Dans un coin de rue est niché depuis mars 2021 Dévor Lille, une dark kitchen à l’ambiance festive et aux odeurs alléchantes. Pas de tables, juste des cuisines : ce « restaurant virtuel » est uniquement disponible sur commande, de quoi allier qualité gustative et confort. Mais ce luxe repose sur un système immoral souvent oublié : la condition des livreurs.
À Dévor Lille, on ne retrouve que cinq personnes : une co-manageuse et quatre cuisiniers. L’enseigne, qui existe aussi à Paris, à Bordeaux et au Havre a pour slogan : « We cook. You save time. » Il n’y a pas de quoi se poser à l’intérieur, ce restaurant ne fonctionne que sur livraison ou en click and collect. Ce nouveau fonctionnement, appelé dark kitchen, a été développé pendant les confinements. Il présente des avantages en termes de coûts : la masse salariale est revue à la baisse et l’espace ne nécessite qu’une cuisine professionnelle, le laboratoire, et une chambre froide. Les livreurs dépendent de l’entreprise UberEats, ce qui est bien plus rentable que de développer son propre système de livraison.
Mais ces profits continuent d’alimenter ceux d’UberEats, pour qui l’attention de ses employés n’est pas de mise. Les livreurs sont inscrits en statut d’autoentrepreneur, ce qui ne leur laisse pas de garanties sociales. Les employés de Dévor Lille reconnaissent que l’éthique n’est pas au rendez-vous mais ne se sentent « pas responsables » de l’organisation de l’entreprise extérieure. Malgré cela, avec la crise sanitaire et l’inquiétude qu’elle induit, les dark kitchen font sensation : les livraisons semblent être la solution pour allier repas gastronomiques et sécurité.
Un système de livraison qui plaît...
L’habitude de commander se poursuit après la réouverture des restaurants pour ceux à qui le confort de leur canapé n’a pas d’égal. Chez Dévor Lille, « ce sont surtout les jeunes qui y sont adeptes, pendant ou après une soirée c’est plus simple de commander », nous affirme un cuisinier.
De plus, le restaurant propose une bonne qualité des produits et travaille avec sept marques, permettant d’offrir des plats variés comme des poutines, des burgers, des nuggets… « Ce sont des légumes frais qui arrivent le matin, des vrais steaks, pas comme chez cette grande chaîne de fast-food, où j’ai travaillé », nous souffle à demi-rire la co-manageuse. Les employés y trouvent leur compte : le contrat est de 35h, ce qui leur permet d’avoir au moins le SMIC, contrairement à cette même chaine où ils travaillaient en 24h / semaine.
Olivier Zalmanski, 40 ans, adepte des livraisons, nous en explique ses avantages, que ce soit pour ses repas ou ses courses : « Je suis en 100% télétravail depuis deux ans. Je peux payer en tickets restaurants, comme dans mon entreprise. Le soir aussi c’est avantageux quand on est fatigué. Et j’ai deux jeunes enfants alors ça me laisse le temps de m’en occuper et de remplacer temporairement les restaurants. » Pour Olivier, pas question de les abandonner, leur « aspect romantique » n’est pas négligeable mais la situation sanitaire et familiale ne lui permettent pas toujours de trouver de quoi le satisfaire. Au niveau du coût, « ça revient au même, nous avons des abonnements avec livraison offerte ». En ce qui concerne les produits, « ils peuvent être de meilleure qualité, même s’il y a toujours du stress quand on commande. Je privilégie les produits bio et locaux. C’est au consommateur de faire attention, les produits sont parfois mieux détaillés en ligne ». Olivier aussi utilise UberEat et Deliveroo et dresse le même constat que Dévor Lille. Sensible à la cause, il nous confie : « Ma femme et moi donnons toujours des pourboires et nous commandons aux restaurants à côté. Nous espérons des réponses sociales, que les plateformes proposent des solutions comme la reconnaissance en tant que salarié. »
Marie Boidin
Zoom :
Rouler vers une livraison éthique
Si on peut reconnaître l’efficacité des plateformes de livraison de repas, on peut critiquer les conditions de travail des livreurs dont le statut d’auto-entrepreneur s’accompagne d’inconvénients : faible revenu et faible protection sociale.
Cependant, pour les restaurants et les dark kitchen, l’utilisation d’une plateforme de livraison extérieure est souvent plus simple. La création de son propre service de livraison est souvent impossible à mettre en place car il demande beaucoup de moyens économiques et donc beaucoup de commandes.
Mais il existe aujourd’hui une volonté de livraison durable que ce soit sur le plan écologique comme sur le plan social. Si le vélo reste un moyen rapide et écologique pour les livraisons, de nouvelles plateformes ont fleuri pour proposer un système de livraison éthique. Différentes entreprises proposaient déjà ce type de services pour la livraison de colis comme la coopérative parisienne Olvo qui livre en vélo-cargo. Mais pour la livraison de repas, ce n’est que depuis peu que différentes coopératives se sont mises à proposer une livraison éthique. C’est le cas de NaoFood à Nantes. Ouverte depuis septembre 2019, cette plateforme permet aux restaurateurs locaux de proposer un service de livraison similaire à celui des plateformes mais avec des livreurs à vélo désormais salariés de l’entreprise. Ainsi, Sonic, Garfield ou Timon peuvent venir vous livrer votre repas car oui, chaque livreur est accompagné d’une célèbre peluche qui accompagne le livreur. L’objectif de ces entreprises est de venir concurrencer les grandes plateformes en proposant un service similaire pour les clients mais en promettant une livraison éthique avec des livreurs salariés donc mieux rémunérés et avec une plus grande sécurité dans leur travail.
Edouard Barruet