Études supérieures : s’autoriser le “c’est aussi pour moi”
Fondée en septembre 2020, l’association Du Nord aux grandes Écoles mène diverses actions en faveur de l’égalité des chances et du développement du territoire. L’objectif, aller à la rencontre des jeunes Nordistes et les accompagner dans leurs parcours vers l’enseignement supérieur, et en particulier les formations sélectives.
Au départ, un constat : au moment fatidique de l’orientation post-bac, nombreux sont les lycéens qui s’autocensurent et évitent les formations sélectives, en particulier les “grandes écoles”, réputées difficiles d’accès. Dans la région, cette autocensure se traduit par une sous-représentation des Nordistes dans les formations sélectives, alors que ceux-ci obtiennent en moyenne de bons résultats au baccalauréat. Les répercussions s’étendent jusqu’au tissu économique régional, les entreprises peinant à recruter des diplômés de grandes écoles. Pour les convaincre de tenter leur chance, les membres de l’association Du Nord aux Grandes écoles vont à leur rencontre, afin de les encourager à oser et les accompagner dans leurs démarches. L’association, liée à la fédération nationale des Territoires aux Grandes Écoles, et parrainée par Pierre Mathiot, Directeur de Science Po Lille, compte une soixantaine de membres au niveau local, et près de 750 membres au niveau national.
S’attaquer aux facteurs des inégalités
Du Nord aux Grandes Écoles entend s’attaquer aux facteurs du phénomène d’autocensure chez les lycéens, qu’elles soient sociales, financières ou géographiques. Afin de pallier à l’inégale connaissance de l’enseignement supérieur, les membres interviennent dans les forums d’orientation et les lycées. Les témoignages de leurs trajectoires variées sont autant de preuves que l’accès aux grandes écoles est possible : « Ce qu’on fait en premier quand on intervient devant les lycéens, c’est présenter notre parcours, faire part des doutes et des difficultés qu’on a pu rencontrer. Ça permet de leur montrer qu’il est possible de réaliser ce genre de parcours quand on est nordiste. » De quoi motiver ceux qui, issus de milieux ruraux ou défavorisés, ne se pensent pas conformes au profil type “grande-école”. L’association est également très présente sur les réseaux sociaux, où sont postés des portraits d’étudiants présentant leurs parcours. Des ressources utiles et mini-revue de presse sont également accessibles, afin de transmettre des actualités concernant l’enseignement supérieur, ainsi les débats qui agitent ce secteur. On y retrouve notamment des articles sur les effets de la sélection à l’université, sur la relative démocratisation de Science Po ou encore la place accordée aux défis environnementaux dans les campus : « Cela permet de fournir des informations aux jeunes, et en particulier des renseignements qu’ils ne seraient pas allés chercher », explique Romane, membre de l’association. En parallèle de l’accompagnement individuel, Du Nord aux Grandes Écoles insiste également sur la nécessité de développer des politiques publiques en faveur de l’égalité des chances. L’association engage le dialogue avec les décideurs politiques, afin de les sensibiliser à ces problématiques : « Notre objectif, c’est de faire des décideurs des facilitateurs, qui vont faire parler de nous et permettre de faire évoluer la cause que l’on défend », déclare Rémy Mathon, vice président de l’association. Dans le viseur pour le futur, entre autres, mettre en place un dispositif de bourses : « Le manque de moyen financiers, c’est le premier facteur d’autocensure chez les jeunes qui envisagent les grandes écoles. Ça nous paraîtrait important d’agir là dessus ». Une autre problématique à envisager : le syndrome de l’imposteur une fois entré dans ces grandes écoles. Car une fois intégré à ces formations exigeantes, nombreux sont les étudiants qui peinent à se sentir légitimes.
