Face à une précarité étudiante de plus en plus marquée, jongler entre études et emploi devient une nécessité pour beaucoup. Tony, étudiant libanais, en deuxième année de licence, arrivé à Lille à la rentrée dernière et Noémi nous témoignent de leur quotidien. Louis, vice-président du syndicat de l’Union Étudiante, nous éclaire sur les solutions envisagées et les obstacles qui freinent encore leur mise en œuvre.
« Le salariat étudiant est la première source d’échec en licence, nous dit Louis, vice président du syndicat de L’Union étudiante. Pour nous, le sujet des étudiants salariés et super important car un étudiant.e sur deux est aujourd’hui salarié. » On ne peut parler de salariat étudiant sans évoquer la précarité comme raison à cette charge de travail supplémentaire : « Je ne supportais plus cette situation de précarité. »
Une flexibilité hors norme
Travailler tout en poursuivant ses études peut parfois relever du défi, mais tout dépend des conditions de travail et de l’attitude des employeurs. Pour certains, avoir un patron compréhensif et un environnement de travail flexible fait toute la différence : « J’ai de la chance parce qu’au travail on est plusieurs étudiants, donc les responsables ont conscience qu’on ne peut pas faire des heures supplémentaires tout le temps », explique Noémi, reconnaissante de la bienveillance de son équipe. Cette flexibilité est un véritable atout quand mêler travail et étude est une corvée pour certains :« On a un groupe et ils nous demandent qui est disponible a tel moment. Celui qui l’est se propose. Il n’y a pas de contrainte. ».
« Chaque minute, c’est de l’or »
Tous les étudiants concernés s’accordent à dire que travailler et étudier exige un équilibre délicat et une organisation rigoureuse : « Je ne peux pas me permettre de me réveiller cinq minutes après l’heure prévue parce que ma journée est chronométré, proclame Tony, le temps libre que j’ai que je dois utiliser à bon escient ».
Mener ce mode de vie à son lot de sacrifice : « Je n’ai pas les mêmes priorités et responsabilités que toutes les personnes de 20 ans, quand je regarde dans l’amphi, je me dis que certains pensent où et avec qui ils vont sortir ce week-end alors que moi je pense à comment subvenir à mes besoin, oui, je me suis parfois senti différent. » Cette différence, il l’assume pleinement car elle est le reflet de ses ambitions et ses responsabilités.
Un régime spécifique d’étude à été mis en place en France pour aménager les emplois du temps, comme l’est celui de Tony : « A la fac, j’ai pu demander un régime spécial qui m’a permis d’être exempté de TD, vu la charge de travail c’était impossible de tout faire ».
Les syndicats face au gouvernement
Seulement, selon les revendications du syndicat de l’union étudiante ce n’est pas assez : « A court terme, on est en train de travailler une motion pour modifier le droit à un régime spécifique d’étude pour les étudiant.e.s salariés qui travaillent au moins 8 heures par semaine car actuellement pour l’avoir c’est 15 heures ». Les syndicats étudiants souvent mis de côté par le gouvernement font front face à des difficultés quant a l’application de leurs mesures : « Nous, on défend une université libre gratuite et sans sélection et le gouvernement c’est tout l’inverse donc on a une opposition directe et c’est ça qui est notre principal obstacle. » En effet, le prix de la CVEC ne cesse d’augmenter au fil des ans, passant de 90 euros en 2018 à 103 euros en 2024.
La question des rattrapages est un enjeux majeur : « 80 % des personnes aux rattrapages sont salariés. Le rattrapage est vraiment un filet de sécurité pour ces derniers, malheureusement les différentes universités souhaitent font supprimer les rattrapages, créant ainsi une sélection sociale dans les universités. » Cela soulève des questions cruciales sur la barrière socio-économique dans l’enseignement supérieur. Dans le contexte éducatif, elle est souvent associée à la méritocratie biaisée, où l’accès à des filières prestigieuses dépend souvent davantage des conditions sociales que des capacités individuelles.
Noémie GUGLIELMI
Photos Clémentine DAUTIGNY
Réalisée par Enola Soares Sagnol
Regard des économistes
Analyse du cumul emploi-études
En 2024, l’Insee estime qu’en France, 26% des étudiants occupent un emploi en suivant leurs études. Trois économistes français étudient alors les impacts du travail salarié des étudiants sur leur réussite académique et la poursuite de leur parcours universitaire. Par une analyse statistique des données de l’Insee entre 1992 et 2002, Magali Beffy, Denis Fougère et Arnaud Maurel mettent en exergue une corrélation directe entre travail, origine sociale et réussite scolaire.
Étudiants salariés, le double diplôme boulot-échec scolaire ?
C’est sans appel. L’étude révèle un impact clair du travail salarié sur la réussite universitaire. Surcharge cognitive, fatigue accumulée, temps restreint pour réviser, sont les trois raisons évoquées. On estime que les étudiants salariés auraient 43% de chance en moins de réussir leurs examens par rapport à ceux qui ne travaillent pas. Par ailleurs, cette tendance est accentuée pour les emplois à temps partiel « intensifs », dont le nombre d’heures travaillées dépasse les 16 heures hebdomadaires : les étudiants dans cette configuration voient leur probabilité de réussite aux examens chuter de 48,7 points de pourcentage (avec un seuil de 1%). Ce phénomène peut également être accentué par d’autres facteurs : le niveau d’exigence de la filière, le niveau d’investissement intellectuel requis, ou encore le milieu social d’origine. Sur ce second point, nos économistes observent que les étudiants issus de catégories sociales favorisées, sont moins à même de subir les effets délétères du travail salarié sur leurs performances académiques. Disposant d’un capital social, culturel et économique plus large, ceux-ci bénéficient d’un appui financier et d’un réseau familial, qui leur permet de pallier les externalités négatives du salariat étudiant.
Déterminés malgré tout
Pour autant, cette étude montre aussi que le travail salarié n’impacte pas la décision de l’étudiant de poursuivre ses études. En effet, quel que soit le niveau d’intensité du travail de l’étudiant, la filière ou le niveau d’étude, la poursuite des études est comparable. D’ailleurs, le critère de la « chance de poursuivre son cursus universitaire » ne distingue pas non plus les étudiants salariés et non-salariés. De fait, le coefficient associé à l’occupation d’un emploi salarié pendant les études est négatif, mais n’est pas réellement significatif, illustrant que le travail salarié n’affecte pas directement la décision de poursuivre les études.
Ce constat, propre à la France, pourrait s’expliquer par les facteurs structurels intrinsèques au système éducatif. Notamment, le coût relativement faible des études, comparé à d’autres pays comme les États-Unis (où les mêmes études statistiques ont rendu des conclusions antinomiques), ou encore la disponibilité des aides financières.
Emma HUG