L’engagement militant connaît un phénomène d’épuisement de plus en plus mis en lumière ces dernières années, notamment sur les réseaux sociaux. Nous avons rencontré plusieurs personnes engagées dans diverses causes, afin qu’elles partagent leur expérience du militantisme, pour comprendre les facteurs déclencheurs de ce burn-out, et proposer des solutions pour l’éviter.
Origines du terme
Le burn-out militant, initialement synonyme d’épuisement professionnel, a été introduit dans le milieu militant par des mouvements féministes. C’est Anaïs Bourdet, créatrice du site Paye ta shnek, qui, en 2019, a été la première à tirer la sonnette d’alarme sur la manière dont son engagement impacte sa santé physique et psychologique.
Qualifié parfois par les pouvoirs publics de « islamo-gauchisme » ou d’« écoterrorisme », le militantisme est une forme d’engagement, souvent protestataire, pour une cause morale ou contre une injustice. C’est une activité coûteuse pour les individus, car elle demande beaucoup de temps et d’énergie. Vêtu d’un large sourire et de son long manteau, Louis Marjollet est étudiant et militant au sein du syndicat l’Union Étudiante Lille et vice-président étudiant au sein du Crous des Hauts-de-France. Il déclare : « Toute ta vie tourne autour du militantisme, ça devient la priorité : tu vois moins tes amis, tu ne fais plus rien à côté. » Il est en effet difficile d’arrêter l’engrenage avant la surcharge émotionnelle. « Une fois que tu es dedans, tu y vas, tu ne réfléchis plus », affirme-t-il. Les activistes se retrouvent rapidement confinés dans un entourage uniquement militant et ont de nombreuses responsabilités, impliquant pression et fatigue. L’engagement impacte aussi l’évolution professionnelle. Jean-Paul Verdierre, secrétaire général de l’union locale CGT de Seclin, explique que son engagement syndical a freiné son parcours : « En cinquante ans de carrière, je suis le seul parmi mes collègues à n’avoir été que employé ou ouvrier. »
Des facteurs multiples
Le burn-out peut être causé par les relations internes aux organisations : « Il peut y avoir des pressions exercées notamment par la hiérarchie », révèle Louis. Mais aussi selon les objets de revendication : l’éco-anxiété, par exemple, est très présente chez les écologistes, comme le combat féministe peut réveiller des traumatismes liés aux violences sexistes et sexuelles. Selon Louis Marjollet, l’appartenance à une minorité multiplie les risques de surcharge émotionnelle. En effet, les milieux militants ne sont pas imperméables aux systèmes de domination sociétaux.
Jean-Paul Verdierre explique qu’en entreprise, les droits des délégués syndicaux du personnel sont très affaiblis : restreints en temps et en nombre, ils subissent une double pression des salariés et de certaines directions. Il s’opère alors aussi un sentiment d’échec personnel. « Puisque nous sommes des opposants, il y a une insatisfaction structurelle de fait », déclare Louis. « On peut avoir l’impression d’être utile sur le plan social, mais au niveau institutionnel, n’avoir aucune prise.
Un mal évitable
Il est cependant possible de limiter les risques de burn out chez les militants. Sur le plan personnel, il est nécessaire de poser des limites : « Il faut des moments où l’on se coupe entièrement de l’activité militante et politique, et s’imposer d’autres activités », affirme Louis. « Moi par exemple, je fais du handball chaque mercredi. Cela me permet de me vider la tête. »
Eloïse Hivez, étudiante en science politique et militante, a elle décidé de quitter les organisations. Elle affirme qu’« Il faut arrêter les discours culpabilisateurs sur le désengagement ». Elle privilégie la Co-mob’ (Co-mobilisation) ce qui lui permet d’être plus libre et de varier son engagement d’une semaine à l’autre. « Ça va plus lentement mais tu arrives quand même à obtenir des choses, et au moins tu penses à ta santé mentale », remarque-t-elle. Eloïse explique que selon elle, ralentir la cadence, en s’occupant d’un projet à la fois, permet d’éviter l’éparpillement, qui peut, à terme, mener à la surcharge.
D’autre part, il s’agit de limiter certains facteurs aggravants au sein des organisations. Cela peut passer par une décentralisation des responsabilités, afin de mieux répartir la charge de travail ; mais aussi par la formation des militants, pour faire de la prévention sur l’impact de l’engagement sur la santé mentale, ainsi que sur l’inclusivité, afin de conscientiser les potentiels mécanismes de domination et de pression interne.
Par Clémentine Dautigny
Qu'est-ce que le burn-out militant ?
EN SAVOIR PLUS : burn-out ou dépression ?
Si burn-out et dépression sont souvent confondus, il existe pourtant des distinctions majeures entre ces deux états psychologiques. La dépression est un trouble mental caractérisé par une tristesse constante, un manque d’entrain, parfois des idées noires. Le burn-out, lui, est lié à une fatigue physique, émotionnelle et mentale intense résultant d’une exposition prolongée à des situations de stress. Le burn-out réside aussi dans une sorte d’hyperactivité : on parle de “tachypsychie”, c’est-à-dire une accélération anormale du cours de la pensée. Pour une personne atteinte de dépression, il s’agît d’une “bradypsychie”, qui se traduit souvent par un ralentissement généralisé des pensées.
L’autre différence majeure concerne la prise en charge des arrêts maladies liés aux burn-outs. En effet, dans l’immense majorité des cas, les burn-out ne sont pas considérés comme des accidents du travail en France. Ils sont pris en charge comme une maladie classique par la caisse primaire d’assurance maladie. À contrario, la dépression est indemnisée par la branche « accident du travail, maladie professionnelle » financée par les cotisations patronales. Pourtant, les partenaires sociaux ne s’accordent toujours pas pour reconsidérer le burn-out comme maladie professionnelle.
La prise en charge par des professionnels de santé de ces deux troubles est indispensable pour pouvoir correctement les traiter. Toutefois, la sortie de ces maladies ne s’accompagne pas de la même façon, d’où l’importance de poser un diagnostic exact.
Par Noémie Guglielmi