Les liens intergénérationnels à la reconquête de rapports perdus
Posted On 6 avril 2021
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Baby-boomers, millenials, générations X, Y, Z, autant de termes pour désigner les différentes générations qui se côtoient aujourd’hui. Une classification soulignant les distensions qui persistent parfois entre personnes de différentes tranches d’âge.
Éléments de langage, codes vestimentaires ou encore conceptions différentes de la société, les plus vieux, bornés et enfermés dans un modèle d’ancien temps ne supporteraient pas les comportements inconscients et égoïstes des plus jeunes. La communication intergénérationnelle peut sembler difficile à instaurer dans une société jugée de plus en plus individualiste, où sont constamment opposés ancien et nouveau monde. Il ne faut cependant pas oublier que si on la pense exclusive au 21e siècle, cette fracture générationnelle traverse toutes les époques, suivant simplement l’évolution des mœurs, des techniques, et des valeurs de la société.
Cependant voilà, la crise sanitaire est passée par-là, et avec elle une prise de conscience de la nécessité de restaurer un échange entre les générations. 45% des Français ont ainsi le sentiment que les liens intergénérationnels se sont renforcés depuis 2018. 20% des Français attribuent cette augmentation à la crise sanitaire, selon le « troisième Observatoire des liens intergénérationnels » réalisé par OpinionWay pour ANPERE en octobre 2020.
C’est dans un objectif de partage et de lutte contre l’isolement des personnes âgées que Mathilde d’Alançon et neuf de ses cousins ont décidé de créer l’association “1 lettre 1 sourire”, le 14 mars 2020. Trois jours auparavant, les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), se voient obligés de fermer leurs portes et de suspendre toute visite pour leurs résidents. Une des cousines de Mathilde propose alors de créer un site afin que tout le monde puisse écrire des lettres aux personnes âgées isolées. Le projet est né.
Plébiscité en temps de pandémie, l’outil numérique a permis de développer ces liens intergénérationnels, mis à mal en temps de confinement.
C’est dans cette optique qu’1 lettre 1 sourire lance son site internet le 17 mars 2020. « On voulait faire un site très simple d’accès. Il fallait que même nos grands-parents puissent écrire une lettre. » Quelques clics et un petit temps de réflexion plus tard, votre lettre est envoyée dans une des maisons de retraite inscrites sur le site. Les établissements impriment alors la lettre, avant de la distribuer à leurs résidents.
« Par l’expérience 1 lettre 1 sourire on a été très surpris de voir que tout le monde était assez avide de ces liens intergénérationnels. D’ailleurs les jeunes sont parfois assez déçus de ne pas avoir de réponse des personnes âgées », raconte Mathilde d’Alançon. En effet, certains résidents d’EHPAD ne sont plus en capacité de répondre eux-mêmes aux lettres qu’ils reçoivent. Cependant, certains échanges laissent place à plus d’intimité. « Il y a eu une personne âgée qui a répondu à sa lettre en se confiant sur une période de sa vie, et en disant qu’elle n’avait alors jamais raconté ça à personne. C’est un échange d’expérience extrêmement riche dont on a besoin aujourd’hui ».
Par l’expérience 1 lettre 1 sourire, on a été très surpris de voir que tout le monde était assez avide de ces liens intergénérationnels.” – Mathilde d’Alançon, cofondratice d’1 lettre 1 sourire
À ce jour, ce sont plus de 800 000 lettres qui ont été envoyées dans huit pays différents. « On pensait qu’on était dans une période où les jeunes s’en fichaient des plus âgés. On a été assez ému de voir que les jeunes sautaient sur l’occasion d’avoir un contact avec une personne âgée. Tout cette volonté reste pleine d’espoir, ça veut dire qu’on en a besoin. »
Avec un projet naissant de pouvoir étendre l’envoi de lettres aux étudiants isolés, 1 lettre 1 sourire permet de maintenir des liens intergénérationnels malgré l’impossibilité de mettre en place des rencontres physiques. Une possible lueur d’espoir pour l’avenir.
Tessa Brudieu
Une vie d’écart : la série documentaire sur la tendresse du lien intergénérationnel
Pendant six semaines, une classe de maternelle est venue rendre visite à des personnes âgées dans un EHPAD. À travers des activités, ils ont appris à se connaître et ont tissé des liens forts. Une vie d’écart, une série documentaire pleine de tendresse, a suivi la naissance de ces amitiés pas comme les autres. Alexandre Darmon est l’auteur de ce documentaire.
◦ Qu’avez-vous constaté comme bienfaits ?
Pour les enfants, je pense qu’ils auraient acquis ces bienfaits avec le temps. Mais ça a accéléré leur croissance, leur sentiment d’apaisement, leur unité, leur calme, leur possibilité de se concentrer, l’esprit de groupe. Ils ont plus considéré l’autre, ils ont compris, face à ces adultes, qu’il faut faire attention à l’autre. Mais, les bienfaits, ils sont surtout chez l’adulte. Ça les a remis dans la vie, ça leur a donné une utilité. Ils ont fait plus attention à eux, il fallait qu’ils se fassent beaux, ils voulaient les impressionner. C’étaient des “copains”, quelqu’un qui s’intéressait à eux. Ils avaient un but tous les jours. Il sentait qu’ils étaient utiles à quelqu’un. Et en plus, ça les forçait à participer, à se lever et à faire des efforts physiques pour aller avec les enfants, à mieux manger, mieux dormir, à se reposer pour être en forme le lendemain. On sent qu’ils sont mieux, physiquement et mentalement.
◦ Est-ce que ces liens et ces bienfaits ont perduré ?
Malheureusement avec l’épidémie, c’est compliqué et ça a été dur pour les résidents. Je sais qu’il y a des liens qui ont été gardés avec des lettres, des vidéos. Moi, je vais souvent voir les personnes âgées. C’était une belle parenthèse pour eux, qui leur a fait du bien. Il aurait fallu que ça perdure pour ne pas qu’ils reperdent des capacités faute de ce rendez-vous quotidien.
◦ Le moment qui vous a le plus marqué ?
C’est lors de l’interview d’Andrée, qui venait de fêter ses 97 ans, je lui dis “Alors, bientôt les 100”. Elle me répond, “je n’ai pas envie de les voir, j’ai envie de mourir avant”. Je comprends là où j’ai mis les pieds : dans un thème compliqué, la fin de vie et la solitude. À entendre ça, je me dis qu’on a raté quelque chose sur notre modèle sociétal. Si ces gens veulent mourir, s’ils veulent disparaître, c’est qu’on les a laissés trop seuls, mais que là, on apporte une solution.
Une vie d’écart, écrit par Alexandre Darmon, réalisé par Mathieu Farès-Savelli, sortie octobre 2020, disponible sur myCanal
PROPOS RECUEILLIS PAR ARTHUR BELLIER
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