Les citoyens viennent à la rescousse du monde de la recherche
Les projets de science participative fleurissent depuis le début des années 2000. Depuis, ils sont apparus comme un moyen de recréer un lien entre le monde de la recherche et le grand public, alors que la confiance envers l’institution s’effrite. .
Pendant le confinement, la pression du culte de la productivité n’a pas perdu de sa force. Entre pétrissage de pain et séance de sport sur Zoom, l’essentiel pour beaucoup était de ne pas perdre une minute du temps à notre disposition. Certains ont alors fait le choix de se rendre utile à d’autres grâce aux sciences participatives.
Elles consistent à aider les chercheurs à produire des connaissances scientifiques grâce à la participation active et volontaire de la société civile, notamment grâce aux nouvelles technologies qui se sont développées dans ce nouveau siècle. Derrière la théorie se cache une multitude de projets. Compter les oiseaux pour étudier l’impact humain sur la biodiversité, résoudre des puzzles pour soigner le SIDA, faire tourner son micro-onde pour améliorer la décontamination des masques chirurgicaux… Une définition multiforme qui explique pourquoi 4% des Français seulement savent ce que sont les sciences participatives, selon un sondage Ipsos-Sopra Steria.
Pourtant, cette méthode a des intérêts certains pour la science. Elle donne « la possibilité de faire des recherches inaccessibles », selon Romain Lorrillière, chercheur au Centre d’écologie et des sciences de la conservation (CESCO) du Muséum national d’histoire naturelle à Paris. « Sans les sciences participatives, il y a plein de questions qu’on ne peut pas se poser parce qu’on n’a pas le temps, ni l’argent de récolter ces données-là. » Ainsi, pour le projet BirdLab auquel il collabore, la participation des citoyens permet de mener une recherche impossible à conduire en laboratoire. En 2017, plus de 10 000 participations, suivant un protocole précis, ont permis d’étudier la diversité des espèces d’oiseaux aux mangeoires des jardins. Grâce à une application, les volontaires avaient juste à noter les déplacements des oiseaux devant leur mangeoire sur une période donnée, pour permettre aux chercheurs de mener leurs études.
Gagnant-gagnant
Les chercheurs ne cachent donc pas l’intérêt vénal qui peut se cacher derrière les sciences participatives. Manque de ressources humaines, manque de temps, manque de financement : « Ça permet [aux chercheurs] d’avoir beaucoup de données à moindre coût », selon Romain Lorrillière. Depuis les années 1990, la recherche est de plus en plus financée par appel à projet, et dispose de moins en moins de fonds pérennes. Difficile alors d’étudier tout ce que l’on voudrait. Demander le travail bénévole des citoyens semble être une solution parfaite. Toutefois, les bénéfices peuvent être bien plus grands.
En ouvrant le monde de la recherche au grand public, la science avance et la société civile aussi. Les participants peuvent soulever des questions que les chercheurs n’avaient pas imaginées. En retour, les scientifiques doivent faire preuve de pédagogie pour rendre accessibles leurs protocoles et leurs résultats. Tout le monde semble gagnant.
Quand on leur explique le concept, la majorité des Français sont d’ailleurs prêts à participer à de tels projets. « Les participants [de BirdLab] nous sont reconnaissants d’étudier et de faire avancer la science », affirme Romain Lorrillière. Collaborer à de tels projets peut aussi donner l’impression de « participer à une communauté », qui partage des informations et des questionnements. Cette nouvelle sociabilité, sur les réseaux sociaux notamment, permet de faire entrer la science dans le quotidien de citoyens lambdas. De plus, de tels projets permettent également un apprentissage des sciences, bien après la fin des cours de SVT. « Assurément, [les participants] augmentent tous leur quantité de connaissances »
Une solution miracle ?
Réchauffement climatique, 5G, vaccination, Covid-19… Il semblerait parfois que le dialogue est rompu entre la science et la société. Pourtant, 85% des Français estiment que les sciences participatives sont un moyen de renforcer le lien entre les chercheurs et les citoyens. Mais elles ne sont pas une solution miracle. Selon Romain Lorrillière, ceux qui s’engagent dans des projets participatifs n’ont pas de doutes sur ce qu’ils étudient. Difficile d’imaginer une personne qui ne croit pas au réchauffement climatique participer à un projet qui en étudie les effets. Ce ne sont pas les sciences participatives qui pourront entièrement redonner confiance dans la connaissance scientifique.
D’autant que pour mener ce rôle de pédagogie, la science participative peine à se faire connaître. Il faut déjà avoir eu vent de ces projets, puis décider d’y participer. Des efforts de communication sont faits : la plateforme Science Ensemble tente de rassembler les projets collaboratifs pour les rendre visibles. La science participative n’est pas omnipotente, mais elle pourrait ainsi redonner ses lettres de noblesse à la recherche, dans une société qui valorise l’action citoyenne.
Lucie Barbier
Zoom : La confiance en la science des Français
Début novembre 2020, la Fondation Nicolas Hulot a commandé un sondage IPSOS sur la confiance en la science des Français. Malgré les nombreux débats actuels sur les vaccins face à la Covid-19, 90 % des Français ont confiance en la science. Les partisans de La République en Marche (confiants à 97%) et du Parti Socialiste (confiants à 95%) se démarquent. Certaines connaissances scientifiques sont plus remises en cause que d’autres selon leur thème et selon l’intérêt qui y est porté dans le débat public. Ainsi, le taux de confiance des personnes interrogées passe sous la barre de 50% lorsqu’il s’agit des recherches scientifiques sur le nucléaire, la 5G, le coronavirus et les OGM. Pire encore, la science concernant les pesticides ne convainc que 33% des 2000 personnes sondées. Enfin, seulement 39% des Français jugent les travaux fiables à propos de la Covid-19. Cette méfiance quant à la science est surtout présente autour de sujets controversés.
D’un autre côté, les données scientifiques sont discutées par les Français lorsqu’elles deviennent instrumentalisées par les personnalités politiques ou lobbys. Finalement, 49% des Français pensent que les conflits entre scientifiques sont le résultat d’intérêts financiers. Les sondés établissent donc une distinction entre la recherche scientifique, en laquelle ils croient à 90% et les interprétations qui en sont faites, divisant la population de moitié. La parole des scientifiques n’est pas forcément écoutée, et ce malgré leur statut.
Valentin Canaux