Santé mentale : quand l’université de Lille tisse le fil du soutien psychologique

Pour un étudiant, accéder à un suivi psychologique peut rapidement sembler économiquement infaisable, et presque inimaginable lorsque l’on oscille à peine entre paiement du loyer et besoins essentiels. Cependant, cette aspiration semble plausible depuis la création en 2022 du dispositif national Mon soutien psy, dont l’accès est facilité, à Lille, par le Conseil de Santé Mentale Étudiants (CSME).

« Pour la consultation privée, il faut les moyens, et quand on est étudiant on ne les a pas. Si on n’a pas la chance d’avoir des parents ou un environnement aidant, c’est compliqué », témoigne sans ambages une psychologue clinicienne spécialisée en thérapies comportementales et cognitives. Conscient de cet obstacle, le dispositif national Mon soutien psy permet aux étudiants d’accéder à 12 séances gratuites par an, après avoir été orientés par les services de santé universitaires. Ces consultations, prises en charge par l’Assurance maladie, offrent un premier pas vers un accès élargi aux soins psychologiques pour les étudiants.

À l’université de Lille, Gabrielle, étudiante en licence, fait partie de celles et ceux qui ont pu bénéficier de ce dispositif. Elle nous livre : « Je ressentais depuis des années le besoin d’être accompagnée, sauf que je n’avais pas le budget, et mes parents non plus. »

Après un premier rendez-vous avec une infirmière du service de santé universitaire, elle a été dirigée vers un psychiatre partenaire. Cette orientation n’aurait pas été possible sans la coordination du Conseil de Santé Mentale Étudiants (CSME).

Créer du lien pour mieux repérer

Crée en janvier 2020 par l’Université de Lille, le Crous et l’EPSM de l’agglomération lilloise, le Conseil de Santé Mentale Étudiants agit comme une instance de coordination entre les acteurs du milieu universitaire et les acteurs de la santé mentale. Effectivement, le CSME réunit enseignants, responsables pédagogiques, assistantes sociales du Crous. Tant de personnels en contact direct avec les étudiants, mais qui n’ont pas toujours les ressources pour détecter les signes de souffrance psychique. Pour cela, le conseil propose depuis 2021 la formation Premiers secours en santé mentale (PSSM), destinée à répondre aux interrogations des collaborateurs : comment aborder un étudiant en difficulté, quels mots employer pour instaurer un échange de confiance, et comment éviter de multiplier les interventions au risque de perdre le fil.

Une approche innovante

La santé mentale reste un sujet marqué par les tabous et la réserve, une réalité bien comprise par le CSME, qui multiplie les initiatives pour sensibiliser les étudiants de manière ludique. Le Campus en fête a ouvert ses portes à un escape game, visant a faire de la prévention sur la souffrance psychique. Selon Pauline Degorre, coordinatrice du CSME l’initiative constitue « un moyen détourné d’attirer les étudiants pour parler de ce sujet là ».

Quand la santé mentale devient une priorité...

Pour Gabrielle, un suivi psychologique a marqué un tournant dans sa manière de prendre soin d’elle : « Aller dans ce dispositif, même si on ne va pas particulièrement mal, c’est déjà prendre soin de soi. C’est un moment agréable, rien qu’à moi. » Assurément, selon la psychologue, ces suivis favorisent une meilleure gestion du stress et une stabilité émotionnelle.

Ce phénomène s’inscrit dans un mouvement sociétal plus large de démocratisation de la santé mentale : les jeunes consultent plus tôt et plus spontanément, et les initiatives locales se multiplient pour informer, prévenir et déstigmatiser, un enjeu renforcé par la décision de l’ancien premier ministre Michel Barnier qui a décrété la santé mentale comme « grande cause nationale 2025 ».

...mais qui reste limitée

Malgré la bonne volonté affichée par les politiques, les délais demeurent longs et les structures saturées. Cela amène à repenser le problème comme étant avant tout structurel : les gouvernants ont longtemps négligé le service de santé publique, faute de moyens, privilégiant ce qui est rentable au détriment du soin. En 2006, la T2A a supprimé des lits d’hôpitaux et a fait coter les actes, contraignant les professionnels à rendre leur activité économiquement rentable. 

Que penser de ces objectifs politiques lorsqu’ils se manifestent une fois que les experts tirent la sonnette d’alarme sur l’impact économique du déclin de la santé mentale sur les entreprises françaises, notamment dû une baisse de productivité et un absentéisme récurrent ? Cette logique révèle beaucoup sur notre société : une société où l’individualité et l’intérêt économique priment.

Eva Duarte

ZOOM

Une appli tout autant utile qu’un psy ?

Il y a deux semaines, je scrollais tranquillement sur TikTok (pour changer), quand je suis tombée sur une vidéo de notre cher président. Dans celle-ci, il répondait à Miel Abitbol, une jeune fille de 18 ans qui se bat depuis plusieurs années pour faire de la santé mentale des jeunes un sujet primordial. Cette dernière l’avais interpelé sur l’accessibilité aux soins. Comme ça changeait des éternels dramas entre Emma Paris et la pyramide maudite je suis aller me renseigner en me disant : « Au moins, maman ne pourra plus me dire que TikTok, ça n’apprend rien et que c’est une perte de temps ! »

Miel Abitbol, aidée par son père et sa psychiatre, a créé il y a trois ans l’application Lyynk, pensée pour aider les jeunes à mieux comprendre ce qu’ils ressentent. L’outils part d’une intention positive : encourager l’expression émotionnelle, offrir des ressources en cas de difficulté et proposer un espace où l’on peut se sentir moins seul.

Mais l’usage d’un tel outil peut avoir des effets variés selon les jeunes. Pour certains, suivre leur humeur au quotidien permet de mieux identifier ce qui les affecte et de repérer des évolutions importantes. Pour d’autres, en revanche, cette auto-observation permanente peut renforcer une forme d’hypervigilance émotionnelle ou créer une petite pression supplémentaire : l’idée qu’il faudrait “surveiller” comment on se sent en permanence. Cela peut même devenir anxiogène pour certains, qui voient jour après jour qu’ils vont “mal” sans percevoir d’amélioration. À force d’enregistrer ces états négatifs, certains peuvent même en venir à s’auto-diagnostiquer une dépression, alors qu’un véritable diagnostic relève uniquement de professionnels.

Lyynk cherche aussi à renforcer le lien entre les jeunes et les adultes de confiance, ce qui est précieux. Reste que cette médiation numérique n’a pas le même impact qu’un échange direct. En effet, l’application peut soutenir le dialogue, mais elle ne remplace ni la présence humaine ni un accompagnement professionnel.

Cela ne retire rien à l’intérêt de l’initiative, pour beaucoup de jeunes, Lyynk peut réellement servir de point d’appui dans les moments de fragilité. Il s’agit simplement de garder en tête que ces outils, même bien conçus, peuvent produire des effets différents selon les usages et les sensibilités de chacun.

Camille Allisy

vidéo réalisée par Zoé Paris

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