Jeux vidéos et vie sociale, la communauté lilloise de Super Smash Bros en parle
La Salty Arena est un collectif associatif de jeux vidéo lillois, actif depuis 2014. En s’improvisant porte-paroles de la communauté du jeu Super Smash Bros Ultimate (2018), Marco et Nelson, deux piliers de l’association, mettent en lumière le vecteur social que peuvent être les jeux vidéo, un enjeu souvent méconnu de l’univers des gamers.
Marco et Nelson, connus sous les pseudonymes de Barrmon et NGP, sont deux membres influents de la Salty Arena. L’un est président de l’association, l’autre joueur chevronné. Les deux partagent l’amour du versus fighting, ou l’art de refaire le portrait à ses pairs lors de combats virtuels aussi dynamiques que colorés.
Sous ses armoiries bleutées arborant une salière, l’ambition de la Salty Arena est d’être un « point de rendez-vous », explique Marco. Ainsi se remémore-t-il le temps où leurs locaux pouvaient accueillir, deux à trois fois par semaine, des joueurs cherchant à progresser ou à se rassembler autour d’une passion commune.
Le jeu Super Smash Bros centralise l’intérêt commun du collectif. Pourtant, la vie associative de la Salty Arena se trouve également rythmée de plusieurs activités : du karaoké aux blind tests, en passant par des sessions de jeux détendues ou des tournois intenses. Marco estime qu’en 2019, une cinquantaine d’adhérents portaient les couleurs de l’association.
« C’est dur de réunir et de motiver les gens sur le online » –Marco
Si les jeux vidéo permettent de nombreuses interactions en ligne, certains, comme Super Smash Bros, restent ancrés dans le réel et l’interaction sociale. La partie online (en ligne) du jeu apparaît assez limitée techniquement, délaissant sa communauté dès lors où l’organisation d’événements est impossible. Le mode en ligne de Super Smash Bros Ultimate est en effet à la traîne par rapport aux expériences multijoueurs par internet que peuvent actuellement proposer d’autres jeux de combats. Serveurs surchargés, déconnexions intempestives, latences rendant le jeu désagréable à prendre en main ; il semble compliqué de profiter pleinement du jeu à distance, surtout pour les joueurs avertis de la Salty Arena.
L’association survit donc principalement sur la plate-forme Discord, où des channels de discussions permettent aux adhérents – mais pas uniquement – de continuer à communiquer. Pourtant, « Sans activité physique, c’est plus dur de réunir les gens en online », regrette Marco. La communauté peine à maintenir son dynamisme. Nelson relate des tentatives d’organisation de tournois via internet : « C’est vite difficile et incontrôlable », explique-t-il.
Malgré ces problèmes, les discussions Discord du « noyaux dur » de la communauté permettent de maintenir un lien social indispensable à leurs vies. Même si, d’après les deux joueurs, une centaine de personnes sont présentes sur le Discord, une dizaine d’habitués se réunissent très régulièrement pour maintenir la flamme.
Un enjeu social indispensable
Marco et Nelson sont confiants : une fois cette période de trouble passée, la communauté sera au rendez-vous ! L’enjeu social est trop important pour être gommé. « De fil en aiguille, ces gens de la communauté peuvent devenir des amis. Tu peux faire des rencontres qui vont changer ta vie », affirme Nelson. Les deux amis mentionnent avec sympathie des membres de leur communauté ayant bravé leurs difficultés d’intégration sociale pour appartenir à un groupe et en devenir un maillon indispensable : « Des personnes, pas forcément sociables, sont devenues des piliers de la communauté lilloise », explique le président de la l’association. « Ils ont trouvé leur place », ajoute son camarade. Autour de Super Smash Bros, des vies sociales gravitent et évoluent.
La Salty Arena n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce qu’engendrent les jeux vidéo d’un point de vue social. Le monde vidéoludique est complexe et possède ses codes, ses pratiques, ses communautés diverses, elles-mêmes découpées en sous-communautés. Au fil de la discussion, Nelson et Marco survolent l’étendue de cette construction sociale. Ils évoquent le Stunfest, un festival de jeux vidéo d’envergure européenne où les différents univers vidéoludiques se rencontrent. Ils évoquent les grandes sphères de l’e-sport : des champions internationaux, maîtres du combat virtuel. Des emblèmes, la preuve vivante que leur passion singulière peut être portée au-delà des stigmatisations dont elle est parfois victime.
De par son aspect communautaire, la Salty Arena peut apparaître comme un microcosme relativement fermé. Pourtant, la communauté cherche sans cesse à se renouveler. « On a tous les jours besoin de nouveaux joueurs ! » déclare Marco. Il invite les joueurs en quête de progression, ceux voulant se lancer dans le jeu et tous ceux voulant partager leur passion, à les rejoindre. Twitter est l’option à privilégier pour entrer en contact avec la communauté. Leur Discord est ouvert à tous, même aux non-adhérents, et permet à qui veut de discuter avec des amateurs de jeux de combats, d’échanger des conseils et de passer du bon temps.
Baptiste David
Crédits Photos : Cioran Millot
Zoom : Le genre féminin dans les jeux vidéos
On aurait facilement tendance à dire que les femmes sont bien moins présentes que les hommes dans le milieu du jeu vidéo. C’était le cas… dans les années 1990, au début de la folie des gamers.
Aujourd’hui, la tendance s’est inversée : une étude datant de 2018, menée au Canada par l’Association canadienne du logiciel de divertissement (ESAC), révèle que 50% des joueurs sont en fait des joueuses ! Mais si les gameuses sont plus présentes dans le
milieu vidéoludique, on ne peut tout de même pas encore parler d’une parité totale.
Anita Sarkeesian, Mar Lard, Devovo : toutes les trois partagent la passion du jeu vidéo, et toutes ont été victimes de harcèlement ou d’insultes sexistes pour avoir osé le montrer en public, sur la toile. Si la communauté est de moitié féminine, l’autre moitié ne semble pas tout à fait prête à accepter cette réalité.
Gameuse Devovo © Chaine Youtube de Devovo
Chez la Salty Arena, Marco et Nelson sont définitifs sur le sujet : un propos sexiste de la part d’un joueur est égal à une exclusion permanente de la communauté. Si ces derniers se félicitent de compter deux membres féminins dans le conseil d’administration, ils déplorent tout de même le peu de joueuses qu’ils comptent dans leur communauté (une ou deux, pas plus).
Marco précise par ailleurs que sur le plan national, les gameuses les plus importantes ne sont pas tant sur le devant de la scène, mais surtout dans les coulisses, avec par exemple nombre d’entre elles qui organisent les grands tournois entre les communautés.
Entre les remarques misogynes et les stéréotypes de genre dont sont victimes les gameuses, Marco admet cependant qu’« être une fille dans la communauté du jeu vidéo en général, c’est difficile ». En effet, les joueuses ne comptent plus les commentaires
sexistes, un phénomène déjà bien connu sur internet, où l’on semble ne pas mesurer l’impact des mots. L’anonymat des internautes n’arrange rien et facilite largement le harcèlement ciblé, les auteurs pouvant rester de complets inconnus.
Philippine Quentin