L’Enfer du Nord pave la voie au cyclisme féminin
Paris-Roubaix, c’est la course mythique du cyclisme français depuis plus de 130 ans. Pour les femmes, ce n’est qu’en 2021 que la première édition a vu le jour, remportée par la britannique Elizabeth Deignan. Samedi 6 avril 2024, s’est lancée de Denain la 4e édition féminine de la course. Après 148,5 km, les coureuses sont arrivées au Vélodrome de Roubaix sous les applaudissements d’un public bien rempli, signe de la visibilité grandissante sur le cyclisme féminin. Immersion.
Dans le monde du cyclisme, les problèmes de la visibilité et des clichés sur les courses féminines sont souvent soulevés. Pourtant, ce 6 avril, ils étaient nombreux à venir soutenir les 144 coureuses à l’arrivée de la 4e édition féminine de Paris-Roubaix. La foule s’impatiente, s’interroge sur l’issue. C’est pour bientôt, les coureuses ont encore 5 km d’effort. Dans le public on retrouve des femmes, des hommes et des enfants de toutes les nationalités. Tous réunis par une passion : le cyclisme, et par un espoir : voir le cyclisme féminin continuer à se démocratiser. « Je voulais absolument venir voir les femmes également, il faut plus de courses comme celle-ci », s’exclame Joanna, venue de Montréal pour le week-end.
Les gens scandent le nom de leur favorite, tentent de se faufiler pour mieux apercevoir la piste. Ça y est, les coureuses en tête de course viennent d’entrer dans le Vélodrome de Roubaix. « J’ai été agréablement surprise de voir qu’il y avait autant de monde, à la fois au Vélodrome et sur le parcours », admet Julie, roubaisienne d’origine. Cette 4e édition a provoqué une effervescence que certains n’avaient pas prévu : « Il y a plus de public que ce que je pensais, j’imaginais que ça aurait été facile de regarder la course ici, mais il y a trop de monde », s’étonne Anna Bruneel, coureuse belge junior. Au niveau de l’organisation, les moyens déployés pour la course des femmes sont également en progression : « L’année dernière, il n’y avait pas autant d’animations pour la course féminine, là il y a exactement les mêmes animations que pour la course des hommes », explique Loyd Juillet, membre de l’organisation.
« Ça commence réellement à prendre de l’ampleur »
Ça s’accélère, ça crie, on ne s’entend plus. C’est fait, Lotte Kopecky, la Belge, championne du monde en titre, vient de remporter Paris-Roubaix 2024. « Je suis trop content que ça soit Lotte Kopecky qui gagne, c’était la seule Belge face à toutes les néerlandaises », s’enthousiasme Romain, coureur liégeois amateur. « Je commence à suivre de plus en plus les courses féminines, surtout Lotte Kopecky. En étant championne du monde elle aide à faire connaitre le cyclisme féminin en Belgique. » Loin des clichés machistes sur le sport féminin, Jérôme reconnait sourire aux lèvres : « L’ambiance à l’arrivée était géniale, ça commence réellement à prendre de l’ampleur, pourvu que ça dure. »
Malgré ces évolutions notables, les problèmes persistent. « Même si il y a une progression dans la reconnaissance du sport féminin depuis 30 ans, il n’est pas encore assez valorisé par rapport aux hommes » déplore Rosita. Dominique Loris, organisateur du Trophée cycliste centre Morbihan, admet l’importance de la rémunération dans le développement du cyclisme féminin : « Le problème c’est les salaires. Certaines ne gagnent par leur vie grâce au cyclisme, donc elles arrêtent, comme l’a fait Typhaine Laurance. » Ces différences de traitement sont notamment liées aux sponsors, mais comme le revendique Dany : « Il faut reconstruire notre image sur le cyclisme féminin et améliorer leurs salaires quand on voit le nombre de spectateurs que ça engendre sur une course comme celle-ci. »
« Le cyclisme féminin a vraiment un bel avenir »
Ces inégalités sont en effet combattues grâce à des courses comme Paris-Roubaix qui permettent des évolutions remarquables selon David Lappartient, président de l’Union cycliste internationale. « L’évolution est rapide. Quand j’ai été élu président de l’UCI en 2017 il n’y avait ni Tour de France, ni Paris-Roubaix, le salaire des femmes étaient de 8000 € par an, aujourd’hui il est de 85000 € », explique t-il. Même si l’égalité n’est pas encore totalement atteinte, cette édition de Paris-Roubaix marque une avancée positive dans la lutte pour une plus grande visibilité des femmes dans le milieu sportif. David Lappartient se réjouit : « Le cyclisme féminin a vraiment un bel avenir. Cette année il y avait plus de public que l’année dernière, et assurément moins que l’année prochaine. »
Juliette L’Hermitte
Origines et évolution : De l'initiative à la reconnaissance officielle du cyclisme féminin
L’UCI, l’Union Cycliste Internationale, est une actrice majeure du cyclisme, elle rassemble toutes les fédérations nationales et internationales, amateures et professionnelles. Elle doit donc assurer le développement nécessaire du cyclisme féminin, même si cela n’a pas toujours été dans ses intentions premières.
Il y avait bien sur quelques tentatives, comme la Coupe du Monde de cyclisme sur route féminine qui était le principal circuit, mais limité à dix courses d’un jour…contre une trentaine, incluant des courses à étapes, pour l’UCI World Tour masculin. Mais en décembre 2014, l’UCI a organisé un sommet pour développer une série de courses plus étendue et diversifiée, nommée le World Tour Féminin, dont toutes les manches devaient être diffusées en direct à la télévision ou en streaming.
Quant à la situation française du cyclisme féminin, des déboires similaires sont à observer. Par exemple, la Route de France féminine qui existait depuis 2006 a été confrontée à des difficultés organisationnelles et de médiatisation, conduisant à l’abandon de l’événement en 2016. Cependant, une association nommée Donnons des Elles au Vélo, peu satisfaite de l’intérêt pour le cyclisme féminin, a grandement participé à sa reconnaissance. Notamment en 2015, l’association a lancé avec trois coureuses un tour de France féminin officieux, organisé parallèlement au masculin. Ces membres de l’association ont réitéré à maintes reprises cette course, sans suivi médiatique, mais toujours plus nombreuses. Grâce à cette initiative parmi d’autres, le Tour de France Féminin s’est couru pour la première fois en 2022, marquant une reconnaissance tardive mais officielle du cyclisme féminin.
Aujourd’hui, l’UCI et la FFC, la Fédération Française de Cyclisme, font des efforts considérables pour rendre le cyclisme féminin plus accessible et attrayant aux médias, aux publics, aux sponsors, et surtout aux femmes, sur les courses mais aussi aux postes dirigeants. À cet égard, l’UCI a créé un guide du cyclisme féminin afin d’aider les Fédérations Nationales, dont la FFC a du s’inspirer pour mettre en place son programme de féminisation.
Romane Mercier
Le Châtillon à l'arrivée du Paris-Roubaix féminin
Vidéo réalisée par Hannah Marie