Hors d’haleine mais pas hors-jeu : la jeunesse réinvente la lutte

En septembre 2025, le mouvement « Bloquons tout » a rassemblé des milliers de jeunes dans les rues et les établissements scolaires pour dénoncer la précarité, l’inaction politique et l’urgence climatique. Entre blocages, manifestations et actions festives, cette mobilisation révèle une jeunesse déterminée à se faire entendre et à inventer de nouvelles formes d’engagement.

Les manifestations restent un mode d’expression majeur, mais elles montrent aujourd’hui leurs limites. Selon Léa, 22 ans, influenceuse engagée : « Les manifestations sont utiles. Mais il ne faut pas se limiter aux promenades de santé qu’on fait en ce moment… C’est un peu juste de la balade, il faut aller plus loin. » 

Au-delà de la lassitude, des obstacles concrets freinent la mobilisation, notamment les violences policières. « Quand on se fait attaquer par les flics à 5 heures du matin, ça fait flipper, on n’ose plus trop y aller, on n’ose plus trop bloquer la fac », confie-t-elle. Pour maintenir l’engagement, Léa mobilise ses réseaux sociaux afin de soutenir ses pairs : « Le but, c’est de leur dire : il faut continuer et redonner du courage… Les blocus ne sont pas illégitimes, ils permettent de faire passer des messages politiques. »

Les manifestations traditionnelles restent centrales, mais doivent désormais être complétées par d’autres formes de mobilisation pour rester efficaces et inclusives.

L'action se réinvente

Face au découragement, des initiatives collectives et associatives se multiplient pour maintenir la mobilisation. « Beaucoup sont découragés… on essaie de créer des actions, mais c’est compliqué de les mobiliser », reconnaît Léa.

Cet engagement repose sur des préoccupations concrètes et politiques, comme le déficit démocratique ou le sentiment de ne pas être entendu. Plutôt que d’adhérer à un parti, beaucoup privilégient l’action associative ou des initiatives indépendantes. C’est le cas de James, créateur d’un blog de caricatures politiques, qui confie : « Je me sens un peu plus puissant en dessinant qu’en manifestant. »

D’autres jeunes choisissent les blocus ou les grèves étudiantes. Pour Léa, ces différentes formes d’engagement, manifestations, rencontres avec des députés, activités associatives ou actions individuelles se complètent et contribuent à renforcer la mobilisation collective.

 


L’engagement à l’ère des réseaux sociaux

Pour Léa, 22 ans, tiktokeuse suivie par 60 000 abonnés, les réseaux sociaux sont essentiels pour renouveler les formes d’engagement et toucher un public plus large. « C’est un bon terrain à investir pour permettre aux mobilisations d’émerger », explique-t-elle.

Elle y combine militantisme et diffusion d’idées, sensibilisant le public et valorisant la politique pour la rendre accessible, tout en soutenant des causes concrètes, comme l’envoi de livres ou l’aide à des ONG telles qu’Utopia 56. « Ça réinvente les formes d’engagement… ça permet juste de s’adapter à un public lassé de la politique », précise-t-elle.

Léa insiste également sur l’importance de structurer cette mobilisation par des initiatives pédagogiques et médiatiques, comme la création de sites d’information et de formation. Ainsi, TikTok et les réseaux sociaux deviennent des vecteurs majeurs de l’engagement des jeunes, à la fois pour diffuser des idées, soutenir des causes et inventer de nouvelles formes d’action.

– Laura Drouin 

Rencontre avec Léa Moothien à Sciences Po
Léa Moothien le 26 septembre à Sciences Po
Interview de Léa Moothien le 26 septembre

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De mai 68 à aujourd’hui, retour sur l’évolution des pratiques policières.

“CRS : SS !” dit le slogan inventé pendant les grèves de 1948, et encore utilisé de nos jours. En mai 68, jusqu’à 28 Compagnies républicaines de sécurité avaient été déployées en renfort de la police municipale et de la gendarmerie, estime le sociologue Lilian Mathieu dans un article publié en 2013 dans la Revue historique. Il rappelle également qu’un des pires ennemis du maintien de l’ordre… c’est justement le désordre et la surprise. 

Or, selon le commissaire divisionnaire Christian Ghirlanda, interviewé au Figaro en  décembre 2024, le mouvement des gilets jaunes aurait créé une “rupture” comparé aux manifestations traditionnelles : “Un public nouveau, composé de citoyens non syndiqués et ne sachant pas s’organiser en interne, est apparu.” S’ajoute à cela un nouveau défi : les blacks blocs. A titre de comparaison, en 68 “les défilés étaient bien préparés en amont” affirme un instructeur dans le même article. 

Ce qui est sûr, c’est que depuis 68, les violences policières sont en hausse, et visent principalement des minorités. Dans une interview à l’Humanité en 2020, les sociologues Olivier Fillieule et Fabien Jobard parlent du “poids de l’expérience des violences urbaines dans l’idéologie professionnelle des policiers”, qui influence la violence en manifestation. 

Si en 68, ils étaient uniquement armés de boucliers, gaz lacrymogène et matraques, les CRS ont obtenu, au fur et à mesure des évolutions, jambières, casques intégraux, lanceurs de balles de défense. Si bien que beaucoup les surnomment aujourd’hui “Robocop”.

– Blanche Bobrosky

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