Les initiatives populaires, une solution à la crise de la démocratie
Loin du cliché de l’abstentionnisme dépolitisé, ce dernier n’est plus uniquement contestataire mais se fait aussi force de proposition. C’est toute une scène politique qui se met en place pour réfléchir collectivement à des réformes de fond visant une démocratie plus directe.
Le 18 juin 2017, à l’occasion du second tour des élections législatives, c’est 57,36 % – soit 26 millions – des votants qui se sont abstenus, auxquels s’ajoutent 5 millions de mal inscrits. L’Assemblée nationale, censée représenter les citoyens dans leurs diversités, a été élue par moins de la moitié des Français en âge de voter. Si l’on pourrait prendre le parti de dire que chaque citoyen a la possibilité d’aller voter s’il le désire, et que l’abstention n’est rien d’autre qu’une preuve que l’exercice du pouvoir n’est pas l’affaire du premier venu, ça n’est pas l’avis de bon nombre de penseurs. Régis Debray, écrivain et philosophe politique français écrivait en 1995 : « Une république se fait d’abord avec des républicains, en esprit. Une démocratie peut fonctionner selon la lettre, dans une relative indifférence, en se confiant à la froide objectivité de textes juridiques. 50 % d’abstention aux élections privent une république de substance, mais n’entament pas une démocratie. » Pour prétendre au modèle républicain, nous nous devons de combattre l’abstentionnisme. Et pour le combattre, il faut tout d’abord le comprendre.
Le régime de la Ve République
Le chantier semble énorme pour réconcilier les citoyens et la classe politique. Heureusement, le projet n’est pas nouveau. De plus en plus de citoyens ont pris conscience de leur incapacité à faire valoir leur avis dans les consultations électorales. Les institutions de la Ve République font le choix d’un régime présidentiel, avec un exécutif fort. Ce système ne fait pas consensus. La majorité relative à atteindre au second tour de l’élection présidentielle ne permet pas aux électeurs de rejeter les deux candidats, puisque que le vote blanc n’est pas pris en compte. Le mandat n’est pas révocable sur le quinquennat. Ces vieilles revendications citoyennes n’ont jamais réussi à s’imposer sérieusement dans le débat. Ce modèle favorise aussi les choix stratégiques, qui ne reflètent pas forcément la volonté propre de l’électeur. De plus, avec la professionnalisation de la politique, l’écart se creuse de plus en plus entre les Français et leurs représentants élus, rendant la discussion de plus en plus difficile.
La crise de la représentation
Une réforme des institutions
Certains partis, notamment la France Insoumise, ont placé le projet de VIe République au cœur de leurs arguments de campagne en 2017. Mais d’autres initiatives, plus citoyennes et participatives, sont également débattues. C’est le cas du Plan C « pour une Constitution Citoyenne écrite par et pour les Citoyens ». Ce projet citoyen vise à l’écriture d’une nouvelle constitution pour une démocratie plus directe. Elle défend notamment le tirage au sort comme solution à la corruption, le manque de représentation et la déresponsabilisation des électeurs. Bien sûr, le tirage au sort est effrayant à première vue, mais il s’agit d’une réelle alternative radicale à ce que nous connaissons. Elle est déjà utilisée par la justice pour désigner les jurés lors des procès. Le tirage au sort en politique permet la responsabilisation des individus, qui peuvent être appelés à gouverner, et empêche les affaires de corruption ou de financement occulte de campagne, dont est accusé l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. Cette constitution renverse les rôles de sujétion entre les individus et leurs représentants politiques. Une nouvelle constitution n’est évidemment pas suffisante pour résoudre tous les problèmes de démocratie, mais elle permettrait de lancer un processus de politisation populaire. Il faut des citoyens formés et cela passe par une démocratisation de l’éducation politique plus aboutie. Si l’incompétence politique de la population est un argument vers des consultations de plus en plus rares, on ne peut ignorer que c’est la rareté même de ces consultations qui peuvent être à l’origine de cette incompétence.
Gaspard LEVEUGLE
Campagnes et services publics : une frustration légitime
Il ne fait plus bon d’habiter loin des villes aujourd’hui. Fuies depuis les années 1970, seules les communes proches des pôles urbains ou des grands axes de transports parviennent à maintenir une population stable. Leur faible attractivité s’accompagne de la disparition progressive de leurs services, qu’ils soient publics ou privés. Entre 2012 et 2018, ce sont 244 brigades de gendarmerie qui ont été supprimées, toutes en milieu rural.
Le manque d’accès s’accompagne par une absence d’infrastructures de transports. Les gares TER se sont réduites. 24,6% des habitants de l’Aisne se situent à plus de 20 minutes de la gare la plus proche. La voiture apparaît alors comme le seul moyen pour les habitants des campagnes de préserver une liaison avec les pôles essentiels (travail, supermarchés, hôpital…). 83% des actifs en Haute-Saône utilisent la voiture pour se rendre au travail.
Ce délaissement a été l’une des causes majeures de la crise des Gilets Jaunes l’an dernier. La taxe sur le carburant a été ressentie comme le mépris de trop pour les particuliers, privés de leur liberté de déplacement. Il en résulte des demandes de démocratie plus directe avec le RIC (Référendum d’initiative citoyenne). Ayant fait ses preuves en Suisse et en Italie, cette revendication témoigne d’une volonté d’être entendu de la classe politique.
Ce sentiment est d’autant plus accentué que l’électorat rural est l’un des plus fidèles au vote. Si l’abstention française progresse depuis plusieurs décennies, les zones rurales enregistrent des taux de participation plus élevés que les centres urbains (9 points de plus aux européennes de 2015).
Pierre HAMON