Le sentiment d’insécurité, anxiété d’une démocratie malade ?

Le sentiment d’insécurité en France est largement ressenti, mais ne reflète pas toujours la réalité. La répression n’est pas la solution selon Juliette Jombart, docteure en Droit pénal. Il faut s’attaquer aux causes profondes : crises économiques, environnementales et institutionnelles. Une approche holistique est nécessaire.

Face à ces ressentis, la tentation d’une répression renforcée est grande pour contrer la criminalité. Cependant, Juliette Jombart avertit : « L’augmentation des politiques et textes (trop) précis sur ces sujets viennent au contraire complexifier l’accomplissement de la justice. » Mais surtout : « Les juges disposent déjà d’un arsenal rempli” et au tribunal “le quantum des peines est très souvent décidé plus faible par le juge que ce qui est prévu par le législateur.« . Si l’on souhaite empêcher la criminalité, se pencher sur la répression est nécessaire mais c’est surtout en l’état actuel, détourner le regard des réels besoins.

La répression accrue ne constitue pas une réponse adéquate aux crises civilisationnelles sous-jacentes. Elle risque au contraire de complexifier la justice, d’exacerber les tensions sociales et d’alimenter un cercle vicieux d’exclusion systémique et de récidive.

L'amplification du sentiment d'insécurité

Le sentiment d’insécurité en France connaît une recrudescence notable ces dernières années. Selon une enquête récente de l’Ifop, plus de 8 Français sur 10 déclarent avoir le sentiment que la délinquance a augmenté, avec une proportion croissante estimant qu’elle a « beaucoup » augmenté, passant de 37% en 2022 à 66% en 2024.

Cette perception est particulièrement prégnante chez les personnes âgées et les sympathisants des partis de droite, illustrant la dimension générationnelle et politique de ce phénomène. Madame Juliette Jombart, maître de conférence en droit pénal infirme pourtant la réalité objective de ce ressenti subjectif des Français quant à
leur sécurité.

Palais de justice de Lille - Crédit photo Tinaël DEVAUCHELLE-SENE

La réalité des chiffres : une situation nuancée

Paradoxalement, les statistiques officielles dressent un tableau plus nuancé de la situation. Si certains types de délits, comme les coups et blessures, ont effectivement augmenté ces dernières années, d’autres formes de criminalité ont connu une baisse significative.

Ajoutons par la même occasion que le rôle de la justice pourrait être autre que de répondre au ressenti subjectif des populations selon Professeure Jombart. Cette disparité entre perception et réalité s’explique en partie par des modifications législatives qui ont conduit à une requalification de certaines infractions, gonflant artificiellement les statistiques de la délinquance.

Les crises qui alimentent le sentiment d’insécurité sont multiples et interconnectées. Les inégalités économiques croissantes, la crise environnementale et la perte de confiance dans les institutions démocratiques constituent les véritables défis auxquels notre société doit faire face.

Vers des solutions durables

Pour répondre efficacement à ces enjeux, il est nécessaire d’adopter une approche holistique axée sur la justice économique et sociale, ainsi que sur le renforcement des processus démocratiques. 

“Il faut davantage simplifier le droit, donner les moyens aux magistrats pour traiter les affaires mais également pour la réinsertion des condamnés” 
Juliette Jombart
- Maître de conférence en droit privé et sciences criminelles -

Des politiques visant à réduire les inégalités, à améliorer l’accès à l’éducation et à l’emploi, et à restaurer un sytème politique efficace et démocratique semblent plus à même de réduire durablement la méfiance, la criminalité et le sentiment d’insécurité (selon l’Observatoire des Inégalités).

En conclusion, si le sentiment d’insécurité en France est une réalité tangible, sa résolution passe par une compréhension fine de ses causes profondes. C’est en s’attaquant aux racines des crises civilisationnelles qui nous animent que nous pourrons construire la confiance en une société plus sûre et plus juste pour tous.

 -Tinaël DEVAUCHELLE-SENE

ZOOM : L'instabilité politique facteur d'un sentiment d'insécurité

Selon une enquête annuelle de victimisation de l’observatoire national de la délinquance, depuis 2006, les Français se déclarent de moins en moins victimes de violences mais de plus en plus en insécurité.

Dans un contexte donné d’instabilité politique en France, l’anxiété ressentie par certains est conditionnée. Pour attirer des votes ou rassembler vers une idéologie proposée, la carte de l’insécurité est souvent en jeu. Par exemple, contrairement à ce qu’est indiqué par certains politiques, la délinquance n’augmente pas réellement dans les campagnes. Les trafics de drogue, les vols violents, les vols de véhicule et les destructions en milieu rural sont globalement à la baisse sur les sept dernières années.

Pourtant non corrélés à la réalité, sur la base de ce sentiment d’insécurité, ces milieux se montrent plus sensibles au discours sécuritaire. Les conditions de vie entre les milieux ruraux et urbains font preuve d’un fort écart social, notamment visibles lors des résultats électoraux. En juin dernier, les élections européennes reflètent des campagnes inondées de votes en faveur de l’extrême droite. Ce penchant vers l’extrême s’explique par un système politique fragile et à bout de souffle. La population ne se sent plus en sécurité. Entre dissolution, censure et oppositions les nerfs sont à vif. Les pensées sont de plus en plus polarisées, résultant une représentation des citoyens scindée.

La corruption est aussi une des causes d’insécurité. L’ONG Transparency Internationale a publié ce mardi 11 février son indice de perception de la corruption. Au classement mondial, la France perd 5 places et se retrouve à la 25e position, son pire classement depuis 2011. Une dégradation alarmante et inédite qui démontre bien l’instabilité politique du moment.

-Ciara PINTAFLOUR

– Olivia MILLS

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