La Voisinerie de Wazemmes pour redynamiser un territoire dit « prioritaire »
Dans certaines villes et notamment à Lille, plusieurs quartiers sont vus comme des zones sensibles où peu d’initiatives voient le jour et où il n’y aurait aucune animation. Pourtant, le quartier de Wazemmes prouve l’inverse avec la Voisinerie, un tiers-lieu qui a vu le jour en fin d’année 2020 au terme d’un long appel d’offres, et dont l’objectif est de dynamiser le quartier tout entier.
Peu réputés pour leur tranquillité, les quartiers lillois comme Wazemmes, CHU Eurasanté ou encore Fives sont perçus comme des endroits où l’action publique ne remplirait plus sa mission. Malgré tout, la Ville de Lille cherche plusieurs leviers afin de rendre ces quartiers classés « populaires » plus hospitaliers, tout en y développant des activités fédératrices. Entre clivage et division, des espaces de partage sont créés, où de multiples pratiques et cultures se rencontrent.
Un tiers-lieu pour et par les habitants
La particularité de ce lieu est que le concept est mené par des habitants de Wazemmes eux-mêmes. Ils sont désireux d’améliorer la vie de leur quartier et de créer du lien avec ce projet. C’est le cas de Maïté et Wallid, respectivement la gérante et le cuisinier, cette première étant « porteuse endurant du projet ». Avant l’aboutissement de leur rêve, un long chemin a été parcouru. Tout a commencé en 2009 avec la volonté de la Ville de Lille d’imaginer la municipalité de demain avec une résidence de logements sociaux, agrémentée par un lieu de vie collectif et novateur.
En 2012, la société SIA Habitat est retenue pour réaliser les travaux, qui débutent en 2015 dans les locaux d’une ancienne école. Par la suite, l’appel d’offres pour une activité commerciale tournée vers le quartier et les résidents, est lancé.
Parmi les postulants, on y retrouve Maïté, qui souhaitait initialement développer une conciergerie, afin de rendre service aux habitants et de créer un lieu de partage. Ce n’est qu’en avril 2017 que sa candidature est retenue, et deux ans et demi plus tard elle ouvre la Voisinerie de Wazemmes. Il aura donc fallu 10 ans pour que son projet aboutisse. Son ambition ? « Que le lieu soit un endroit référent pour tous sur Wazemmes, et que les riches ne soient pas les seuls à bénéficier d’un tel endroit ». Derrière ce projet, il y a aussi une histoire personnelle, celle d’une gérante qui vit dans ce quartier depuis 15 ans et qui a envie de s’y investir, en « créant une sorte de petit village où chacun se connaît de vue ». Néanmoins, le timing a fait que la Voisinerie n’a pu rester ouverte que quelques mois, crise sanitaire oblige, avant de baisser rideau.
Malgré la crise sanitaire, une réinvention novatrice
La Voisinerie étant principalement un lieu de restauration, elle n’a pas été épargnée par la fermeture des restaurants lors de la première vague de Covid-19. Cependant, d’autres activités ont permis au lieu de ne pas subir les vagues suivantes trop difficilement. Le fait de posséder un espace de coworking ou une micro-épicerie, considérée comme un commerce essentiel, les a exemptés d’une seconde fermeture.
Finalement, cette crise sanitaire a aussi permis à Maïté de voir une nouvelle clientèle débarquer : des particuliers en quête de privatisations. « Depuis la pandémie, on remarque un essor des privatisations de la Voisinerie en soirée, notamment de la part de mouvements politiques », explique Maïté. Dernier exemple en date, la privatisation de La France Insoumise pour assister à l’apparition télévisée de Jean-Luc Mélenchon dans l’émission Face à BFM. Pour autant, la gérante précise que « tous les partis sont les bienvenus et plusieurs sont déjà venus, afin que nous ne soyons pas marqués politiquement », citant Europe-Ecologie les Verts entre autres. Aujourd’hui, la Voisinerie propose aussi des ateliers de couture, d’art plastique ou encore des concerts jazz qui se déroulent tout au long de la semaine et sont ouverts à tous.
