Cette année l’écologie s’est immiscée au festival Séries Mania. Pour l’occasion, l’écologiste et documentariste Cyril Dion s’est rendu à l’UGC Ciné Cité Lille le jeudi 23 mars pour évoquer le rôle que peuvent jouer les séries dans la lutte climatique.
Dans la salle 1 de l’UGC Ciné Cité Lille, les spectateurs grouillent à travers les allées pour trouver une place. Les retardataires remplissent les derniers sièges laissés vacants. Après quelques minutes, Olivia Gesbert, journaliste pour France Culture, et l’écologiste et désormais showrunner Cyril Dion se frayent un chemin jusqu’à la scène sous les lumières tamisées et les applaudissements chaleureux. Quelques ajustements et plaisanteries plus tard, la conférence peut enfin débuter et la question du jour n’est pas des moindres : que peuvent les séries pour l’écologie ?
Surtout que le sujet demeure tabou au sein de la deuxième industrie la plus polluante après le pétrole. Récemment à la cérémonie de remise des Césars, une militante écologiste est venue perturber les festivités. Comme un grain de sable dans une machine qui se veut parfaitement huilée, cette irruption sera néanmoins coupée par Canal + et la soirée se déroulera en faisant totale abstraction de l’événement. Une omerta généralisée qui pousse pour beaucoup à tirer la sonnette d’alarme pour faire émerger la cause climatique sur les écrans.
La valeur portée à la science
La salle est désormais plongée dans l’obscurité. Les yeux sont rivés sur un extrait de la série HBO Tchernobyl. On y voit un Gorbatchev livide écouter un scientifique dont les gestes parasites trahissent la difficulté à convaincre la dizaine d’hommes de fonction auquel il fait face. Encore aujourd’hui sur les questions climatiques la parole scientifique peine à faire autorité dans les décisions politiques. Cyril Dion regrette d’ailleurs que même entre scientifiques, il est souvent difficile de faire consensus : « Pendant des années des scientifiques nous ont alertés et des entreprises ont continué d’employer des scientifiques pour émettre des rapports tronqués et contradictoires. »
D’autant plus que les derniers rapports du GIEC sont édifiants. Les projections actuelles estiment une augmentation de 2,2 °c à 3,5 °c d’ici 2100 : « On on se retrouve face au cynisme politique et aux lobbys industriels. La volonté populaire est toujours remise au second plan », affirme l’écologiste. Cet entêtement au profit des intérêts économiques et politiques n’est pas sans rappeler la célèbre phrase du lanceur d’alerte et ancien ingénieur dans le nucléaire, Jean Pierre Dupuy : « Nous ne croyons pas ce que nous savons » qui alertait notamment sur le danger du nucléaire qu’évoque la série HBO. Pour Olivia Gesbert, « la centrale de Zaporijia a réveillé les vieux démons de Tchernobyl », ce qui interroge sur les risques de la prolifération des centrales dans un monde gangréné par des conflits militaires et des tragédies climatiques.
Une vision souvent catastrophiste
Les extraits de séries s’enchaînent et dépeignent pour la plupart la même chose : un effondrement de la société. Quelques rires ironiques traversent la salle quand les humains se retrouvent à négocier avec des baleines et des crabes venus prendre leur revanche sur l’homme : « On se croirait dans Alien », fustige Olivia Gesbert. Que ce soit une coupure mondiale d’électricité ou bien le mécanisme complètement anachronique de l’opposition homme et nature, la plupart des séries dépeignent cette vision irrémédiablement catastrophiste. Des représentations caricaturales qui font également rire jaune Cyril Dion mais inconsciemment pointe une vraie problématique : « On se rend compte de l’immense et fragile dépendance à l’énergie que nous avons créé. La trajectoire qui est en train de se dessiner pourrait nous confronter à des situations dramatiques. »
Le risque de ces séries aux budgets et scénarios hollywoodien réside également dans le fatalisme qu’elles évoquent et la résignation qu’elles provoquent auprès des spectateurs pour qui les dés semblent déjà jetés. Il est donc important d’engager les séries à leur responsabilité de medium afin de pré-scénariser le monde dans un futur proche de manière plus optimiste : « Si on montre uniquement des horizons dystopiques, il va se dérouler une prophétie auto-réalisatrice. Pour le spectateur le futur c’est Mad Max. »
Influer sur les modes de vie
Pour Cyril Dion il faut établir une tout autre sémantique : « Si on se contente de faire ça il y a un côté sidérant et on est écrasé par l’ampleur de la catastrophe », explique l’écologiste. La vision très manichéenne prônée par les séries, entre l’individualiste recroquevillé dans son hameau et le survivaliste armé jusqu’aux dents, est surannée. Certaines séries ont décidé de déjouer cette dichotomie et d’offrir un récit plus positif imbibé de solidarité. C’est le cas de Call me Dead qui, à la place des tsunamis créé par de la CGI, préfère mettre en avant un mode de vie plus vertueux à base de trie sélectif : « Il faut que les séries cessent de décourager mais puissent influer sur les gens et les institutions pour diffuser ce changement. »
Bien loin du feu d’artifice, ce genre de médium peut être prescripteur d’une vision plus optimiste malgré la situation d’urgence. Cyril Dion garantit qu’il faut mobiliser l’activisme à travers le médium que sont les séries. Après 1h15 de discussion passionnée, le showrunner a annoncé la sortie prochaine de sa nouvelle série We Could Be Heroes où il promet que l’entraide et l’optimisme seront les maîtres mots.
Victor Jezequel
ZOOM SUR…
Glacier, un manifeste poétique et écologique
A la fin de l’année 2022, Solal Moisan et Camille Etienne réalisent ensemble leur deuxième court-
métrage, Glacier. Mêlant histoire sentimentale entre un père et son fils au cœur d’une ascension, et
alertes sur l’état de la planète, ce film d’une vingtaine de minutes inflige une grande claque
écologique.
D’abord parce que Camille Etienne y met tout son cœur. Fille d’un guide de montagne, passée par
Science-Po Paris, elle devient porte-parole du mouvement « On est prêt » créé en 2018. Engagée
également au sein d’Amnesty International, c’est aux côtés de Greta Thunberg qu’elle présente
régulièrement ses revendications devant le Parlement européen.
Au sein de ce court-métrage, Camille Etienne occupe une place centrale. Entre les scènes
d’ascension où père et fils tentent de retrouver une complicité perdue, la militante est l’autrice de
monologues poétiques, entourée d’un orchestre de violonistes au milieu des glaciers. Critique du
capitalisme, chiffres chocs et condamnation de l’hégémonie humaine sur les différentes espèces,
sont dénoncés avec foi et détermination.
Le contraste saisissant entre les somptueux paysages montagneux et les tragiques évènements
décrits, permettent de créer un sentiment de révolte mais aussi de culpabilité. Un court-métrage qui
permet de sensibiliser, d’interpeler et de questionner le mépris humain vis-à-vis de la nature. Le film
est gratuit et disponible sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=BfZgooo8_m0).
Nathéo Dillenseger
Vidéo réalisée par Thibault Guiguen