Les militants s’arment contre le fléau de la matraque

Pris en étau entre la violence des forces de l'ordre et les procédures judiciaires abusives, les milieux militants s’organisent de plus en plus contre la répression policière qu’ils subissent.

A l’hiver 2018-2019, au moment du mouvement gilet jaune se propagent partout des images de violence entre les manifestants et les forces de l’ordre. Au total, l’AFP recensera 23 manifestants éborgnés sur la période, un chiffre qui cristallise la violence de la répression policière.

Mais si elle y a été particulièrement exacerbée, l’épisode des gilets jaunes n’est que l’expression d’une violence constamment subie par les manifestants lors des grands mouvements sociaux. Cette répression s’organise institutionnellement pour tenter de noyer la contestation militante dans le sang et les tribunaux. La police est alors utilisée comme l’outil de cette répression. S’ils ne peuvent pas empêcher les gaz lacrymogènes, les tirs de LBD et les procédures-baillons, les milieux militants voient naître de nouvelles initiatives qui garantissent à la fois leur intégrité physique et leur protection judiciaire.

La Ligue des Droits de l’Homme (LDH) par exemple se penche beaucoup sur les questions de violences policières. Fondée au moment de l’affaire Dreyfus, l’association s’engage depuis pour faire respecter les droits de l’Homme, et son champ d’action couvre la question de la répression policière.

“Observatoire des libertés publiques et des pratiques policières” 

Le pôle lillois de la LDH dispose par exemple d’un “observatoire des libertés publiques et des pratiques policières“. Cet observatoire leur permet de constater l’action des forces de l’ordre et les dérives potentielles pendant les manifestations. Ces observations sont réalisées par des militants formés aux questions de violences policières, certains même par l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe).

Par exemple à Lille, lors de la manifestation spontanée du 7 juillet après le second tour des législatives, les observateurs constatent des violences et des débordements de la part des forces de l’ordre, ce qui amène la LDH à interpeller la préfecture de police. Cette dernière diligente par la suite une enquête de l’IGPN (la police des polices) qui auditionne dans la foulée les observateurs de la LDH.

Les initiatives associatives du genre sont nécessaires à la fois pour l’intégrité physique des militants mais aussi pour éviter que cette répression réussisse ce pourquoi elle est instaurée : décourager les militants. Les associations ont un rôle essentiel à jouer dans le soutien qu’elles apportent aux mouvements contestataires, elles servent d’appui aux différents mouvements sociaux et revendicatifs, sur le plan financier notamment.

Défendre les manifestants sur le plan juridique 

D’autres initiatives pour défendre les manifestants sur le plan juridique sont aussi proposées. Certains avocats font circuler leurs contacts sur les réseaux sociaux pour permettre aux manifestants de les contacter s’ils sont placés en garde à vue.

Certaines associations comme Défense Collective à Rennes s’engagent aussi à défendre tous les manifestants interpellés avec l’aide de plusieurs avocats. L’association bretonne aide les manifestants interpellés, dans leur démarche juridique et leur apporte un soutien financier, dans les cas où ils voudraient faire appel.  Ils mènent aussi des combats dans les tribunaux pour légitimer le port de certains outils de défense nécessaire selon eux à l’intégrité physique des manifestants. Ils fournissent par exemple des masques de plongée pour faire face aux gaz lacrymogènes et aux tirs de LBD (lanceur de balles de défense).

Ces différentes initiatives illustrent l’esprit collectif et résistant qui émanent de ces grands mouvements sociaux, et encouragent les militants à poursuivre leur engagement en leur assurant une certaine protection.

Matthieu Durand 

Zoom : violences policières en quelques chiffres

Le terme “violence policière” (ou “brutalité policière”), désigne les violations des droits humains imputables à la police. Il s’agit par exemple de coups, d’injures à caractères discriminatoires, d’actes de torture ou du recours aveugle aux forces anti émeute lors de manifestations.

Le rapport annuel de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) retrace chaque année l’activité policière en France. Selon ce rapport, 38 personnes sont décédées à l’issue d’une mission de police en 2022, contre 37 décès en 2021. Pour l’année 2023, 36 personnes ont trouvé la mort dans le cadre d’une mission policière. Cette année 2023, marquée par la mort de l’adolescent de 17 ans Nahel Merzouk, compte également 18 personnes blessées lors des manifestations qui ont suivi cet événement.

Alors que le rapport de l’IGPN pour l’année 2023 souligne une baisse de l’usage d’armes à feu, l’utilisation des armes intermédiaires (lanceurs de balles-défense (LBD), grenades de “désencerclement” et pistolet à impulsion électrique) a quant à elle augmenté. Le rapport compte 4 853 usages du LBD en 2023, pour 15 752 munitions tirées. La plupart de ces tirs ont eu lieu lors de la répression de manifestants en réaction à la mort de Nahel Merzouk.

L’usage des grenades de désencerclement a aussi augmenté: la police a déclaré 2 484 usages en 2023, avec 5 263 grenades utilisées en 2023 pour seulement 1 928 l’année précédente.

Inès Soleau

Photo par Enzo Balmat 

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