« Précarité sociale et numérique c’est la double peine », cette phrase est souvent utilisée dans le langage courant pour appuyer sur le lien entre fossé social et fossé numérique. Ce fossé technologique s’est creusé depuis le mouvement de numérisation du début des années 1990. C’est ce que des associations lilloises telles qu’Emmaüs Connect tentent de combattre.
Les associations qui luttent pour la précarité numérique se multiplient sur le territoire français. Il y a une véritable prise de conscience qui s’est effectuée et qui permet une aide active. Elles travaillent en partenariat avec des structures sociales spécialisées qui les mettent en relation avec des potentiels bénéficiaires. L’association Konexio, collabore avec des entreprises, des fondations privées mais aussi des institutions publiques. Par exemple SAP, société qui s’occupe des logiciels de gestion d’entreprise, met à disposition des bénévoles et un soutien financier pour aider à son développement. L’association cible des personnes étrangères et/ou éloignées du marché du travail et lutte contre l’illectronisme.
L’association Emmaüs Connect compte environ 200 partenaires au niveau de la métropole lilloise, sur l’année 2023. Elle agit depuis 2013 avec des acteurs qui vont identifier le besoin d’une personne et l’orienter vers l’association. C’est un fonctionnement de bon d’orientation : la structure partenaire va remplir une fiche de liaison pour apporter des informations sur la personne et détecter son besoin d’une aide numérique. Après un rendez-vous avec l’intéressé, l’organisme constitue un diagnostic social et numérique pour savoir où elle en est dans ses ressources, dans ses compétences, voir son taux d’équipement et ses besoins. Cela permet un meilleur suivi et de pouvoir guider l’individu sur les activités proposées.


Marie Delpierre-Tison, responsable des espaces de solidarité numérique Emmaüs Connect
« Connecter, équiper, accompagner »
Marie Delepierre-Tison, responsable des espaces de solidarité numérique Emmaüs Connect Lille et Roubaix, dépeint le schéma d’une association organisée. Elle y travaille depuis septembre 2022, et inscrit un réel dévouement. Du haut de sa trentaine d’années elle pose les bases : « Connecter, équiper, accompagner, c’est notre dicton. » L’aspect connexion se fait grâce à leur partenaire : SFR. Depuis 10 ans, l’entreprise aide à proposer des recharges prépayées à tarif solidaire avec des recharges uniquement data internet et des recharges internationales pour communiquer à l’étranger : « Presque la moitié de nos bénéficiaires n’ont pas accès à un compte courant cela rend compliqué l’accès à un forfait. » Pour l’équipement, l’association propose un matériel reconditionné à tarif solidaire : « Ce sont les entreprises qui proposent un don de matériel qu’elles n’utilisent plus, afin qu’il puisse être reconditionné. » En 2020, le projet « LaCollecte.tech » est créé pour permettre aux entreprises de proposer leur don. Par exemple, pour un ordinateur le prix peut varier entre 70€ et 150€ maximum.
Si cela semble alléchant, Marie affirme aussi qu’il y a « des accompagnements totalement gratuits et les personnes peuvent venir autant de fois qu’elles le désirent ».
Effectivement, la structure solidaire propose d’accompagner leur bénéficiaire en organisant des parcours d’initiation collectifs et des « permanences connectées », qui sont des accompagnements individualisés.
« Il n’y a pas besoin d’être informaticien pour être bénévole »
La responsable se coupe dans son explication lorsqu’un bénévole frappe à la porte de son bureau pour lui demander de l’aide avec des clients. « Il n’y a pas besoin d’être informaticien pour être bénévole », s’exclame-t-elle après l’avoir renseigné. Elle s’explique : « Notre programme est accessible à tout type de personne. Alors nous adaptons le client avec le bénévole. » Pour aider des personnes en situation de précarité numérique, les associations collaborent parfois avec l’Etat. La mission de service civique est indemnisée à la hauteur de 600,94 € mensuel. La jeune femme poursuit : « Nous n’avons pas toujours besoin de professionnel, le contact est primordial et si on peut aider les jeunes à financer leurs études et en même temps des familles dans une situation de précarité numérique, le pari est réussi ! »
Ces démarches favorisent la sortie de l’isolement des personnes touchées, ce qu’affirme un couple sortant d’une permanence connectée : « Nous voulons aider notre fils à être comme les autres, même si nous n’avons pas les moyens de lui payer ce qu’il veut. » Cette rencontre montre que tout le monde peut être concerné par cette précarité numérique. D’ailleurs, certaines associations ciblent une catégorie particulière d’individus telle que les Papillons blanc qui aident les personnes en situation de handicap et leur entourage.
