes, sur la façon dont je pouvais concilier vie familiale et carrière scientifique. Et bien ça n’a pas été facile ! » Ces phrases sont prononcées par Marie Curie en 1925. Croyez le si vous voulez mais elles sont toujours d’actualité aujourd’hui. Dans une société formatée par les stéréotypes de genre selon lesquels une femmes doit avant tout s’occuper de sa maison et de ses enfants, voire de ceux des autres, envisager une carrière scientifique est relativement compliqué.
Comme le dit Mme Slovacek-Chauveau, présidente d’honneur de Femmes et Mathématiques, « les filles ne s’auto-censurent pas, c’est la société qui le fait.». Et pourtant cette auto-censure est facilement envisageable au vu de l’impact qu’ont certaines actions associatives sur la confiance en elles des jeunes filles. Femmes et Mathématiques met en place depuis 2016 les Rendez-Vous des Jeunes Mathématiciennes et Informaticiennes (RJMI), avec l’association Animath, et sa présidente d’honneur constate : « Après leurs participations aux Rendez-Vous les filles sont plus enclines à s’inscrire à des compétitions mathématiques mixtes et passent un cap au niveau de leur confiance en elles. » De son coté Mme Boullery ajoute : « Quand les filles sont seules, durant les interventions dans les classes, elles prennent la parole sans hésiter. »
Si ce manque de confiance est bien présent, il n’est pas le seul facteur à rentrer en compte dans l’orientation des jeunes filles et encore moins le plus déterminant. Mme Boullery rappelle : « L’orientation doit maturer et est influencée par beaucoup de personnes et d’instances : les parents, le personnel enseignant, des personnes extérieures comme nous avec nos interventions et la société. »
Contrer les barrières sociétales
Et justement, la société fait obstacle aux carrière scientifiques des femmes. En plus d’être la coordinatrice de la région Hauts-de-France pour l’association Femmes et Sciences, Mme Barrau est aussi enseignante chercheuse en physique à l’Université de Lille et responsable de cette licence. Elle raconte : « Lors de mon entretien d’embauche, en 2008, il n’y avait que des hommes. C’est un problème car on a tendance à ne recruter que les personnes qui nous ressemblent. » Si les comités de recrutement sont maintenant obligés d’être composés à 50% de femmes, la faible présence de ces dernières dans les instances dirigeantes est néanmoins encore d’actualité. Tout comme la vulgarisation scientifique qui n’est majoritairement faite que par des hommes et le fait, qu’à métier équivalent, le salaire d’une femme est 20% inférieur à celui de son homologue masculin. Ajoutez à cela la culture populaire qui associe les sciences aux hommes et vous obtenez un tableau des études scientifiques pas très appétissant pour toute jeune fille en train de construire son orientation. Pour Mme Boullery, « L’âge de l’orientation des élèves est aussi un problème. Maintenant, ce choix se fait en seconde, un moment où le contenu des réseaux sociaux, qui ne prônent pas l’image de la femme scientifique, a un poids énorme.».
Le principal axe de travail est la création d’un vivier de scientifiques avec un « e ». Mme Boullery le dit : « Pour que les choses évoluent, il faut qu’il y ait 30% de femmes dans les entreprises. » La mise en place de quotas est une des idées pour atteindre cet objectif mais ne fait pas l’unanimité. Mme Barrau est de son coté catégorique, « les quotas peuvent résorber les inégalités plus rapidement que nos actions qui ne porteront leurs fruits que dans dix ans ». A une échelle régionale, des actions sont menées auprès des filles pour qu’elles envisagent ces carrières pour elles même et pour leur montrer qu’harmoniser ses vies professionnelle et personnelle n’est plus aussi compliqué qu’au temps de Marie Curie. C’est le cas du mentorat pour les doctorantes de l’Université de Lille mis en place par Femmes et Sciences depuis 2022.
« Nos actions permettent juste de maintenir le nombre de filles en sciences, pas de l’augmenter, mais si on ne fait rien, c’est sûr que ce nombre diminuera ! »
Isabelle Boullery
En bref, pour combler ce manque de femmes dans les études scientifiques, c’est d’abord toute une société qu’il faut remodeler. Car si les actions menées par les associations ont un impact localement, comme le dit Mme Boullery, « [elles] permettent juste de maintenir le nombre de filles en sciences, pas de l’augmenter, mais si on ne fait rien, c’est sûr que ce nombre diminuera ! ».
Liv Roinel
Le saviez-vous ?
"On encode les stéréotypes de genre"
Isabelle Boullery
L’absence de filles dans les filières scientifiques, observée dès le lycée, se prolonge souvent dans l’enseignement supérieur. Selon une étude de la sociologue Marie Duru-Bellat, ce phénomène résulte de stéréotypes de genre profondément ancrés, qui orientent les filles vers des filières jugées plus « féminines» dès le début de leurs parcours scolaire. Une enquête du ministère de l’Éducation nationale révèle qu’en 2022, 56% de la totalité des élèves étaient des filles, contre seulement 34% en filière scientifique. Ce déséquilibre se renforce à l’université : les femmes ne représentent que 28% des effectifs en écoles d’ingénieurs.
La réforme du bac, introduite en 2019, a exacerbé cette tendance. En supprimant les filières S, L et ES, et en laissant les élèves choisir leurs spécialités, la proportion de filles dans les sciences a encore chuté. Nombreuses d’entre elles abandonnent les spécialités mathématiques ou physiques, influencées par une perception biaisée de leurs capacités. Selon l’Institut des Politiques Publiques, cette réforme a davantage renforcé les inégalités entre les genres, et les effectifs scientifiques se sont effondrés : moins 30% de garçons, contre une chute de 60% chez les filles.
Cette absence de diversité pourrait affecter gravement l’avenir des secteurs clés comme la santé, l’ingénierie et la recherche scientifique. Moins de femmes dans ces domaines signifie un appauvrissement de la diversité des perspectives, indispensables à l’innovation.
Kéziane Boutouil
Vidéo : Jeanne Brienne
Photos : Titouan Gaborieau