“Les Revenants” au Fresnoy, un cri contre notre modernité exacerbée
Au Fresnoy, centre d’art contemporain et de formation à Tourcoing, s’expose Panorama 21 depuis fin septembre et jusqu’au 29 décembre. Issues de leurs recherches annuelles, sont révélées plusieurs dizaines d’œuvres inédites des étudiants de la promotion Jonas Mekas 2019-2021 et d’artistes invités.
Jean-Hubert Martin, historien de l’art et commissaire l’exposition Les Revenants expliquait qu’il louait la liberté d’analyse laissée aux visiteurs et que les œuvres prémâchées ne l’intéressaient pas.
Dans sa tribune de présentation, il détaille son choix du titre : « J’ai souhaité appeler cette exposition Les Revenants parce que les artistes présentés ici retournent à des techniques anciennes conjuguées à des technologies pointues. » Les artistes cherchent en effet à repartir de zéro, reprenant parfois des pistes abandonnées par les scientifiques et « ranimant des revenants ».
Mais comment cette exposition reflète-elle les questionnements actuels de notre société ?
Nous sommes accueillis par une enseigne lumineuse sur la façade du bâtiment qui égrène les préoccupations qui hantent Annie Zadek, écrivaine et philosophe, artiste invitée de l’exposition. « Peur de vivre dans ce monde en proie aux conflits environnementaux, aux catastrophes pas naturelles […] peur d’être seule », présage-t-elle. L’essence de cette exposition Panorama 21 – Les revenants se trouve ici. Deux problématiques follement actuelles : l’écologie et le commun (le « nous », le rapport à l’autre…).
Le numérique, fin ou renouveau du contact humain
Les mots de Jean-Hubert Martin, commissaire de cette édition éclairent un peu plus les 26 œuvres présentées au Fresnoy, réalisées par les étudiants et les artistes invités.
Le leitmotiv de cette exposition au Fresnoy est celui du retour aux fondamentaux. Un parallèle permanent est construit entre le passé et le présent. D’abord au niveau du commun, de ce « nous » qui semble se déliter avec l’avènement d’une société numérique.
Fleuryfontaine, un duo d’artistes parisiens avec son installation Ange nous immerge dans l’univers d’un « hikikomori ». Ces jeunes qui s’isolent dans leurs chambres pendant plusieurs mois ou années tels des ermites. Un lit se trouve entouré de bouteilles d’eau nécessaires à la survie. Le jeune qui les a inspirés n’avait pas fait de sorties volontaires pendant 13 ans. Seulement certaines à l’image du médecin ou du tabac.
Mais tout n’est pas aussi sombre. Dans Please Love Party, Pierre Pauze part à la recherche de la drogue de l’amour. Après avoir commandé certains psychotropes – presque légalement – il les dilue à dose homéopathique dans des bouteilles d’eau. Il travaille en effet sur la mémoire de l’eau qui garderait une empreinte des substances avec lesquelles elle a été en contact et certaines de leurs propriétés. Le but se comprend alors : mélangée avec cette drogue et ingérée ensuite, l’eau permettrait de trouver l’amour. Fini la difficile séduction, bonjour la passion en bouteille.
Notre société semble cependant menacée par les problématiques écologiques qui s’imposent à nous.
Les paysages marqués par les stigmates de la modernité
Dans Junkyard, Félix Luque et Iñigo Bilbao ont empilé des carcasses de voitures, à l’image de charniers mécaniques. L’industrie automobile y est ici montrée comme un accident historique. L’obsolescence et la frénésie d’achat de véhicules neufs mènent à un amoncellement : les collapsologues y verraient sûrement l’effondrement de notre civilisation et l’expansion de cimetières urbains.
Enfin, à l’étage, derrière des rideaux noirs se trouve D’après le Jardin, œuvre du Mexicain Juan Pablo Villegas . L’artiste nous alerte ici sur la disparition des espèces et les relations que nous entretenons avec les « non-humains ». Les outils de communication que nous utilisons aujourd’hui reposent sur l’usage et l’abus d’ondes électromagnétiques. Ce type d’énergie perturbe bien plus qu’on ne le croit le niveau géographique. Axons-nous sur la faune.
En mettant le casque, on entend ces ondes volontairement amplifiées pour l’expérience ; ondes qui saturent notre environnement. La trajectoire des abeilles s’en trouve perturbée. Elles ne retrouvent pas leurs ruches, et meurent. Catastrophe écologique qu’est celle de l’absolue modernité.
Nicolas Ghorzi
Visite en image de l'exposition Panorama 21
Vidéo réalisée par Léa Denet
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Le Fresnoy
Le Fresnoy, ou Studio National des Arts Contemporains, situé 22 rue du Fresnoy à Tourcoing nous ouvre ses portes. Remplaçant un bâtiment désaffecté, lieu de culture et d’échange, celui-ci existe depuis 1997. Il offre diverses expositions d’art contemporain en fonction des périodes de l’année choisies.
A côté, de nombreux événements ont lieu des projections cinématographiques, des conférences ou des soirées. Par exemple, ce mercredi 4 décembre, il propose une soirée destinée aux Beatles, à travers des documentaires et de la musique.
Établissement d’enseignement supérieur en art, le Fresnoy est néanmoins particulier. Il forme des étudiants à la pratique artistique sous toutes ses formes, souvent de haut niveau. Des œuvres d’arts en tout genre y sont présentes, avec un objectif commun : « L’intégration de techniques audiovisuelles professionnelles. » Des thèmes, des procédés artistiques sont proposés et varient très régulièrement.
Avec une atmosphère tamisée, des objets du quotidien sont tournés à leur avantage en devenant de véritables œuvres d’art dans l’exposition Panorama 21. Dur labeur d’étudiants de cet établissement, cette exposition est un des exemples des nombreuses expositions novatrices que l’on y trouve.
Proposant des tarifs plutôt avantageux, voire parfois gratuit, le Fresnoy essaie de permettre à tous d’accéder à la culture artistique contemporaine. Il s’agit de toucher et de sensibiliser un maximum de personnes sur des pratiques artistiques.
Lucie Poizot