Comment stimuler son imaginaire ? Cette grande question, déjà pertinente dans l’avant-Covid, renforce son intérêt pendant une période où, privé du dehors, on se demande où aller chercher sa créativité.
L’angoisse du vide, l’effroi du néant, la plus grande frustration de l’artiste qui ne sait plus comment s’inspirer; c’est la leucosélophobie. Communément appelé le syndrome de la page blanche, ennemi suprême de l’Art, il n’en reste pas moins invaincu.
Dans un entretien accordé à La Croix, l’écrivaine Valentine Goby parle du syndrome de la page blanche comme étant une sorte de mort momentanée de l’artiste. “La page blanche est forcément un non-lieu, un endroit où l’on est pas, où l’on est mort.” Si chacun use de ses propres mots pour définir ce syndrome, il est reconnu que celui-ci est symptôme de blocage émotionnel, d’anxiété, une trop forte pression infligée par l’artiste lui-même ou par un tiers. Le confinement peut s’avérer regrouper toutes ces conditions : atmosphère globalement anxiogène en période de pandémie mondiale, pas de stimulation extérieure, cloisonnement au domicile… Tout porte à croire que la situation sanitaire s’oppose à tout ce qui fait la créativité de l’artiste.
Néanmoins il semblerait que le confinement ne soit pas le sombre messager de la page blanche mais plutôt un fervent allié de l’artiste. Pour Anne-Sophie Brilland, artiste peintre et professeur d’arts-plastiques aux ateliers de Redon, Châteaubourg et Bruz, si le confinement a été frustrant et lui a donné l’impression d’être bridée dans son travail, elle préfère voir le verre à moitié plein : “Bien-sûr au début j’étais frustrée comme sûrement beaucoup d’autres personnes l’ont été. Puis je me suis reprise et j’ai su apprécier ce qu’a pu m’apporter ce confinement.”
L’inspiration se gagne, se cherche, et le véritable problème du syndrome de la page blanche c’est l’artiste lui-même. Un blocage psychologique qui peut aussi bien s’installer définitivement par le biais de l’abandon, du manque de confiance en soi et en son talent, ou l’artiste peut choisir de se battre, de ne pas abandonner et de “sauter dedans”.
Crédit Photo : Anne-Sophie Brilland
“Le syndrome de la page noire”
David Foenkinos, romancier, dramaturge et réalisateur nous parle en son nom de “syndrome de la page noire”. Ou quand l’artiste fait face à un débordement d’idées qui l’envahissent jusqu’à le noyer et le perdre. “J’espérais même ne pas avoir une nouvelle idée, car démarrer un nouveau projet est une forme de tyrannie.“
Cependant, même principe que la page blanche, même angoisse au cœur du problème : la peur du vide. L’écrivain l’assure : “Ma seule pression est la lutte que je mène contre le vide. J’ai toujours besoin d’avoir une idée en tête. Je ne peux pas vivre sans.” David Foenkinos va plus loin, les moments d’incertitude et la pause créative que suggère la page blanche sont nécessaires et permettent de repartir sur de meilleures bases par la suite.
Si leur art et leur profession sont bien différentes, David Foenkinos rejoint l’avis d’Anne-Sophie Brilland et affirme que l’inspiration n’est pas un miracle divin qui tombe sur l’artiste par magie. C’est quelque chose que l’on cherche, que l’on convoite “comme un prédateur romanesque“. Pour lui aussi, le confinement est “une chance en termes de création“. Une opportunité d’avoir plus de temps pour créer, d’avoir la journée devant soi pour ne rien faire d’autre qu’écrire. Anne-Sophie Brilland quant à elle, voit en plus du temps, une occasion à saisir pour révolutionner sa manière de travailler. N’ayant plus accès à l’atelier de son travail et n’en n’ayant pas chez elle, elle a dû apprendre à exercer sur de nouveaux formats. En débarquant alors sur Instagram, elle numérise son art et apprend à appréhender de plus petits formats pour créer. Une installation sur les réseaux sociaux qui lui permet d’échanger avec d’autres artistes ce qui est aussi source de motivation. Le confinement semble donc se positionner comme une aubaine voir même un tremplin en termes d’exploration de l’imaginaire et de création artistique.
Nephtys Bodet
Quand les amateurs se lâchent
Certes le confinement a été une période compliquée pour l’imagination des artistes professionnels, mais elle a aussi permis aux amateurs de se confronter à l’avis du public à travers des applications telles que TikTok. Ainsi, cette dernière a enregistré près de 315 millions de téléchargements lors du premier trimestre de 2020. Un record qui s’explique par l’ennui important ressenti par la plupart lors du lockdown.
C’est notamment le cas d’Isabelle Pibouleau, journaliste pigiste, la jeune femme de 25 ans s’est lancée sur TikTok lors du premier confinement. Sa motivation ? Combler l’ennui tout en faisant ce qu’elle aime. Elle avoue avoir eu quelques a priori sur l’application avant de l’utiliser « l’application avait pour réputation d’avoir un public beaucoup plus jeune que moi donc je ne m’y intéressais pas ». S’investir dans cette plateforme lors du confinement lui a permis de rester positive mais aussi de transmettre cette positivité à ses amis qui regardaient ses vidéos. Sans le confinement, elle avoue qu’elle ne se serait jamais lancée dans ce projet, d’ailleurs après le déconfinement elle n’a pas publié avant septembre.
Le but de cette mise en avant sur les réseaux sociaux n’est pas forcément une question de vues, elle confie ne pas avoir lancé TikTok dans le but de se faire connaître. Aujourd’hui @isapibouleau cumule près de 500 abonnés avec une vidéo vue plus de 30000 fois. C’est la concrétisation de sa passion, la jeune femme dansant depuis qu’elle a 10 ans. Le confinement apparaît donc comme un révélateur de talent, c’est un moment où les personnes qui ne font pas de l’art leur métier peuvent s’exprimer à travers des applications nouvelles.
Maïlys David