Une réponse communautaire à l’épidémie de VIH
Posted On 4 avril 2022
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Il est un peu plus de 17 heures quand Louis* franchit la porte de l’association Aides, dans le centre-ville de Lille. Il vient participer à une permanence santé sexuelle, un moment convivial où l’on peut parler sexualité et se faire dépister du VIH et des hépatites (B & C)
Louis préfère venir à Aides car “ici, on ne juge pas vos pratiques comme un médecin le ferait“. Ce jeune trentenaire pratique le chemsex, qui consiste à consommer des produits psychoactifs dans un cadre sexuel. Cette pratique inclut un risque de transmission du VIH et des autres hépatites virales, car sous produit, on est moins disposé à se protéger. Toucher les chemsexeurs (les personnes pratiquant le chemsex) est très compliqué pour les pouvoirs publics. La stigmatisation de la pratique par les personnels soignants, voire leur ignorance du sujet, ne permet pas un réel accompagnement. C’est dans ces circonstances que la démarche communautaire prend tout son sens.
Théorisée dans les années 80 par l’OMS, la démarche communautaire se caractérise par “la participation effective et concrète de la communauté […] pour atteindre un meilleur état de santé” [voir à-côté]. Contrairement à la relation unidirectionnelle qui lie patients et praticiens, la démarche communautaire permet un échange entre personnes concernées et montre des résultats significatifs chez les publics plus exposés au VIH/sida.
Jean-Benoît est militant à Aides depuis deux ans et demi. Comme pour beaucoup de volontaires, son engagement associatif est lié à son histoire personnelle. “J’ai fait beaucoup de conneries quand j’étais jeune, je n’ai fait que deux dépistages entre mes 18 et 39 ans.” Durant sa jeunesse, il ne pouvait pas parler de sa sexualité avec son médecin de famille. “Dans certaines situations, il y a des choses que tu ne peux pas dire. Du coup, tu te dis “merde” et tu verras bien comment cela se passe”, avoue-t-il. Ne voulant pas que certains jeunes restent éloignés de la prévention par honte de leurs pratiques, il décide de s’engager à Aides en novembre 2019.
Les volontaires comme Jean-Benoît sont les piliers des actions de Aides. Et c’est là tout l’intérêt de la démarche communautaire : les principaux concernés participent à l’information de leurs pairs. Tous les mois, Aides organise des actions dans les bars et saunas gays afin de toucher la communauté homosexuelle, particulièrement vulnérable au VIH. Depuis 2010, une collaboration entre Aides et l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites (ANRS) a poussé le ministère de la Santé à autoriser les acteurs non-médicaux à effectuer des dépistages du VIH [voir vidéo]. Ce sont donc les militants, qui après un parcours de formation très encadré, pourront dépister leurs pairs. Les taux de positivités élevées observés confirment l’efficacité du dépistage communautaire.
La démarche communautaire en santé permet de mieux toucher les personnes exposées au VIH. Malgré son efficacité, l’approche communautaire a quelques inconvénients : elle n’est pas adaptée à l’urgence et nécessite souvent de bousculer l’ordre établi entre les sachants et les profanes. Elle est aussi utilisée dans le monde entier pour d’autres causes, mais reste très cantonnée à la lutte contre le VIH.
* Le prénom a été modifié.
Evann Hislers
Dans une vidéo de Loïs Hamard, découvrez les explications de Houari, salarié de Aides. Un de nos reporters s’est prêté à un test de dépistage pour nous montrer comment ça se passe.
Dans les années 1980 en France, plusieurs initiatives participent à la reconnaissance de la démarche communautaire comme l’implication des associations des malades du sida et des toxicomanes, la crise économique et ses effets sur l’accessibilité aux soins, des politiques publiques nationales, régionales et locales qui invitent de plus en plus à l’intersectorialité ou encore la création de lieux de formation en santé communautaire : facultés de médecine, écoles infirmières, écoles de travailleurs sociaux…).
Aussi, en 1986 a lieu la première Conférence internationale pour la promotion de la santé. Elle se tient à Ottawa sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Santé et adopte la “charte d’Ottawa” en vue de contribuer à la réalisation de l’objectif de la santé pour tous pour l’an 2000 et au-delà. Cette charte définie la promotion de la santé comme une démarche ayant pour but de donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer.
En partageant et défendant ces valeurs, l’Institut Renaudot représente la branche française du Secrétariat européen des pratiques en santé communautaire depuis 1998. La même année, il publie La charte des pratiques de santé communautaire afin de promouvoir les démarches communautaires en santé. Aujourd’hui, cette association propose toujours de développer, soutenir et renforcer les actions en santé en regroupant des femmes et des hommes (habitants, citoyens, professionnels, élus, représentants d’associations et d’institutions diverses) dans l’évaluation des besoins de santé jusqu’à la réalisation des actions et de leur évaluation.
Clémentine Gaultier
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