Le travail peut être défini comme une valeur sociale, une activité rémunérée économiquement ou même une occupation qui donne un rôle dans la société. Or, ce n’est pas une institution égalitairement intégratrice et le mode de vie qu’il implique n’est pas un but recherché par tous. Paul et Sylvie, deux Lillois sans emploi, racontent la précarité qu’ils vivent ainsi que leur relation au travail.
Seulement 8% des Français sont heureux d’aller au travail tous les matins selon une étude menée en 2018 par HR Voice. Si tout travail mérite salaire, on peut se demander quelles sont les rétributions d’une vie sans emploi. Tout comme le statut professionnel nécessite des investissements physiques et économiques, le refus de ce statut a des coûts. Quels sont-ils ? Sont-ils justifiés par les rétributions possibles ?
Paul est un habitué des pavés lillois. Le soir, il se retrouve devant une supérette de la métropole, en espérant que la générosité des passants lui permette un confort de vie un minimum viable et acceptable.
Lui ne travaille pas aujourd’hui, il explique : « Ma mère a travaillé plus de quarante ans pour toucher moins de 900 euros de retraite, j’avais pas envie de connaître ça. J’avais pas envie de travailler pour un autre, de travailler sous les ordres de quelqu’un, j’ai choisi d’être libre. Aujourd’hui je suis libre, ça a un coût, mais je suis libre. »
Grâce aux APL et au RSA, il peut payer le loyer de son 13m2, ses factures, et garder environ 200 euros pour sa consommation du mois. Ces revenus ne permettent pas de subvenir à tous ses besoins, ce qui l’oblige à invoquer la générosité des passants pendant la soirée. « Mes collègues sont dans la rue, ce sont les personnes qui ont la même situation que moi, les employés du magasin, les personnes qui me saluent ou me payent à manger et à boire. »
Le soir, sous son écharpe et sa casquette, Paul attend la fermeture du magasin pour rentrer chez lui, avec l’objectif de récolter assez d’argent pour sa consommation d’alcool et de cannabis. Une fois rentré, il se repose ou se divertit devant Netflix, grâce à son voisin qui lui a prêté une console de jeu. Ne pas travailler est une façon pour lui de s’offrir une liberté et un rapport au quotidien que les rétributions du travail ne payeraient pas.
Un choix souvent contraint
Cette situation est vécue par Sylvie, qui partage bien plus qu’une rue et des pavés salis avec Paul. Sylvie ne parvient plus à trouver un emploi depuis qu’elle a sacrifié sa vie professionnelle pour assurer l’éducation de ses enfants. Cette situation lui permettait d’abord de toucher le chômage, mais lorsqu’elle n’a plus eu accès à celui-ci, elle s’est retrouvée sans revenus et a dû quitter son logement. Elle a pu recevoir l’aide et l’hospitalité d’une amie qui l’héberge sous son toit. Derrière ses lunettes rectangulaires, elle explique qu’avoir un emploi « c’est nécessaire pour avoir une certaine estime de soi ». Une alternative vraiment possible pour sortir de l’organisation de la société ?
Pour subvenir à ses besoins, Sylvie fait actuellement des démarches pour avoir accès au RSA et demande, tout comme Paul, de l’aide aux passants dans la rue, en espérant que la générosité des Lillois lui permettra de garder une hygiène de vie acceptable.
Être sans emploi expose donc à une précarité certaine. En parallèle, il semble bien impossible de se détourner du monde professionnel sans bénéficier de ce qu’il offre en France : une couverture sociale particulièrement efficace. Que ce soit le chômage, le RSA ou quelconque autre aide sociale, la couverture fournie par l’Etat français reste financée majoritairement grâce aux cotisations des travailleurs.
Ben Monnet
ZOOM SUR : Le Macadam Journal, quand la presse écrite s’oppose à la précarité
Dans les années 1990, le concept américain du « journal de rue » est importé en France. Il y rencontre un succès immédiat. Relancé à Lyon en 2006, le Macadam Journal fut le premier titre publié en France. Il a un temps attiré plus d’un million de lecteurs. Lourdement affecté par la pandémie, il est désormais un magazine trimestriel écoulé à environ 2000 exemplaires. Pour autant, sa Présidente, Marie-Christine Carro, affirme n’avoir « pas le droit de l’abandonner ».
En tant que journal de rue, le Macadam est exclusivement vendu par des personnes en situation précaire. Proposé à travers la France au prix de 3€, il permet aux vendeurs-colporteurs de tirer au moins 60% de leurs ventes, et davantage si les lecteurs se montrent généreux. Depuis son lancement, sa vocation est restée inchangée : « Aider des gens dans le besoin ». Concrètement, le magazine se veut une solution pour tirer ses vendeurs d’un isolement social, favoriser leur réinsertion et leur apporter un soutien financier. Témoignant à la Radio Télévision Suisse, certains d’entre eux évoquaient même des questions de « dignité ». Pour Marie-Christine Carro, le plus grand « drame » réside toutefois dans la hausse de la précarité, notamment chez les retraités, nombreux parmi les vendeurs.
L’actuelle Présidente raconte avoir vendu « le premier exemplaire », il y a 30 ans. Aujourd’hui, elle porte la nouvelle promesse du Macadam : « La qualité, pas la charité ». Comprenez : la vocation du journal n’entre pas en contradiction avec celle du journalisme, il n’est qu’un « prétexte à l’insertion ». Et pour cause, ce sont bien des détenteurs de la carte de presse qui tracent les lignes de ce mensuel, en tant que bénévoles.
Jean Nowak