Dans la vallée de la Fensch, la redynamisation après le désastre
A la fin des années 2000 en Moselle, alors que les hommes politiques défilent devant les carcasses agonisantes des cathédrales de fer, une vallée se morfond et sombre en silence. Après plus de 2 décennies de baisses de régime et de plan sociaux, les derniers fossiles sidérurgiques approchent inexorablement de leur coulée finale et une question reste : et maintenant ?
Symbole de la France nouvelle courant des années 60, la Vallée de la Fensch attire. Rapidement, elle hérite du surnom de Texas français et de dizaines de milliers de travailleurs européens venus trouver leur eldorado dans l’industrie de l’acier. En 1976, Bernard Lavilliers chante Fensch Vallée et invite à venir voir « le Colorado en plus petit ». En 2001, il parle plutôt des « Wagons immobiles [et] tours abandonnées » dans les Mains d’Or. « L’Histoire est tragique » disait Raymond Aron et les usines n’y échappent pas. La fin de la sidérurgie dans la Vallée, c’est l’histoire d’années de déliquescence qui subit quasiment le coup de grâce au tournant des années 2010. D’un SOS illuminé rouge, rouge du sang des ouvriers, rouge de l’acier en fusion, devant Notre Dame d’Hayange, ou d’une stèle commémorant les promesses de Nicolas Sarkozy devant l’usine de Gandrange, les ouvriers extériorisent leurs derniers espoirs par le symbolisme. Sans succès.
L’appel du Luxembourg
Maintenant que l’on sait d’où l’on vient, il faut savoir où l’on va. Les 80 000 emplois assurés par la sidérurgie dans la vallée en 1965 ne font plus que quelques milliers aujourd’hui et le chômage atteint 17%. Une nouvelle fois la vallée capitalise alors sur son placement géographique. Chaque matin des milliers de frontaliers usent l’A31 direction Luxembourg à coup de trajet pendulaire dans des berlines allemandes de fonction. A proximité de la frontière, les cités dortoirs deviennent des quartiers résidentiels huppés pour salaires à 5 chiffres et vides de 7 à 20 heures. Mais la crise frappe plus fort et les nombreux travailleurs non-qualifiés ou qui n’ont pas eu le flair de traverser la frontière grand-ducale au début des années 90 restent sur le carreau.
Ainsi, la redynamisation doit voir plus loin. Le secteur tertiaire s’est engraissé sur la dépouille du secondaire pour devenir le premier pourvoyeur d’emploi et la Vallée et ses environs ne doit pas la manquer. A quelques kilomètres, la cité modèle Amnéville, sous l’impulsion de son maire de l’époque, a pris en première ce virage et dispose aujourd’hui d’un pôle des loisirs attirant plus de 3 millions de visiteurs par an. Une adaptation qui pourrait en inspirer d’autres au sein de la Vallée.
Le devenir des sites
Cependant, le devenir de ces ogres noircis par les flammes pose problème. Les cathédrales de fer ont polluées les strates sur plusieurs dizaines de mètres de profondeur, compliquant la reconversion du terrain. Presque 15ans après sa fermeture, le site de Gandrange et ses 100m de haut avalant l’horizon est toujours debout et l’avenir ne se trouve pas dans un futur proche. A Algrange, il a fallu attendre plus de 40 ans pour que la friche industrielle soit constructible. Pour contourner le problème, quelques maires précurseurs ont fait le choix de transformer les friches désaffectées en lieux de visites et musées. A Neufchef, le musée de la Mine propose de découvrir le site d’exploitation minière fermé en 1983, alors que la commune d’Uckange a décidé de conserver un des haut fourneau lors de la destruction de son usine pour en faire un musée à ciel ouvert. Mais ce créneau reste limité dans une vallée ou chaque village ou presque compte un site industriel fermé totalement ou partiellement : avoir un musée par usine ne serait pas viable.
Ressusciter la vallée est certainement un chemin de croix dans une région sinistrée par le chômage de masse et le désintérêt de l’Etat. Si le voisin luxembourgeois est pourvoyeur d’emploi, il l’est aussi en concurrence souvent difficile à maintenir pour les PME. La faute à une fiscalité très avantageuse permettant de casser les prix. De plus, le Grand-Duché attire tellement que certains secteurs ne parviennent plus à attirer du côté français. Si certains élus, comme l’ancien sidérurgiste et ex-élu européen Edouard Martin prône le retour de la sidérurgie par des technologies expérimentales pour redynamiser la vallée, beaucoup n’y croient plus et préfère miser sur l’immobilier et devenir la banlieue-dortoir du Luxembourg.
Tanguy Mantovani
Five Cail est l’expression moderne lilloise de la restructuration urbaine
La région du nord a été pendant plus de deux siècles le berceau et le fleuron de l’industrie française. Le XIXème siècle a été marqué par la création d’usines, le XXIème est l’âge des fermetures. Lille est une de ces villes qui doit savoir se restructurer et se réapproprier d’immenses bâtiments dont la fonction première n’est plus. Parmi les plus grands projets de restructuration urbain, si le projet de la friche Saint-Sauveur semble être en difficulté, ce n’est pas le cas du nouveau projet qui est en train de naitre à Fives Cail. Les usines de Fives Cail sont un symbole lillois qui à vu s’enchaîner pas moins de six générations d’ouvriers entre 1812 et 1997, année de fermeture. La décennie 2010 est celle de la prise en compte de l’intérêt du patrimoine industriel et de l’importance de sa sauvegarde. Five Cail fait parti de ces lieux qui a su préserver son aura, et est remarquable de part sa proposition patrimoniale. Mais quand la sauvegarde en l’état ne peut être envisagée, ce qui est souvent le cas du patrimoine industriel qui correspond a énormément d’hectares, choses précieuse en ville, la restructuration semble la meilleure solution, pour la ville, les parties civiles et les diverses entreprises se réappropriant les lieux. Après presque 20 ans à l’abandon, l’emblématique Fives Cail se restaure, se transforme en Eco-quartier, avec l’implantation d’un lycée hôtelier, des halles commerciales et la réhabilitation de dizaines de bâtiments et de Halls d’usines en espace de travail. La restructuration est un habile mélange de préservation et de réhabilitation, il faut satisfaire tout le monde et trouver le bon liant entre la restauration de l’ancien et l’effectivité du nouveau. Fives Cail, qui est le résultat d’une étroite collaborations, semble pour l’instant remplir toutes les cases de ce qui semble attendre une grande partie des usines du Nord, ce qui semble être mieux que la destruction pure et dure.
Téo Levin