S’insérer dans le monde professionnel face à une société régie par l’apparence

by Charlotte Blondeau
Après son inauguration à Paris, Lille accueille La Cravate Solidaire en 2015 près du Centre Hospitalier Universitaire. C’est plus de 500 bénévoles qui œuvrent contre les discriminations à l’embauche et favorisent l’insertion professionnelle de milliers de profils. Si la lutte est loin d’être terminée, l’association a pour mission de redonner confiance et espoir aux demandeurs d’emploi.

Jeunes, personnes en situation d’handicap, à la rue, en grande précarité ou primo-arrivants, peut-être ont-ils tenté de trouver un emploi, sans grand succès. Des dizaines de demandes envoyées, et en retour des dizaines de refus, la difficulté d’entrer dans le monde professionnel touche aujourd’hui beaucoup d’individus délaissés par la société et sujets à la discrimination professionnelle. Dans un système où la « première impression » prime, l’apparence induit un tri considérable des candidats. Dès la première minute de l’entretien, l’employeur se fait déjà une idée préconçue du postulant, à travers son image et son élocution. La Cravate’ permet aux personnes non insérées au monde professionnel de s’adapter à ce système discriminatoire selon deux aspects :  l’apparence, et le coaching à l’entretien. « Lève-toi et brille ! » ces quelques mots inscrits sur la porte du bureau de l’association raisonnent dans l’esprit des demandeurs d’emplois qui ont perdu toute confiance en eux. 

« L’Habit ne fait pas le moine mais y contribue »

Le slogan de l’association n’a pas été choisi par hasard. Derrière le nom « La Cravate’ », il y a l’idée d’un uniforme professionnel. Dans cette société régie par l’image, l’association a pour projet innovant de s’attaquer à l’apparence des demandeurs d’emploi, afin de les adapter aux attentes des employeurs. Les bénéficiaires peuvent alors repartir avec une tenue et une photographie professionnelle adaptées aux individus. « Ce n’est pas un relooking, l’idée est qu’ils soient à l’aise » précise Capucine Tricoît, bénévole depuis 3 ans, « mais quand tu es à la rue et que tu décroches un entretien, des fois, tu n’as pas de tee-shirts propres ou de chaussures non-trouées ». Ce travail sur l’apparence correspond au concept du « pretty privilege », soulignant que la beauté et l’image seraient facteurs d’inégalités sociales ; une personne qui correspond aux standards de beauté aurait donc davantage d’opportunités notamment dans le monde professionnel.

Données bilan Cravate Solidaire
Données chiffrées de l'impact de la Cravate Solidaire en 2023 © Noa Lakard
Le problème systémique de la discrimination à l’embauche

La plupart des bénéficiaires sont des jeunes, des personnes en grande précarité, à la rue, des exilés, mais aussi de plus en plus de femmes isolées ou battues. Cette récurrence des types de profils est révélatrice des pratiques discriminatoires du système de l’embauche. Selon Capucine « il y a beaucoup de discriminations de la part des recruteurs, c’est une réalité, ce qui fait qu’aujourd’hui on n’arrivera pas au plein-emploi ». Cette similarité des profils soulève également le problème d’exclusion sociale et de stigmatisation. 

« En entretien, rien ne les oblige d’évoquer leur état de santé, leur nationalité, leur orientation sexuelle ou les raisons de leur désinsertion »
Capucine Tricoît
Capucine Tricoît
Bénévole à la Cravate Solidaire

Au-delà du prisme de l’apparence, la société est orchestrée selon des standards et des normes sociales. Ainsi, racisme, homophobie et sexisme sont enfouis dans la société et nourrissent abondamment le système de l’embauche. Les employeurs se sentent parfois libres de poser des questions à caractère discriminatoires. C’est pourquoi l’association s’attaque aussi au coaching de l’entretien et tente de rappeler aux bénéficiaires leurs droits, « en entretien, rien ne les oblige d’évoquer leur état de santé, leur nationalité, leur orientation sexuelle ou les raisons de leur désinsertion » précise Capucine. Les bénévoles apprennent donc aux candidats à mettre en valeurs leurs compétences auprès des employeurs.

Malgré les efforts de La Cravate’ pour adapter les candidats au marché de l’emploi, les discriminations à l’embauche ne diminuent pas. La résolution du problème ne peut se faire uniquement par une modification du système de recrutement. A travers des opérations de sensibilisation au sein d’entreprises et des collectes de dons d’habits, l’association tente tout de même de participer à la modernisation de ce système discriminatoire.

Clara Duvieilbourg

Photo de Une : La Cravate Solidaire

L’édito : Pas de réinsertion = pas de récidive ?

Le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a réaffirmé son souhait de voir la
mise en place de courtes peines de prison. « Il faut tout de suite un interdit, une
sanction certaine, qui puisse briser les parcours délinquants, dès les premiers délits ».
Pourtant, l’embauche des prisonniers que l’on sait particulièrement difficile a toujours
été le grand défi proclamé du ministère de la Justice. La solution privilégiée est
finalement celle de la continuité de la rupture avec la société mais aussi du manque
de moyens et de l’absence d’accompagnement. Comment peut-on imaginer une
réinsertion à partir de rien ? Une réinsertion à partir de la désinsertion ? Sans même
aller questionner le rituel de la case prison quel que soit la minimalité de la peine, ne
pas relever la destruction totale de l’individu, de ses repères et finalement la culture
déviante qui en résulte n’est pas possible.
À la surdité des pouvoirs publics, multipliant pourtant entre eux les interpellations,
des citoyens consacrent leur temps à un accompagnement local de ces personnes
très éloignées de l’emploi. Sans cet accompagnement bien souvent bénévole, c’est
plus de 60% des peines de 1 à 2 ans qui récidivent. Car oui être démuni financièrement,
socialement et faire face à la réticence des employeurs sont trop de combats, qui
entremêlés, sont insurmontables.

Felix Aguado

Le levain, levier pour l'insertion professionnelle !

Vidéo d’Ambre Michelet

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