Casser les codes à coups de pompons
Posted On 3 avril 2022
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Ces dernières années, c’est davantage du côté des femmes que les contestations contre les injonctions genrées se sont fait entendre. Pourtant, du côté des hommes, si les logiques de domination ne sont évidemment pas les mêmes, ils sont aussi assignés à des normes, viriles cette fois. Trop souvent encore, être « un homme, un vrai » signifie correspondre à un vieil idéal fait de force, de domination et de priapisme conquérant… Trop souvent encore, on apprend aux petits garçons à réprimer leurs émotions, à ne pas montrer leurs faiblesses sous peine d’être «traités de filles». Ce phénomène entretient le patriarcat et la masculinité dite toxique. Cependant, beaucoup d’hommes ont du mal à adhérer ou à correspondre à ce modèle.
Ainsi, timidement, depuis quelques années, un nouvel équilibre entre la part du masculin et du féminin est proposé et de plus en plus d’individus, comme l’équipe de pompom-boys Scrimmage People, tentent de déconstruire les rôles de genre prédéfinis. « Nous les hommes, on peut danser en mini-short, danser avec des pompons et se déhancher (…) c’est ça aussi être un homme. » Ainsi, chaque mardi soir, une douzaine d’hommes pères de famille, chefs d’entreprise, ingénieurs, enseignants ou encore étudiants troquent leurs vêtements quotidiens pour enfiler un mini-short moulant et s’entraînent en vue des futurs événements sportifs du Roller Derby Lille.
C’est d’ailleurs de cette ligue sportive lilloise que l’idée a émergé. Le roller derby étant un sport féminin (et revendiqué féministe), les joueuses ont voulu prendre le contrepied des représentations habituelles et être supportées par une équipe pompom masculine.
[1] Le roller derby est un sport de contact essentiellement féminin se pratiquant en patins à roulettes quads sur une piste de forme oblongue, le but du jeu étant pour l’une des joueuses ou l’un des joueurs de réussir à dépasser en un laps de temps donné les joueuses ou les joueurs adverses sans se faire projeter au sol ni sortir de la piste.
Ainsi, depuis cinq ans, les Scrimmage People sont encadrés par quatre coachs qui les préparent physiquement, s’occupent des chorégraphies et des portés acrobatiques. Loin d’être de simples amateurs, l’équipe présente, chaque année, de nouvelles chorégraphies qui se terminent par la légendaire pyramide, le tout sur une compilation de musiques assez connues (My Heart Will Go On, Single ladies…).
Même si la version masculine des pompoms peut surprendre, elle permet selon Stéphane et Fabien, deux membres de l’équipe, de se découvrir et être soi-même : « On grandit avec ces injonctions quotidiennes. Moi ça me plairait de porter du vernis en rue mais les regards sont trop pesants. Il n’y a qu’ici que je peux en mettre. »
Bien que leur pratique soit largement acceptée dans l’univers du roller derby, qualifié de « lieu safe » par Fabien et Stéphane, il semble être encore difficile d’être pris au sérieux en dehors. « C’est pas un sketch, c’est pas une parodie. On fait ça sérieusement et c’est surtout sincère. »
Ils soulignent, que la première réaction des gens extérieurs au monde du roller derby est de penser qu’ils vont faire « les clowns », de la parodie. Or, même s’il y a des clins d’œil humoristiques, le travail derrière est réel. Heureusement pour eux, les avis changent rapidement. Dès que les gens assistent à la performance, c’est une agréable surprise et ils comprennent la démarche. Il est même fréquent que des hommes viennent les remercier après le show. Cependant, il n’en reste pas moins que ces derniers restent réticents à rejoindre l’équipe, notamment à cause du regard des autres « l’autre il va me prendre pour qui ? ».
Les deux pompom-boys rassurent : une fois le cap franchi, on ne peut être que conquis. « Je suis fier de faire ce que je fais et si ça peut permettre de parler d’une autre façon du féminisme et de la masculinité alors je le crie sur tous les toits. »
A l’avenir, les Scrimmage People souhaitent voir d’autres équipes de pompom-boys émerger – ils sont pour l’instant les seuls en France -, continuer à sensibiliser sur les représentations masculines, élargir leur pratique à d’autres sports et quitter la zone de confort du roller derby, connu pour son inclusivité et son ouverture.
Johanna Beeckman
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