Initiative et compostage : On prend les bennes et on recommence
Collecter, rassembler et trier les déchets alimentaires de la métropole lilloise : voilà le défi que s’est lancé en juin 2019 Lucas Gauthier, président et cofondateur des Alchimistes à Lille. A 25 ans, le jeune ingénieur a réussi le magnifique pari de lier convictions personnelles et réussite collective.
Quand à la fin du XVIIIe siècle, Antoine Lavoisier déclara : « Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme », le scientifique français ne se doutait sûrement pas que plus de 200 ans plus tard, sa citation serait encore pleinement vérifiée, notamment à la gare Saint-Sauveur. C’est à cet endroit que nous avons rencontré Lucas et son équipe.
Maintenant que les déchets sont collectés et rassemblés, sonne l’heure du tri et du compostage : « On travaille avec un composteur électromécanique. C’est une cuve en inox qui conserve la chaleur et malaxe les déchets. Il y a aussi un ventilateur qui apporte de l’oxygène. Cela permet d’optimiser et d’accélérer les réactions », explique Lucas Gauthier. Petit bijou de technologie, cette machine est un allié indispensable pour l’entreprise. De plus, le composteur est capable de prendre en charge des restes de viande et de poisson tout comme des copeaux de bois. En diversifiant les déchets, le rendu final est de bien meilleure qualité. Et, en quelques semaines, le produit est prêt à être vendu. Le composteur est donc un allié indispensable dans le processus de compostage et nécessaire pour la bonne santé économique des Alchimistes.
"une jolie boucle à créer"
Car comme toute entreprise, les Alchimistes doivent dégager un revenu : « On vend notre compost pour des usages urbains et périurbains. Ça peut être de la vente aux particuliers dans des réseaux de distribution classiques, mais aussi de la vente aux professionnels. On fournit des maraîchers proches de Lille mais aussi des projets de permacultures ou encore l’ISA (Institut Supérieur de l’Agriculture). » De ce fait, une « jolie boucle », comme aime l’appeler Lucas, se crée. Les restaurateurs lillois produisent des déchets alimentaires. Soumis à un cadre législatif, ils sont obligés de les trier et font ainsi appel aux Alchimistes. Contre 100 € par mois pour les plus petits à 1 500€ pour les plus grands restaurants, Lucas et son équipe s’occupent de leurs déchets. « On leur propose un service de qualité qu’ils peuvent ensuite valoriser dans leur communication. Et comme ils sont contraints par la loi, c’est un budget qu’ils ont déjà », éclaire le jeune homme de 25 ans. Ensuite, ces déchets se transforment en compost, lequel est redistribué au sein de la métropole lilloise.
Sensibiliser pour se développer
Mais outre cette relation avec la trentaine d’enseignes sous contrat avec les Alchimistes, les particuliers ne sont pas en reste dans le projet. En effet, il existe 4 bornes à Lille dans lesquelles chacun peut, après s’être inscrit, déposer ses bio-déchets. Quelques temps plus tard, chacun reçoit un sachet de compost. Un système gagnant-gagnant donc qui permet aussi de sensibiliser les Lillois à la problématiques des déchets : « On essaye d’apporter cette culture du compost en ville en créant ces circuits courts et en incluant le plus de monde possible dans le projet », détaille le cofondateur de l’antenne lilloise des Alchimistes.
À l’heure actuelle, 5 tonnes de déchets sont valorisés chaque mois à la gare Saint Sauveur. Un beau résultat après seulement 7 mois d’existence, mais qui ne demande qu’à être amélioré. « On estime que la métropole lilloise produit 30 000 tonnes de déchets alimentaires chaque année. Donc la marge de progression est énorme. On espère trier 300 tonnes en 2021. » Problème, les mesures sanitaires, contraignantes pour les restaurants, sont un frein au développement des Alchimistes. « De juin à octobre, ça s’est bien passé, on a rapidement acquis 25 clients. Mais le deuxième confinement a été dur, les volumes collectés ont été divisés par deux et certains clients ont définitivement arrêtés. » Pour répondre à ces nouvelles problématiques, Lucas vise d’autres horizons : « On essaye de s’ouvrir à d’autres cibles comme les cantines scolaires ou les McDonald’s par exemple. » Malgré la crise sanitaire, le jeune ingénieur de 25 ans ne manque pas d’ambitions et de motivations : « Quand on met un pied dans quelque chose de passionnant, on poursuit. J’aurais pu faire bien d’autres choses à un meilleur salaire. Mais ce n’est pas ce dont j’avais envie, ce n’est pas ce qui m’anime au quotidien. Je préfère être utile ici. Le partage avec les restaurateurs et les employés en réinsertion, c’est quelque chose de très sympa ! » En effet, l’entreprise collabore avec la Fabrique de l’emploi, une association facilitant le retour à la vie active. C’est cet aspect humain du projet qui a séduit Lucas Gauthier. Ce dernier a réussi à associer écologie et social, un cocktail alléchant qui fait aujourd’hui sa réussite.
Aujourd’hui, 90 % des déchets alimentaires en France sont incinérés ou enfouis, une aberration qu’essayent de résoudre les Alchimistes à travers leurs 8 antennes locales.
Matthieu Heyman
Zoom sur...
les chiffres du compostages en France
D’après un étude menée en 2015 par l’Ademe, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie, notamment chargée de la Transition Écologique, environ un Français sur deux composte ses déchets de cuisine et de table et/ou ses déchets verts. Mais d’après une étude menée en 2017, plus de 60% des citoyens seraient prêts à s’engager dans la pratique du compostage avec un accompagnement.
Cet engouement prend toute son importance lorsque l’on sait que les biodéchets représentent en moyenne 30% des déchets produits par un seul foyer. Soit une moyenne de 98 kg de matière potentiellement compostable par an et par habitant pour un total de 8 millions de tonnes. Ajoutons à cela près de 10 millions de tonnes de déchets verts. Des biodéchets principalement composés d’eau dont la dépense énergétique liée à l’incinération est facilement évitable.
Face à cet enjeu, les collectivités locales s’activent. Elles sont plus de 150 à pratiquer la collecte sélective des déchets auprès de plus de 3 millions de Français. L’Ademe ajoute également que plus de 2,2 millions de composteurs ont été distribués par les mairies de l’hexagone. En sachant que ces derniers, d’une capacité d’environ 1m3, permettent de traiter environ une tonne de biodéchets par an. Pour les Français ne disposant pas de jardin, les composteurs partagés, souvent rattachés à des jardins collectifs, sont une alternatives.
Enfin, pour obtenir un compost riche et équilibré, les maîtres composteurs conseillent de mélanger 2 à 3 parts de matière humide, dite verte, pour 1 part de matière sèche, dite brune.
Mathieu Diseur.