Jusqu’au 27 février 2023, le palais des Beaux-Arts de Lille accueille une exposition gratuite quelque peu originale. Conçue par et pour des mal-voyants, mais aussi à l’attention du grand public, Prière de toucher l’art et la matière renverse les codes de la visite traditionnelle. Yeux bandés, les sculptures se découvrent au toucher.
Immersion sensorielle
Littéralement aux antipodes du cadre classique, l’interdiction de toucher se transforme ici en impératif. Pour pénétrer dans l’installation en forme de bulle, mieux vaut être accompagné. Bandeau sur les yeux, à l’aveuglette : des groupes de deux déambulent dans la salle. L’intérêt est ici de se placer dans la situation d’une personne atteinte de cécité pour appréhender son environnement. Les perceptions sont bouleversées : perte de repères spatio-temporels et déséquilibres rythment le parcours. Le spectateur apprend la dépendance à l’autre, guidé par la voix et le toucher. Privé d’un de des sens principaux, cette situation déstabilisante permet d’éveiller plus intensément les sens comme le toucher et l’odorat. Au milieu des figures humaines aux aspérités différentes, le spectateur reconnaitra surement l’Ange déchu de Rodin. L’exposition est faite de telle sorte que des extraits de matière sont mis à disposition, comme du marbre brut ou strié, de la terre cuite ou encore du bronze.
Sensibiliser et inclure
L’accès à la culture pour tous est un réel enjeu pour les musées, qui en tant qu’organes publics sont supposés faire le nécessaire pour que le handicap n’y soit pas un obstacle. La loi du 11 février 2005 préconise en effet une accessibilité des musées pour tous, au niveau de l’architecture mais aussi de la médiation. Le handicap visuel étant peu abordé dans l’espace public, ce projet permet de sensibiliser le grand public, mais pas seulement. Cette expérience inclusive permet enfin de faire profiter de l’art à des personnes qui n’y ont pas ou peu accès en temps normal. En effet certaines personnes atteintes de cécité peuvent éprouver de la souffrance ou de la frustration à être privés de la contemplation d’œuvres qui ont accompagné leur existence avant qu’elles ne perdent la vue par exemple. Ici, des plaquettes explicatives en braille sont donc mises à disposition. Si l’invention du braille en 1829 a permis une immense avancée dans l’accès au savoir et à la culture pour les personnes aveugles et les malvoyants, il reste néanmoins encore beaucoup d’efforts à faire pour qu’ils se sentent pleinement inclus dans la société.
Valentine Noyer
Photo Le Châtillon
Place de la République 59000 Lille
Horaires :
OUVERT : Lun. 14h – 18h, Mer. > Dim. 10h – 18h. Fermé le mardi.
Gratuit, sans ticket
Focus : la synesthésie dans l’art
« Un liage sensoriel inhabituel, dans lequel certains stimuli évoquent automatiquement une perception additionnelle » au delà de l’abrupte mais très juste définition de Cohen Kadosh de la synesthésie, elle peut être simplement qualifiée de mélange de sens, de convergence des expériences sensorielles.
Elle désigne en premier lieu un caractère purement physiologique chez une mineure partie de la population, qui implique un trouble de la perception dans lequel une sensation supplémentaire est ressentie dans une autre région du corps que celle qui est perçue normalement. C’est par exemple dans cette optique qu’un synesthète pourrait « sentir » un goût, ou « voir » un son.
Mais ce mélange des sens ne se fend pas que d’un caractère corporel et nerveux, il s’étend à toute sorte de perception dont les leviers peuvent être multiples et s’étendre à chacun. Si les sens sont souvent perçus comme des fonctions psychophysiologiques infranchissables, l’art est l’une des passerelles qui permet de les décloisonner.
« Correspondances » de Baudelaire s’affirme comme l’une des premières œuvres désignant les rapports entre le monde matériel et le monde spirituel, des analogies qui permettent de passer du monde des perceptions à celui des idées. Il est la preuve que des réalités et des matérialités sensorielles coexistent dans l’art, engrenées par un procédé poétique qui met en relief les aspérités des différentes émotions : un enchevêtrement émotionnel qui se galvanise par l’art et qui s’éprouve par les sens .
Cédric Rossi