Contre l’autocensure
Au centre de l’action de l’association : le mentorat. Cet accompagnement individuel est initié par les jeunes eux-mêmes, qui contactent l’équipe via une plateforme en ligne. Ils peuvent y faire part de leurs doutes, de leurs questions sur certaines filières, solliciter de l’aide pour préparer une candidature de stage, un concours, ou encore un entretien en vue d’intégrer une école. Au cœur de la philosophie du Nord aux Grandes Écoles, le contact et l’humain. De nombreux échanges, lors de discussions dans les lycées, lors de forums d’orientation, permettent de créer du lien. Les jeunes, alors moins seuls, peuvent compter sur un soutien et donc appréhender l’orientation plus sereinement. L’association organise également la mise en relation avec un réseau professionnel :« Un axe que l’on aimerait développer, c’est le contact avec les entreprises nordistes, pour faire revenir les talents dans la région, répondre au besoin de compétences », déclare Antoine, président du Nord aux Grandes Écoles. Un autre plus : la proximité avec les lycéens. « On est comme des grands frères, des grandes sœurs. » Une relation qui se démarque du lien prof-élèves, souvent plus académique et distant : « On n’est pas là pour faire un cour magistral, mais pour engager un dialogue. Quand on se rend dans les lycées, on privilégie des discussions par petits groupes, et on reste disponible à la fin pour répondre au cas par cas à ceux qui n’osent pas poser leurs questions devant les autres ». L’expérience des membres de l’association est au service de la mise en confiance des jeunes, qui ont besoin d’être rassurés. Le but aussi, combattre le préjugé que tout leur avenir se joue dès Parcoursup : « Une grande partie des étudiants échouent suite à leur première année en post-bac. Ce qu’on dit aux jeunes, c’est que c’est OK d’échouer, de se réorienter. Ce qui compte, c’est de construire leur propre parcours en cohérence avec leur projet ». Leur rôle, les conseiller, les pousser à croire en eux, et à terme, oser tenter leur chance dans une formation sélective. Et même s’ils ne sautent pas le pas, l’association espère au moins les amener à “s’autoriser à y penser” : « On n’est pas du tout là pour dire aux jeunes que pour réussir dans la vie, il faut absolument passer par une grande école. D’ailleurs, on en oriente aussi certains vers des formations alternatives, selon leur objectif. Le message qu’on veut faire passer, c’est qu’il faut se considérer légitime de l’envisager ».
La population des grandes écoles en chiffres, d'après une étude de l'IPP
Edito : L'égalité des chances, un mythe français ?
L’égalité des chances en France est une notion qui se réfère à l’idée selon laquelle tous les individus devraient avoir un accès égal aux opportunités de réussir dans leur vie personnelle et professionnelle, indépendamment de leur origine sociale, leur genre, leur religion ou tout autre caractéristique personnelle.
Si l’on écoute nos représentants politiques, on pourrait croire que la France est le paradis de l’égalité et de la justice sociale, mais qu’en est-il réellement ?
Ce concept est le ciment de la tradition républicaine anti-aristocratique qui repose sur le principe selon lequel la seule manière de produire des inégalités acceptables est de construire une compétition qui permettrait de faire émerger une autre hiérarchie sociale, s’opposant aux hiérarchies tenant à l’héritage et au passé.
Pourtant, en pratique, cet « héritage du passé » est toujours présent bien qu’il n’existe plus à travers des titres de noblesses, il est devenu plus subtil et discret. Cet héritage se perpétue à travers les conditions culturelles et socio-économiques dans lesquelles les enfants grandissent. Un enfant de famille aisé aura toujours un avantage par rapport à ses pairs, notamment grâce au socle culturel solide transmis par ses parents. Cette transmission des parents est centrale puisqu’elle donne à l’enfant la confiance, la culture et plus largement les moyens nécessaires pour mieux réussir que les autres. C’est ainsi que selon Pierre Bourdieu l’école ne fait que répéter les inégalités sociales, le système scolaire serait même le « meilleur allié du conservatisme politique ». Les inégalités sociales se déplaceraient de la société dans l’école pour se reproduire à nouveau dans la société. Dans les faits, le fondement méritocratique de la République serait une compétition équitable si tous les enfants avaient les mêmes conditions culturelles et socio-économiques. Mais ce n’est pas le cas, bien que des mesures soient mises en place et qu’elles permettent à une petite partie d’étudiants issus de milieux moins favorisés de réussir. Ils sont très minoritaires et sont souvent utilisés d’exemple aux défenseurs de la méritocratie pour justifier ce modèle et montrer son « bon fonctionnement » même quand il ne concerne qu’un étudiant sur des milliers.
Le système est de même encore plus violent, puisque les enfants sont censés tous bénéficier de l’égalité des chances, les perdants de celui-ci sont donc jugés responsables de leurs échecs et du statut social dit inférieur qui en découle. Ainsi la méritocratie devient un principe de légitimation puissant pour les catégories sociales dominantes, qui peuvent proclamer qu’elles ont mérités leur sort.
Romàn Carlier del Rio.