« ExtraORDINAIRE » : Quand la photographie réinvente la banalité
Posted On 2 novembre 2019
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Viser, cadrer et appuyer sur le déclencheur suffisent à capter un instant de vie. La société n’a jamais autant utilisé la photographie pour partager son quotidien. La démocratisation de cette pratique a permis à tous de pouvoir immortaliser le quotidien. « ExtraORDINAIRE », qui comporte sept expositions et une exposition hors-les-murs, explore la question de la représentation de l’ordinaire pour le modèle, le sujet, mais qui peut apparaître extraordinaire à celui qui le découvre.
Exposés sur murs verts céladons ou blancs immaculés, le travail de plusieurs photographes se côtoie sur les cimaises, dont Thomas Sruth, Paolo Cirio et Mary Ellen Mark. Voyage dans une banalité extraordinaire.
Photographiées en famille, les personnes que rencontre Thomas Sruth sont invitées à choisir le lieu où elles souhaitent poser. Exposer des portraits de famille habituellement accrochés sur le mur d’un salon ou posés sur un meuble engage le visiteur à adopter un autre regard sur ce groupe si personnel qu’est la famille. Il pénètre alors l’intimité d’inconnus.
Paradoxalement, il peut se trouver déstabilisé d’avoir ainsi accès à ce registre de photos d’ordinaire privé alors que le culte de l’exposition à l’ère numérique ne cesse de croître et s’apparente à la norme. La famille est-elle alors vouée à s’affranchir des barrières du privé ? Révélateurs d’une certaine appartenance sociale par leur composition (arrière-plan, vêtements, posture…), ces portraits renouvellent le registre de la photo de famille. Symbole d’unité et de réussite, la photo de famille révèle la complexité de l’ordinaire et offre au visiteur des pistes de réflexion sur celle-ci. Assise sur le canapé, mains sur les cuisses, bras sur l’épaule, la famille Martin apparaît unie. À l’inverse, regards sérieux, visages fermés, les uns assis, les autres debout, la famille Smith figée dans un décor des années 1989 a l’air grave.
Paolo Cirio, artiste conceptuel, porte aussi la double casquette de critique d’art et d’hacktiviste (militantisme par piratage informatique). Son art questionne notamment le droit à l’image à l’ère d’Internet. Après avoir récupéré des silhouettes sur Google Street View, l’artiste en a fait des posters à taille réelle. Il les a ensuite collés aux endroits où la voiture avait capturé les images. Onze de ses œuvres se sont glissées dans les ruelles lilloises. Cette irruption du virtuel dans le réel mélangeant photographie et street art interroge le rapport entre ces deux mondes.
Mary Ellen Mark, photojournaliste engagée et reconnue aux États-Unis pour ses reportages, a dénoncé la misère sous toutes ses formes. La prostitution, la drogue, l’alcool… Elle a ainsi pu mettre en lumière un certain nombre de réalités méconnues. « Je crois vraiment qu’il y a des choses que personne n’aurait vues si je ne les avais pas photographiées », affirme Mary Ellen Mark.
Dans une société rythmée par le refrain métro-boulot-dodo, ce mode d’expression et de représentation marque un instant de pause et de réflexion. Parfois plus efficace que les mots, la photographie apparaît ainsi comme une arme, révélatrice de faits sociétaux.
Les malades du Sida, les sans abris, la surdité sont ainsi dévoilés sous l’objectif des artistes suscitant « une réaction émotionnelle qui pourrait être inattendue selon les antécédents et l’expérience du spectateur », selon Rosalind Fox Solomon, photographe new-yorkaise. Connue pour ses portraits de personnes atteintes du Sida, elle a utilisé la photographie comme arme contre la stigmatisation dont elles étaient victimes dans les années 1990 en démocratisant leur image par le biais de la photo.
« Je crois vraiment qu’il y a des choses que personne n’aurait vues si je ne les avais pas photographiées »
Mary Ellen Mark (1940-2015)
Mettre en lumière les côtés sombres de l’humanité en photographiant la détresse de certains est aussi le rôle de la photographie. Mary Ellen Mark a ainsi relaté par le biais de clichés en noir et blanc l’histoire d’une jeune fille prostituée, Erin Black âgée de 13 ans. Pendant 32 ans, elle l’a suivie en immortalisant différents moments de son existence. Témoignage d’une vie, la photographie retrace son activité de prostituée jusqu’à sa situation de maman. Mais à première vue, sans lire la légende accompagnant la photo, nous ne voyons qu’une jolie jeune fille au regard perçant l’objectif de l’artiste. Comme la couverture d’un roman qu’il faut ouvrir pour comprendre, la photographie doit parfois se déchiffrer pour que le message soit compris.
Faustine Magnetto
Photographier des bourrelets, des cicatrices ou encore des vergetures semble totalement invraisemblable : notre monde moderne est dominé par le culte d’un corps parfait. La montée en puissance des réseaux sociaux, d’Instagram en particulier, a fait apparaître une mise en scène permanente du « moi » et une exposition constante du corps. Les silhouettes dites « Fit » avec cuisses galbées, fessier rebondi ou peau zéro défaut envahissent le réseau social phare du moment.
Dans ces clichés, la cellulite est bannie, alors que le tracé des abdominaux est valorisé. Cette véritable mise en scène du corps idéal n’est pas sans conséquences pour les aficionados d’Instagram : des Troubles du comportement alimentaire (TCA) peuvent se développer chez ceux désirant à tout prix avoir un corps similaire à celui des influenceurs. D’après une étude menée en Grande-Bretagne, 45% des utilisateurs les plus accros à l’application seraient même victimes d’orthorexie, maladie caractérisée par l’obsession de manger sainement.
Alors que ce culte de l’image semble être à son apogée, certaines personnes tentent néanmoins d’imposer un modèle à contre-courant, qui se veut plus représentatif d’un corps dit « normal ». Une photographie doit dépeindre la réalité, même imparfaite.
Coppélia Piccolo
Photos : Marie Littlock
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