Bienveillance sur les réseaux sociaux avec Merci à un inconnu
Créé en mars 2020, le compte Instagram Merci à un inconnu regroupe des témoignages de personnes exprimant leur reconnaissance envers des inconnus qui ont eu une influence positive sur leur vie. Depuis le premier confinement, le compte ne cesse de prendre de l’ampleur, cumulant aujourd’hui plus de 166 000 abonnés.
Anxiété, dépression, baisse de concentration, de sommeil, de confiance en soi… Les réseaux sociaux sont la cause de beaucoup des maux qui touchent les jeunes générations, et qui se sont accrus de 70% ces 25 dernières années pour les 14-24 ans selon une étude menée par la RSPH. Pourtant, au milieu de ce constat peu glorieux, une lueur apparait. Et si l’on remplaçait les injures omniprésentes sur Twitter par de la bienveillance? Si l’on remplaçait les plaintes par de la gratitude? Comme une réponse à des médias sociaux trop négatifs, Anne Cazaubon a créé le compte Instagram Merci à un inconnu.
Ré-enchanter le quotidien
Ces dernières années, les réseaux ont vu émerger de nombreux mouvements comme #Metoo ou #balancetonporc, visant à dénoncer les abus sexuels. Les langues se délient, et les témoignages les plus lourds sont brandis comme étendards d’une parole qui se libère. Mais pour Anne Cazaubon, il est important de garder une chose à l’esprit : il reste encore du positif. « Le monde est trashy, mais aussi rose. » Alors bien loin d’elle l’idée de contrecarrer ces mouvements, mais face à tout ça, la coach en développement personnel ne souhaite qu’une chose : éviter la noyade. La noyade dans une tristesse ambiante, dans un abattement collectif. Comme une bouée de secours, Merci à un inconnu a pour valeur première de faire du bien.
« Merci à un inconnu, c’est l’expérience de lire une histoire positive, mais aussi de se rendre compte qu’on est tous responsable de ce que l’on fait »
– Anne Cazaubon
“En faisant quelque chose lorsque l’on croise quelqu’un de triste dans la rue, on lui permet de se sentir reconnu dans son désarroi. Une personne vue, encouragée aura une meilleure estime d’elle-même, et ne prendra donc pas les remarques d’un mari pervers-narcissique, ou d’un boss qui la harcèle », développe-t-elle.
Un « Merci » fédérateur
Si la première tentative du lancement de Merci à un inconnu par Anne Cazaubon sur Europe 1 il y a deux ans est passée inaperçue, le deuxième essai n’aura pas été vain. C’est pendant le confinement que la chroniqueuse décide de réécouter les émissions et de publier ces histoires sous format de post Instagram.
Plus de 160 000 followers en 9 mois, 2 000 personnes en plus chaque semaine, environ 150 messages par jour. Le succès est indéniable. « Du baume au cœur », « un compte d’utilité publique », « j’en ai eu les larmes aux yeux », les éloges des abonnés depuis neuf mois ne tarissent pas ! A mesure que l’audience grandit, les remerciements se diversifient mais tous ont un point commun, la signature poétique « A vous » au début de chaque message. Pour faciliter le traitement de tous ces messages, un formulaire a été mis en place, et l’initiatrice du mouvement songe à employer un étudiant pour l’aider à traiter tout cela.
La gratitude, c’est une posture militante, parce qu’au milieu de l’horreur on choisit de voir ce qui est beau”
– Anne Cazaubon
Plus qu’un merci, un bonjour avenant
Loin de se limiter aux comptes Instagram, Facebook ou Twitter, il se développe aussi en dehors du virtuel, IRL comme on dit (In Real Life). On retrouve des mots dans les trains, les ascenseurs, sur les caddies ou encore chez nous, dans nos boîtes aux lettres. Des mots destinés à des inconnus pour leur souhaiter une bonne année, une bonne journée, ou pour leur rappeler qu’ils ne sont pas seuls. Une abonnée raconte : « J’ai vite adhéré à cet élan de bonheur à partager. A aider les personnes qui souffrent de cette situation covidesque, leur faire oublier l’isolement, la peur ou la tristesse par des mots encourageants. » Son papier a d’ailleurs été trouvé et relayé sur le compte Instagram.
Cette « Feel good attitude » a explosé sur les réseaux pendant les confinements. Groupes d’entraide sur Facebook pour aider les étudiants en précarité, vidéos Tik Tok pour aider a lutter contre l’anorexie ou encore mise en place de messages codés pour venir au secours des victimes de violences conjugales, les réseaux sociaux semblent être repensés en cette période de crise sanitaire comme une nouvelle forme de solidarité.
Prune Avemani
Crédit photo : Léa Carré
“Soyez une voix, pas un écho”
Pour Anne Cazaubon, tout tourne depuis l’enfance autour de la voix et de la plume. Après des études à Montréal, où elle apprend les langues des signes anglaise et québécoise, elle sort couronnée à Paris d’un diplôme en Langue des Signes Française. Mais en devenant le pont entre la parole et le silence, Anne n’a pas son mot à dire.
Finalement, elle s’engage vers un autre chemin, le journalisme. La radio s’imposera à elle, et ce pendant une quinzaine d’années où elle travaille pour LCP, Radio France et Europe 1. Mais de plus en plus, elle souhaite tourner le micro vers elle, raconter son histoire.
Quelques années plus tôt, Anne se trouve au bord d’une rame de métro. Recroquevillée, elle voit les chaussures défiler pendant quelque temps. Une paire, néanmoins, n’a pas bougé. Lorsqu’elle redresse la tête, Anne croise le regard de l’homme. Il comprend qu’elle allait se suicider, tandis qu’elle reprend espoir.
En en apprenant plus sur elle-même, elle s’interroge sur la portée de sa voix dans le monde. Elle se revoit annoncer les dépêches de l’AFP faisant le compte des morts. Est-ce comme oiseau de mauvais augure qu’elle veut qu’on se souvienne d’elle ? En en reparlant aujourd’hui, elle pense à cette citation du prix Nobel de littérature, Maya Angelou : “Les gens oublieront ce que vous avez dit, ce que vous avez fait, mais n’oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir”.
Alors elle tourne de nouveau le micro vers l’autre, pour donner une voix aux gens qui ont du mal à trouver la leur. Elle multiplie les projets artistiques dans les rues parisiennes, et en 2020 elle lance le compte Merci à un Inconnu, comme un clin d’oeil à l’inconnu du quai de métro. Au milieu des horreurs dont on voit le récit quotidien, Anne Cazaubon fait le choix de voir le beau geste et la gratitude.
Jeanne Leriche
Vidéo réalisée par Prune Benedini