Un projet local qui se veut responsable
Ce qui renforce la portée de ce projet, c’est finalement l’histoire des deux personnes qui le gèrent. En effet, Maïté et Wallid habitent respectivement à 150 et 300 mètres de la Voisinerie, symbole de leur proximité et de leur engagement au sein du concept. Non sans humour, la gérante évoque le choix de son cuistot par le fait qu’elle « ne veut pas entendre l’excuse des embouteillages et du métro qui sont bidons ! ». S’il lui arrive d’oublier son portable, elle sait qu’elle pourra aisément retourner le chercher en un rien de temps.
Pour permettre à tout type de public de venir dans ce tiers-lieu, l’objectif a été d’adapter l’offre, notamment avec les prix non fixes. « Les prix sont accessibles, mais pour les personnes dont on sait qu’elles sont en difficulté, nous pratiquons officieusement des prix plus bas afin qu’elles puissent venir. » Maïté avoue qu’elle reconnaît les gens de tête et qu’elle connaît la situation individuelle de beaucoup d’entre eux.
Sur le plan écologique, le postulat de la Voisinerie est simple : simple, mais bon. « L’objectif est d’utiliser des produits locaux et bio un maximum, mais de vraiment le faire, pour de vrai ! » Concernant les invendus, contrairement à certains hypermarchés, ils sont récupérés et réutilisés afin de tenir une ligne zéro déchets. Pour éviter le gaspillage, il arrive à Maïté de déposer une annonce sur les réseaux sociaux de la Voisinerie en cas de produits invendus (desserts, plats, etc.). Cela permet de ne rien perdre et de faire des heureux, sous couvert de lutte contre le gaspillage.
Finalement, la Voisinerie rassemble de par ses multiples pratiques et crée une dynamique dans un quartier qui en manquait. Malgré une longueur administrative dans la mise en place du lieu, le résultat satisfait sa gérante. La modernisation des activités attire un nouveau public, toujours aussi friand de partage et de convivialité dans un tiers-lieu innovant.
Pavel Clauzard
ZOOM...
Une initiative alimentaire s’installe à pont-de-bois
Un vrac organisé…
Les premières commandes de l’association VRAC (Vers un Réseau d’Achat en Commun), née en juillet 2021, se sont ouvertes le 7 février pour les habitants du quartier Pont-de-Bois.
Au programme de l’initiative ?
Mener leurs actions dans les quartiers prioritaires de la métropole lilloise. Avec pour but de rendre accessible les produits bio et locaux aux habitants et lutter contre les inégalités en matière de consommation. Les prix sont abordables car les produits commandés sont achetés en grande quantité chez les partenaires de l’association. Cette initiative de quartier permet de lutter utilement contre les inégalités économiques, sociales et de santé. Sans oublier que cette initiative est également bénéfique pour l’environnement.
Plus important encore, l’association mise tout sur le collectif. Les membres de l’association sont aussi bénévoles et agissent pleinement dans les actions. En luttant contre l’isolement qui sévit particulièrement dans les grandes villes, surtout depuis la pandémie. Un climat d’entraide et de coopération est mis en avant pour aider à réunir les habitants d’un même quartier.
… qui plaît à tous
Eline, étudiante à Lille, vit dans une colocation en face du campus de Pont-de-Bois et est très enthousiaste.
“J’aime beaucoup utiliser VRAC, parce que il n’y a pas de magasin de vrac dans mon quartier et ça me permet de ne pas faire beaucoup de kilomètres tout en ayant des produits à des prix qui s’alignent presque avec ceux des grandes surfaces.“
Et pour Eline, l’accessibilité des prix est un critère primordial : du fait de sa condition étudiante car elle n’a que peu de revenus. Cependant, elle n’est pas la seule à qui l’association va profiter. Selon une étude de l’ADULM (Agence de Développement et d’Urbanisme de Lille Métropole), près d’un quart de la population lilloise vit en situation de précarité. Ce sont 57 000 personnes qui pourraient potentiellement adhérer à cette initiative. L’association va d’ailleurs s’étendre dans le quartier de Fives en mars puis à Lille-Sud, Roubaix et Tourcoing d’ici l’été pour atteindre le plus de personnes possible.
Méline Courtecuisse