4000, c’est le nombre de personnes qui vivent sans abri dans la métropole lilloise. Pour ces milliers de personnes, le quotidien est fait de pluie glaciale qui imprègne les vêtements, de pavés qui brisent le dos, de l’ignorance gênée des passants. En ce début d’hiver, le vent froid qui souffle sur la place de la République nous empêche plus que jamais de détourner le regard.
Loin de se résigner, un groupe de quelques centaines de personnes rassemblées près de la préfecture y maintient en vie l’espoir, la chaleur humaine et la combativité. Un militant du Droit Au Logement, association à l’initiative de ce rassemblement, explique à un passant curieux « dans le pays il y a plus de 300 000 personnes sans logement et 3 millions de logements vides, alors ce qu’on demande c’est la réquisition. Concrètement, on permettrait aux personnes sans-abri d’habiter dans les logements vides pour que personne n’ait à dormir dehors. »
Cette mesure a déjà été menée au sortir de la guerre 39-45, sous l’impulsion du Conseil National de Résistance. À l’époque, une ordonnance avait permis à l’État de loger temporairement les personnes sans-abri dans les logements vides depuis au moins six mois en parallèle des chantiers de reconstruction. La discussion est interrompue par un discours scandé au mégaphone, qui la complète bien : « Des centaines de milliers de personnes n’ont pas de logement, mais la crise est si profonde que des millions sont mal logés ! Ce sont pour la plupart des étudiants ou des familles monoparentales. Être logé dignement, c’est un droit. Les logements vides sont la honte de ce système ! » Aujourd’hui, la réquisition est toujours une possibilité dans la loi. Cependant, les gouvernements successifs semblent tous aller dans la direction opposée.
La loi du 27 juillet 2023 dite « loi Kasbarian Bergé » ou « loi anti-squat » en est un exemple criant. Cette loi votée par les députés macronistes, Républicains et Rassemblement National, a considérablement alourdi les peines pour les personnes qui occupent un logement vide ou un appartement dont elles ne peuvent plus payer le loyer, tout en accélérant les procédures d’expulsion. Cette décision était jugée catastrophique par les associations de lutte contre la précarité, le Droit Au Logement l’avait dénoncée. Malgré tout, les militants gardent la conviction que grâce à leur engagement la situation peut changer par la voie légale. « Soutenir les associations qui œuvrent au quotidien pour que les personnes sans logement ou mal-logées aient de moins mauvaises conditions de vie, c’est essentiel, mais sans combat pour que la structure change, ça ne fait pas sens. C’est pour ça qu’on essaie de travailler main dans la main.», conclut avec conviction un militant.
Entre les drapeaux jaunes du Droit Au Logement, on distingue les symboles d’Utopia 56 et du Collectif Sans Papiers 59, ces deux organisations qui luttent pour les droits des personnes sans papiers. Chaque mercredi soir depuis les années 1990, la place de la République est témoin de leur combat pour la régularisation et l’obtention de logements.
« C’est un engagement au jour le jour de maintenir le rapport de force avec la mairie pour que des solutions d’hébergement soient trouvées », m’explique un militant. Son camarade renchérit : « Avoir un toit ça devrait être normal, mais si on ne nous donne pas la dignité qu’on mérite on va se battre pour l’obtenir ! »
L’enjeu de cette marche hebdomadaire, c’est d’être visible. À l’échelle locale, les collectivités peuvent réquisitionner des logements vides ; c’est d’ailleurs comme ça qu’une partie des personnes accompagnées par ces organisations est sortie de la grande précarité. Cette réflexion fait réagir : « La MEL peut trouver des solutions, mais il faut leur mettre sous les yeux qu’on est là, qu’on dort dehors et qu’on est organisés. Si on reste invisibles ou isolés on n’obtient rien, il ne faut pas les laisser détourner le regard. »
C’est à ce moment que la marche démarre, en m’éloignant du cortège j’entends les passants et le Collectif Sans Papiers entonner ensemble « La lutte, jusqu’à la Victoire ! »
Jules LANOE
ZOOM
La Finlande, le pays qui met « la daronne à l’abri »
Contrairement au rappeur Jul dans son titre Bravo , la Finlande n’a pas eu besoin « de braquage » pour mettre « la daronne (la maman) à l’abri », mais d’une politique garantissant un logement à chacun. Matti Vanhanen, Premier ministre en 2008, met en concert les moyens d’agir contre le sans-abrisme par la politique Housing First (Logement d’abord).
Entre 2008 et 2022, ce fléau social chute de 68%, avec 3 686 sans-logis en 2023. Le pays des aurores boréales est le seul de notre continent dont le chiffre diminue. Son recensement est légitimé par une définition « large » d’un sans-abri. La ARA, (Agence d’État du logement), considère comme sans domicile fixe ceux « qui dorment dehors, dans les escaliers […] ; vivant dans des dortoirs, des centres d’accueil ; hébergés temporairement
chez des connaissances ou des proches ». »
Ce dispositif, célébré par les élus, fournit « un logement indépendant loué avec un contrat à
son nom […] pour un temps non limité et […] un soutien à la personne non borné dans le temps. » Offrir un toit à tous aurait bénéficié aussi aux poches de l’État, par l’économie de 9600 à 15000 euros par an de dépenses publiques par personne, d’après l’association Y- Fondation en 2017. Ainsi, la difficulté financière permanente de construire des logements est atténuée.
La Finlande figure parmi les bons élèves avec 0,006% de sa population sans abri, contre 1,32% en Irlande, en 2023. Cette dernière est la ‘’cancre’’ de la classe européenne sur cette base statistique.
OUDOTTE Maxence