BéA, créatrice de sourires dans le collectif Lille aux Etoiles
BéA est bénévole dans le collectif Lille aux Étoiles qui fait des maraudes tous les mercredis de 19h30 à 23h30 environ. Son détachement de toute hiérarchie sociale encourage les bénévoles qui l’accompagnent. Le principe est de récupérer les invendus de certaines surfaces alimentaires, afin de les distribuer aux plus précaires. Toujours avec le sourire.
“Hello, qui vient marauder ce soir, avec son chaud manteau, son bonnet, son écharpe, ses gants et ses grosses chaussettes ?” envoie BéA, 61 ans (et 10 mois) sur le groupe whatsapp du collectif Lille aux Étoiles. Tous les mercredis, l’équipe se retrouve pour tirer chariots rouges et “cadis de grand-mère” chargés de denrées aux dates de péremption passées, interdits à la vente. La démarche vise à éviter le gaspillage, en les distribuant à des personnes en situation de précarité. L’idée de la démarche anti-gaspi s’explique également par un manque de moyens, BéA donne ainsi de son temps et non de son argent. Souvent mises en compétition, les deux ressources sont pourtant tout autant utiles.
BéA est bénévole dans le collectif depuis au moins 2017 sans accorder d’importance capitale à cette date. En plus de gérer le budget du collectif, la sexagénaire toujours aussi fringante vient de créer Re-cousette, sa micro entreprise d’upcycling, et est donc “son propre PDG” , s’esclaffe-t-elle avec un accent américain.
L’envie de faire des maraudes a été suscitée par une présentation de l’association Action Froid dans son agence de communication DPS. Avec quelques collègues, ils ont alors tenté l’expérience en équipe avec l’antenne de Lille.
“Ma toute première maraude, on y est allés un peu les mains dans les poches pour voir comment c’était, certains ont adhéré, d’autres pas se disant que c’était trop compliqué, et d’autres dont moi ont continué.” L’occasion d’être confronté à cette réalité de la précarité n’est pas toujours tenable mais BéA n’en fait pas une fatalité. “On ne va pas tous faire des maraudes !” Dans un monde qui n’a de cesse de s’accélérer, BéA a choisi de donner son temps en maraudant mais il existe une diversité d’actions possibles (écouter un ami parler, s’investir dans une association sportive…).
“Il y a ensuite eu une émulation, on préparait des sandwichs à l’agence (…) ça mettait une bonne ambiance entre nous, on ne parlait pas de boulot.” La direction a même donné un peu de budget pour acheter des thermos. Tout en servant aux plus vulnérables, les maraudes ont su créer des liens entre collègues.
Lille aux étoiles, une initiative partagée.
Une césure s’est produite avec Action Froid. BéA et quelques membres ont décidé de créer leur propre maraude. Celle-ci refléterait des valeurs humanistes tout en en privilégiant le contact humain. Ignorées à longueur de journées, les personnes bénéficiant des denrées du collectif trouvent également un espace où échanger et être écoutées. La bonne humeur de la doyenne du groupe apporte du réconfort. Sa capacité à donner à chacun le sentiment d’être reconnu se lit sur les visages fendus d’un large sourire après un instant passé en sa compagnie.
S’engager pour la cause certes, mais que gagne-t-elle ? La nuance se joue dans les mots. Du plaisir ? Non, c’est “un grand mot”, mais elle a “de la satisfaction à les aider un tout tout tout petit peu”.
Contribue-t-elle à un monde plus juste ? Après une moue suivie d’une grande inspiration BéA finit par avouer que cela serait “ (…) prétentieux. Oui et non. On aide. Résoudre le problème, ça fait beaucoup”. Le monde continue de tourner à côté. Les bénévoles vont et viennent au fil de rencontres spontanées. Le problème de cette précarité viendrait en partie des moyens, selon BéA. Mais de là à dire que l’Etat est le seul responsable, elle n’en est pas convaincue. Les dossiers sont trop nombreux à devoir être traités. Exclus de tout, et notamment d’internet, les aides pour les bénéficiaires sont parfois inatteignables, d’autres simplement inimaginables, expose-t-elle finalement.
Eva Pirot
Eva Pirot
Billet d'humeur
“Désolé je n’ai pas de monnaie”… comme si c’était le vrai problème
À l’heure des paiements dématérialisés, il est vrai qu’on a de moins en moins de monnaie sur nous. Mais, il y a dix ans, si vous aviez vingt euros sur vous, auriez-vous donné votre billet à un sans-abri ? Peut-on donner tous les jours à la dizaine de personnes qui nous arrêtent pour nous demander de
l’argent ?
Pour tenter de résoudre le problème des sans-abris, Tim Deguette, étudiant lillois en communication, propose une carte bancaire pour faire des dons instantanés. Le concept Solly (solly’darité) est pour lui la solution idéale à l’éternelle excuse : “désolé je n’ai pas de monnaie”. Il est évident que la meilleure réponse à cet échappatoire, serait que les sans-abris brandissent leur carte et réclament un virement.
Tim Deguette promeut son concept comme une garantie que l’argent donné servira à se nourrir ou à se loger, plutôt qu’à acheter des drogues ou de l’alcool. Pourtant, qui n’a jamais utilisé de l’argent pour acheter un paquet de cigarettes avec celui offert par mamie à Noël ? Offrir un cadeau ou faire un don, c’est aussi accepter que son usage ne nous appartient plus. Les sans-abris, comme tout être humain, devraient pouvoir exercer leur liberté de choix et être traités avec dignité.
Imposer des conditions sur l’utilisation de cet argent revient à refléter un mépris latent envers ces personnes, comme si leur situation les dépossédait de leur humanité et de leur autonomie.
Ce concept n’est-il pas lui-même un moyen d’esquiver le réel problème : les gens ne souhaitent just pas donner. C’est trop croire en la bonté de l’humanité que de penser que chacun donne, ne serait-ce que de temps en temps, ou même a les moyens de donner. Tout le monde finit par dire non lorsqu’ un sans-abri propose d’aller retirer de l’argent, une carte bancaire n’offrira simplement plus l’excuse du “désolée je n’ai pas de monnaie”.
Bref, Tim Deguette a encore du pain sur la planche s’il veut parvenir à rendre le monde meilleur.
Diane Thiann-Bo Morel