Le Châtillon s’est rendu cette semaine chez six femmes atteintes par l’endométriose dans le but de comprendre l’impact de cette maladie sur leur quotidien et de cartographier les rares éclaircies qu’il est possible de partager à ce sujet : car s’il y a bien une chose qui la caractérise, c’est le flou, voire l’incertitude. Retour donc sur la manière dont ces femmes composent avec la présence de l’endométriose dans leur quotidien.
Il existe deux aspects à l’endométriose, le premier étant celui de l’isolement progressif du malade, à la fois du fait de la particularité de l’expérience qu’il traverse, et de l’incompréhension générale qui en découle. Florence nous décrit le phénomène en expliquant d’abord qu’il lui était « impossible de travailler dans des conditions normales : fatiguée très tôt, il faut faire l’effort d’être agréable, ignorer les douleurs et trouver des solutions en sachant que les gens ne savent simplement pas pourquoi on est comme ça », raison pour laquelle cette femme de 30 ans a progressivement cumulé son activité de cadre et l’ouverture d’une boutique indépendante de bijouterie, qui fait aujourd’hui l’objet de tous ses efforts. L’endométriose n’est évidemment pas quelque chose dont on parle, ni au stade de l’embauche, ni à celui de salariée confirmée : « C’est comme embaucher une femme enceinte chaque mois » et « surtout, ça nous colle une étiquette discriminante sur le front ; que les gens sachent ce que l’on a ne veut pas dire être pris en pitié… »
Une lourde omniprésence quotidienne
Pour Angélique, l’endométriose, ce sont des douleurs abdominales et pendant les rapports. Pour Pauline, c’est localisé vers l’ovaire droit, le dos et ça se ramifie partout autour des reins. Pour Stéphanie, ce sont des états dépressifs et des sauts d’humeurs difficiles à maîtriser. Pour Florence et chacune d’elles, c’est tout simplement l’incapacité de se lever quelques jours par mois. Une douleur constante, que l’on retrouve comme un groupe d’amis chaque mardi du mois, si ce n’est beaucoup plus souvent, ce n’est pas compliqué, « ça fatigue sa mère ». « C’est un poids psychologique qui occupe nos journées », « quelques adhérences suffisent à faire caboter nos relations, nos activités. »
"Devrais-je vivre avec jusqu'à la ménopause?"
L’Etat semble constater la nécessité de se « réarmer démographiquement », pour reprendre une formule devenue virale, alors qu’il faut le dire, l’endométriose prive de maternité près d’une femme sur dix. Cette maladie est en effet avant toutes complications physiques et sociales une réelle énigme personnelle : Pourquoi moi ? Devrais-je vivre avec jusqu’à la ménopause ? N’est-ce pas normal finalement ? Stéphanie nous livre par exemple un témoignage très inspirant sur le travail sur sa maternité et sa féminité : « On est obligé de se poser la question : veut-on un enfant ? Je pense que toutes les femmes se la posent, mais le rapport à la maladie lui donne réellement une valeur particulière. L’endométriose, ça a surtout été pour moi beaucoup d’interrogations et une introspection forcée. » Alors nécessairement, on se documente pour ne pas être « dans le déni », mais il est certain « que donner à cette maladie une place trop grande, lui accorder toutes nos pensées depuis la pilule le matin jusqu’à la fatigue le soir, c’est lutter avec elle. Cela ne fonctionne pas. » « Je pense que je l’ai adoptée, c’est une expérience que je ne sacralise pas et qui m’a même permis de me rendre compte que je ne désirais pas avoir d’enfant. » Ainsi, Stéphanie donne l’exemple d’un formidable renversement : plutôt que de laisser la maladie ronger son rapport au corps, prendre le dessus sur elle en accueillant les questions qu’elle soulève : « Aujourd’hui, je ne sens plus rien, j’ai le sentiment de l’avoir dépassée et je fais confiance à mon corps parce que j’ai fait le travail qu’il fallait ailleurs. »
Achille Joly
Portrait : Pauline, atteinte d’endométriose, raconte son parcours dans le diagnostic de sa maladie
Il a fallu sept ans à Pauline avant d’obtenir son diagnostic d’endométriose. Sept ans, c’est la durée moyenne d’errance médicale que subissent les personnes menstruées avant de pouvoir accéder aux examens nécessaires à l’établissement d’un diagnostic. Sept ans de doutes, de rendez-vous coûteux, de recherches personnelles, d’exclusion sociale pour n’aboutir qu’à très peu de résultat. « On me dit toujours que c’est normal d’avoir mal, que je devrais en parler avec d’autres souffrantes pour trouver des solutions par moi-même. » En effet, malgré la reconnaissance officielle de sa pathologie, il n’y a pas un jour où la jeune infirmière ne subit pas les conséquences du manque de sensibilisation à la maladie.
En 2020, un grand pas a été effectué dans la lutte pour la visibilité de l’endométriose : l’étude de la pathologie a été ajoutée au programme de médecine. Le problème demeurait en effet toujours le même, les professionnels de santé n’étaient pas formés à la maladie. Ainsi, la nouvelle génération de médecins semble représenter un souffle nouveau pour les personnes menstruées, un espoir d’être dirigées et accompagnées dès les premiers symptômes. Ce n’est néanmoins qu’un premier pas, puisque l’étude de l’endométriose se positionne comme optionnelle au programme de médecine. « On parle des femmes et de ce qu’elles ont entre les jambes, c’est tabou », nous partage Pauline. « Quand une maladie qui touche au moins une personne menstruée sur dix est vue comme optionnelle, on a trouvé le cœur du problème. » Ainsi, si la gynécologie est vue comme le parent pauvre de la recherche en médecine, l’endométriose n’est pas en reste. Faute de financement, mais surtout de formation médicale, aucun traitement n’a été trouvé à ce jour. La lutte pour la visibilité de l’endométriose n’est donc pas gagnée, mais quelques étapes ont été franchies. La parole commence à se libérer chez les personnes menstruées, qui sont davantage prises au sérieux dans le milieu médical, mais la méconnaissance de la maladie reste le problème central dans sa prise en charge.
Jeanne Bufferini