Ce jeudi 23 janvier, quartier Jean-Baptiste Lebas, 18 rue Gosselet, c’est la diffusion du court-métrage paru en 2023 Bac à Sable à l’Hybride, salle de cinéma lilloise. Réalisé et filmé par Lucas Azémar et Charlotte Cherici au sein du jeu vidéo GTA V, il raconte l’histoire d’une communauté virtuelle, adepte du jeu de rôle (RP), qui propose une alternative à notre société aux échanges interpersonnels de plus en plus réduits.
Il est 20 h 30, les lumières s’éteignent et les discussions s’étouffent à l’Hybride, lieu de « réhydratation culturelle ». C’est le début de Bac à sable. Pour les non-initié.e.s, GTA V, c’est un jeu vidéo développé et publié en 2013 par Rockstar. Avec le temps, les serveurs roleplay ont commencé à apparaître, avec des communautés entières de joueurs.euses qui imitent la vraie vie au sein du jeu. Mais revenons à notre court métrage.
Pendant près d’une heure, une porte vers un autre monde s’ouvre, un monde qui, bien que virtuel, est similaire au nôtre. Un monde toujours décrié, lié à ce virtuel, responsable de l’enfermement social de nos enfants par les méchants réseaux-sociaux et les méchants jeux vidéo. Pourtant ici, la réalité est bien différente, les joueurs.euses parlent, échangent. Au sein d’un jeu vidéo certes, cela ne rend pas pour autant ces échanges moins sincères.
“On voyait des gens qu’on suppose être des étudiant.e.s en droit qui jouaient le jeu, qui connaissaient quasi par cœur le système légal du serveur […] Les gens travaillent la journée, et trouvent aussi du plaisir à travailler le soir. En faisant ça, ils se réapproprient le jeu, et s’imposent même des règles, dans GTA parmi tellement d’autres. C’est ironique dans un jeu où on joue des gangsters.”
Ces mots de Charlotte permettent d’envisager le sérieux des joueurs.euses, déterminé.e.s jusqu’au bout à garder leur petit coin à elles et eux libre de toute mauvaise influence, de faire de leur communauté un havre de paix. Et ça, les modos du serveur s’en assurent. Pas d’écarts autorisés, sinon le marteau du bannissement tombera : c’est le seul moment où le RolePlay s’arrête, car le but est de protéger les joueurs.euses et l’essence du serveur. Tout ça est alors un moyen pour les timides, les indécis.e.s, les anxieux.ses sociaux.ales de s’ouvrir à l’autre dans un monde différent du nôtre et pourtant très similaire. Et les anecdotes sont nombreuses. Comme celle de ce joueur, qui tient son épicerie et peine à payer son appartement. Ces policiers qui passent les tests d’entrées et s’adaptent à leurs nouveaux métiers. Cette ville qui fourmille d’histoires, est finalement semblable à n’importe quelle ville.

Un espace social unique
Le roleplay sur GTA V, ce n’est à l’origine qu’un jeu dans le jeu. Il ne faut cependant pas oublier le contexte : le confinement. L’être humain, animal fondamentalement social, s’est alors retrouvé enfermé chez soi, isolé des autres. C’est là que le RP à pris tout son sens, en permettant aux joueurs.euses de trouver une alternative à cet isolement forcé et subi par beaucoup.
Néanmoins, cet espace du jeu vidéo, ce serveur GTA RP, est un espace rempli de contradictions. Des grandes avenues vides à côté des coins de rue bouillonnants de vie, des échanges si personnels et inéluctablement anonymes, pseudonymes oblige. C’est un espace où l’on revit, où l’on renaît, où l’on parle sans cesse sans jamais voir un autre être humain, sans entendre les bruits du monde et sans goûter aux saveurs du réel. Un monde qui apparaît soudainement bien vide dès lors que les joueurs.euses se déconnectent en journée, et qui explose de vie le soir. Un espace virtuel, somme toute.
Un problème toujours présent
Il est 21h30. Une porte se ferme, les lumières se rallument, et une nouvelle discussion émerge. Un « derrière les coulisses » avec l’une des deux réalisatrices. « En tout, c’est plus de 100h de rush qu’on avait ». Autant de rush, ça en donne, des histoires à raconter, plus qu’il n’en faut. Impossible de toutes les aborder, faute de temps, mais l’objectif reste accompli : rendre compte d’une manière différente de sociabiliser, plus que jamais nécessaire.
Même si le confinement est fini, la société d’aujourd’hui souffre toujours de la mort d’un lieu social n’étant ni le travail ni la maison. Elle souffre de l’augmentation constante du prix des activités, elle souffre malgré tout de l’isolement de chacune et chacun. Le jeu vidéo, lui, est imparfait certes, mais ouvert à tous. Peu importe l’âge, le genre, il ne s’arrête pas à ça et ne se limite pas au simple jeu. Forums, applications pour discuter et streams sont autant d’outils qui font vivre ce monde fictif et permettent aux passionné.e.s de partager leur passion.
Jules Quevillon-Gauthier
ZOOM sur Twitch, le terrain de jeu du parasocial
Depuis son lancement en 2011, Twitch connaît un succès international. Sur ce site de streaming vidéo en direct, se sont plus de 105 millions de spectateurs mensuels et plus de 6 millions de streamers qui diffusent du contenu selon le site Twitch.tv.
Les streamers se filment en train de jouer à un jeu vidéo, de pratiquer une activité manuelle. Les spectateurs suivent sur leur écran leurs faits et gestes en direct. Ils peuvent également échanger avec d’autres viewers et le streamer dans la messagerie instantanée du live. La virtualité se mêle alors à la réalité.
Sur une plateforme comme Twitch, les multiples connexions entre spectateurs et streamers se jouent de la réalité. Alors s’installe une relation parasociale entre les deux protagonistes.
Cette notion d’interaction numérique est introduite dans les années 50 par les sociologues Donald Horton et Richard Wohl. Elle décrit une relation unidirectionnelle dans laquelle l’aficionado éprouve une énergie émotionnelle, donne de son temps et s’investit sans mesure dans le suivi d’une personnalité, du streamer ou de sa streameuse préféré(e).
Sur Twitch, ce phénomène se développe au fil du temps. Plus les streamers dévoilent des aspects de leur vie, plus ce sentiment de compréhension et d’intimité s’immisce. Concevoir une relation amicale avec une personne qui ne connaît qu’un pseudonyme devient problématique. Les streamers exercent leur métier le plus régulièrement possible, s’exposent à la critique et partagent leur personnalité à travers la caméra. La plupart d’entre eux ne cherchent même aucunement à provoquer l’admiration.
Finalement, Twitch devient un lieu de connexions dans lequel il est nécessaire de jouer entre l’intérêt porté au contenu et celui concernant le streamer.
Léa Besnard