Une personne sur cinq, incapable de communiquer via internet
Alors que de plus en plus d’aspects de notre vie quotidienne migrent vers le numérique, certaines régions et populations se sentent exclues de cette révolution.
Selon une étude publiée par l’Insee en 2019, une personne sur cinq étant incapable de communiquer via internet. Les plus âgés, les moins diplômés, les revenus modestes sont parmi les plus touchés.
Marie Delepierre-Tison, rend compte de ces chiffres : « Le public est assez fragile et ne comprend pas toujours les factures téléphoniques, de box internet etc., il faut les aider. » Le problème semble avoir trouvé sa solution mais une question demeure : le fossé technologique n’aurait-il pas pu être évité ? Aujourd’hui, tout passe par le numérique et cette pratique ne cesse de s’étendre. La pensée générale tend vers l’idée d’une « simplification » des choses. A l’inverse, pour ces personnes touchées par la fracture numérique, on peut en dégager une isolation de la société.
Valentine Gomez
Photos Le Châtillon
Zoom : Face à la fracture numérique chez les étudiants, l’Université de Lille propose des solutions !
Bien qu’atténué dans les grandes villes, le phénomène de la fracture numérique y reste bien présent. D’après l’INSEE, près de 13% des habitants de la métropole lilloise seraient sujets à l’illectronisme – ne maîtrisent pas les compétences nécessaires à l’utilisation et à la création des ressources numériques. Chez les jeunes et notamment les étudiants, le problème réside plus dans l’accès au numérique. Certains ne sont pas équipés d’ordinateur, ce qui constitue un frein évident à leur réussite universitaire. Melvin, étudiant en droit à la Faculté de sciences politiques et juridiques témoigne : “Je pense que sans ordinateur, suivre un cursus de droit c’est compliqué. Certains travaillent autrement, mais ça reste indéniable que c’est un gain de temps, et puis par exemple, la plupart des professeurs mettent les cours sur la plateforme Moodle, ce qui nécessite l’accès à un appareil.” Face à ce problème, l’Université de Lille a mis en place le dispositif « prêt gratuit d’ordinateurs » qui permet à tous les étudiants de bénéficier gratuitement, sous réserve des quantités disponibles, d’un ordinateur portable qui leur sera prêté jusqu’à la fin de l’année universitaire. Melvin a, grâce à une annonce affichée dans la bibliothèque, entendu parler du dispositif et a pu en profiter: “C’est comme un livre, il faut aller à l’accueil de la BU et demander un ordinateur. Ils m’ont fait signer une convention de prêt et en 1⁄2 heure j’ai pu avoir un ordinateur fonctionnel. C’est pas une ferrari, mais ça dépanne bien. Tu peux pas faire de montage ou quoi que ce soit mais pour utiliser un traitement de texte ou envoyer des mails c’est nickel.” La faculté ne demande pas de caution, l’accès à ce service est gratuit et n’est pas conditionné pour les étudiants : “Ça m’a étonné, même s’ils ont une trace de toi, ils ne te demandent rien et il n’y a pas besoin de fonds spécifiques”, conclut Melvin, “c’est une super initiative pour aider les étudiants qui n’ont pas les moyens d’acheter un ordinateur, c’est une réponse fonctionnelle et directe au problème de l’accès au numérique”.
Par Raphaël Constans-Martigny