Tous les derniers vendredi du mois, Lille est en vélorution. Une centaine d’activistes sur selle parcourent la ville pour promouvoir leur moyen de transport privilégié. Mettre en avant la mobilité douce en s’appropriant l’espace public, voilà le pari optimiste des vélorutionnaires.
« Pédaler doucement mais parler beaucoup », « Mettez du plaisir entre vos jambes » ou encore « un petit coup de pédale pour l’homme, un grand tour de roue pour l’humanité ». Arborant des slogans bon enfant, les manifestants portent néanmoins un objectif ambitieux : transformer la mobilité urbaine et les rapports sociaux. « La vraie vélorution, c’est chaque jour que les cyclistes la font. Au travail, le simple fait de prendre son vélo suscite l’interrogation des collègues : ‘toi tu viens en vélo ?’ Ça leur montre que cette alternative est possible et les invite à essayer. Pareil quand tu fais tes courses en vélo ou quand t’emmènes tes enfants à l’école en vélo. Tous ces gestes quotidiens changent l’imaginaire des gens via l’exemple qu’on leur donne. Le vélo, c’est un acte militant. », atteste Solène, membre du collectif depuis le printemps dernier.
Depuis la création de Vélorution Lille en 2011, le départ de chaque parade mensuelle se tient à Grand Place mais le parcours emprunté diffère selon le thème choisi. Pour la balade de novembre, les vélorutionnaires sont passés par le Cimetière de Sud, à Lille Sud à l’occasion d’Halloween. En septembre, ils se sont rendus à Loos, en hommage à la cycliste qui y a perdu la vie quelques jours plus tôt. Un tragique accident qui est loin d’être un cas isolé. Deux cents cyclistes sont décédés sur les routes en 2021, une première depuis 20 ans. « La ville a été transformée pour la voiture, étalée à cause d’elle, à coup de nouveaux équipements censés faciliter le déplacement motorisé. L’expérience cycliste de la ville passe ainsi par la vulnérabilité, la lenteur et une certaine forme d’impuissance : être fragile et quasi-nu dans la circulation, physiquement limité face aux distances et aux obstacles », dénonce un article référence de la pensée vélorutionnaire paru en 2007.
Les vélorutionnaires comme Solène pointent la mollesse des pouvoirs publics : « À partir du moment où il y a encore pleins d’accidents et de décès de cyclistes, on ne peut dire que le travail a été fait.» Le premier axe de travail, c’est la sécurisation des cyclistes via l’aménagement de pistes cyclables balisées et séparées de la route, couplé d’une meilleure signalétique. Le second, c’est un travail d’éducation auprès des automobilistes. « Aujourd’hui, il y a des vélorues qui ont été mises en place qui donnent la priorité aux cyclistes, c’est plutôt une bonne chose, mais elles ne sont pas enseignées dans le code de la route donc les automobilistes ne les respectent pas », note-t-elle.
S'imposer, mais avec le sourire
Pour Solène, créer une masse compacte de 100 cyclistes permet de s’approprier la route, d’exister en tant qu’usager. « Quand on est tout seul, on peut avoir peur d’une voiture derrière nous qui fait vrombir son moteur pour signifier qu’on l’embête par notre lenteur, alors que quand on est en groupe, on se sent moins vulnérable.»
Malgré la colère des vélocistes et leur volonté de s’imposer sur la voie publique, la « danse urbaine des vélos » se tient dans une ambiance très festive. L’objectif principal n’est pas d’alimenter la défiance des automobilistes, mais de les interpeller et de les inviter à se mettre au vélo. Pour susciter cette convivialité, les manifestants chantent, se déguisent, leur distribuent des tracts et discutent avec les plus agacés d’entre eux. La parade se termine par un moment d’échange à La Moulinette. Soutien de l’initiative, ce bar situé en plein cœur de Moulin offre une réduction sur la bière et le jus de fruit aux participants. Car la vélorution, c’est d’abord rendre désirable ces mobilités nécessaires à la transition écologique”.
Darius Albisson
> Pour éviter de dérailler en si bon chemin, Vélorution lilloise sait bien s’entourer. L’association a notamment collaboré avec diverses associations en lien avec leur combat, comme Les Jantes du Nord. Grâce à cet atelier participatif de réparation, les néo-vélocistes seront accompagnés dans la prise en main de leur nouveau moyen de transport.
ZOOM
Vélorution à Lille : sur les rails ou ça déraille ?
Si l’on s’en tient au site de la mairie : « la Ville et de nombreux acteurs lillois se mobilisent chaque jour pour rendre cette pratique plus sûre, plus accessible et plus économique. » Qu’en dit la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) ? Pour la troisième année consécutive, elle a lancé en 2021 « la plus grande enquête citoyenne sur le vélo » : un baromètre des villes cyclables. 277 000 contributeurs ont répondu à une vingtaine de questions, permettant ainsi de dresser un classement de 1625 communes.
L’objectif est d’offrir un « panorama complet du système vélo et du chemin à parcourir » et d’évaluer les politiques locales de développement de l’usage du vélo. Pour produire une comparaison qualitative, ont été utilisés des critères démographiques mais aussi sociaux-spatiaux afin de prendre en compte les variations des situations urbaines. Chaque commune a été positionnée sur une échelle de A+ à G allant de « climat vélo excellent » à « climat vélo très défavorable ». La moyenne générale de la France en 2021 était de 2,98/6 (E), en très légère augmentation par rapport à 2019.
Voici un comparatif des résultats par thématique (sur 6 points) de l’enquête 2021. A gauche, les résultats obtenus par Lille et à droite, la moyenne de sa catégorie : « Grandes villes ».
3,08 < Score global > 3,03
3,12 < Ressenti > 3,03
2,85 < Sécurité > 2,72
3,04 < Confort > 2,97
3,56 < Service stationnements > 3,43
2,86 < Effort de la ville > 3,01
En bref, Lille décroche la moyenne de classe dans presque chaque matière. Pour autant, elle a encore beaucoup d’efforts à fournir pour rattraper les élèves modèles : Grenoble en 1er, suivi par Strasbourg et Rennes.
Maud LAFAYE