Standardisation alimentaire, quand le beau remplace le bon
Si les fruits et légumes hors calibres peinent à trouver leur place dans les rayons de nos supermarchés, faute à une standardisation imposée par la mondialisation, le label Les Gueules Cassées tente, depuis une dizaine d’années, de revaloriser ces produits atypiques.
Des tomates rouges pétantes, des courgettes bien droites et des pommes parfaitement rondes, c’est ce sur quoi l’on tombe dans la plupart des rayons de supermarchés. Une standardisation contre laquelle l’entreprise Sols et fruits essaie de lutter depuis quelques décennies. D’abord en créant le label Solidaire et Gustatif pour protéger des variétés de fruits et légumes à l’ancrage territorial fort, puis en 2014 avec le label Les Gueules Cassées pour valoriser des produits à l’esthétique peu flatteuse et proposer une alternative aux agriculteurs. “Jusqu’alors les producteurs n’avaient pas d’autre solution que de les vendre à l’industrie pour en faire des jus et des compotes rémunérés de manière très minimaliste”, explique Renan Even cofondateur du label, avant d’ajouter : “L’objectif est de rendre accessible aux consommateurs des produits de qualité tout en proposant une alternative plus juste au producteur.”
Des produits souvent délaissés en grandes surfaces
Si le label se présente comme une alternative économique viable pour les producteurs et les consommateurs, il apparaît à son lancement également comme une “bouée de sauvetage” auprès de la grande distribution qui cherche à verdir son image. “Les enseignes ont été très motivées pour détenir les produits, mais les mettre en vente de façon qualitative dans les rayons, ça a été une autre paire de manches”, constate celui qui est à l’origine du projet avant d’ajouter : “Les enseignes sont maintenant plus réticentes à mettre en avant nos produits, car malgré leurs défauts, ils sont aux même prix que des produits calibrés et quand le consommateur a le choix, il se tourne le plus souvent vers le produit le plus joli qui est bien souvent le moins bon”. Un choix qui dépend essentiellement de l’éducation et des habitudes de consommation, analyse Cindy Lombart enseignante chercheuse en marketing : “Pour une personne habituée aux produits de la terre, un légume imparfait est souvent perçu comme naturel et synonyme de fraîcheur, tandis qu’un consommateur qui a toujours fréquenté les grandes surfaces associera davantage la qualité à la perfection visuelle”.
Eduquer pour mieux consommer
Une tendance à préférer l’apparence au goût qui n’est pas sans conséquences rappelle Renan Even : “On jette l’équivalent d’un stade de France rempli à ras bord de marchandises alimentaires par an et on estime que cela représente entre 10 et 15% de produits hors calibres”. L’entrepreneur breton, en est convaincu, pour renverser la vapeur et remettre le goût au premier plan, il faut éduquer davantage les consommateurs sur cette question-là. Un constat partagé par Frédéric, responsable fruit et légume d’un magasin Biocoop à Lille : “Dans notre magasin, on essaie de diriger les clients vers des produits par lesquels ils ne sont pas directement attirés pour leur montrer qu’ils peuvent être surpris par leur goût”. Le commerçant qui propose par exemple dans son rayon des carottes trop petites ou des poireaux aux feuilles tachées, veut montrer que ces quelques défauts ne dénaturent pas la qualité des légumes, bien au contraire. “Nos carottes par exemple, poussent dans une terre très dure qui les empêche de grossir, mais c’est aussi grâce à ça que les nutriments sont concentrés et quelles ont plus de goût”. Une proximité avec les producteurs et une approche pédagogique qui pourrait bien réconcilier les consommateurs avec ces légumes hors normes.
Rédigé par Maël GOMES-DUBOIS
Zoom juridique sur les légumes moches
Les normes auxquelles sont soumis les produits alimentaires sont définies par l’Union Européenne. Parmi ces règles, l’obligation qu’un fruit ou un légume commercialisé soit « intact, sain, propre et exempt de parasite » (règlement de 2013 sur l’organisation commune des marchés dans le secteur des produits agricoles). Ainsi, les aliments doivent respecter certaines règles très précises pour être commercialisées : les kiwis doivent peser 62 grammes minimum, les pommes, plus de 90… Bien qu’une marge de différence de 10% est acceptée, ces normes empêchent la vente de beaucoup de fruits et légumes qui ne rentrent pas les cases, ce qui représente 30% des produits alimentaires de l’Europe ! En France, on estime d’ailleurs que ce chiffre serait de 40%, avec une grande partie qui d’aliments qui ne serait même pas récolté. Pour lutter contre ce gaspillage alimentaire massif, l’UE agit. En avril 2023, elle avait annoncé vouloir revoir certaines règles, et cette année, dans le cadre de son plan « De la ferme à la table », elle propose de mettre davantage en avant les fruits et légumes moches. Les prochaines étapes de ces politiques se feront lors de négociations entre le Parlement et le Conseil.
Rédigé par Simon ZOBEL