S’émanciper des maisons d’édition traditionnelles pour des revenus plus justes
Alors que le marché de la bande-dessinée se porte à merveille, les auteurs sont eux de plus en plus précaires. Certains décident alors, malgré les difficultés, de se tourner vers l’autoédition. En 2021, Lisa Mandel, après s’être autoéditée, s’inspire de son expérience pour fonder les éditions Exemplaires, à la répartition des revenus plus juste.
Créer des bande-dessinées, ça ne rapporte plus. C’est le constat que font en 2016 les Etats Généraux de la bande-dessinée en signalant que 36% des auteurs de bande-dessinée vivent en-dessous du seuil de pauvreté. En effet, alors que les auteurs vendent moins (car le marché se diversifie d’un plus grand nombre de titres), ceux-ci continuent de ne gagner qu’entre 8 et 10% de l’argent généré par leurs livres. « Je ne comprenais pas où allait l’argent, parfois ça manquait complètement de transparence », affirme à ce propos Lisa Mandel, qui pendant plus de quinze ans a été publiée chez de grands éditeurs.
Ces difficultés poussent de nombreux auteurs à s’autoéditer, un procédé de plus en plus courant, notamment avec l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux qui permettent à l’auteur de réaliser sa promotion lui-même. Effectivement, en s’autoéditant les revenus augmentent largement, avec une plus grande part des revenus du livre. Néanmoins, la charge de travail augmente et nécessite de mobiliser des compétences que l’auteur ne possède pas forcément. C’est cette fragilité dans ses compétences de maquette, de design, d’impression, qui ont poussé Lisa Mandel à s’entourer au fur et à mesure de son projet. « A la fin de la création du livre je me suis rendu compte que j’avais fait appel à toute une équipe de personnes qui avaient le savoir-faire pour chaque phase du livre », témoigne-t-elle.
Les « Editions Exemplaires »
Cette expérience d’autoédition donna à Lisa Mandel l’idée de créer une maison d’édition qui remettrait l’auteur au centre de son œuvre, tout en l’entourant des professionnels nécessaires à la publication d’un livre. Chaque acteur participant à la création de l’ouvrage serait alors payé au pourcentage. Un site de crowdfunding (financement participatif de projets) dédié à la maison d’édition a alors été monté, pour que les projets d’édition soient viables et éviter la surimpression. Ainsi, de 8%, l’auteur gagne désormais 50% du produit de la vente. En outre, les contrats ont été faits bien plus en adéquation avec les auteurs, en privilégiant un plus grand respect des droits.
Lisa Mandel a fondé les éditions Exemplaires en réaction à la situation des auteurs qui devenait de plus en plus précaire, leurs revenus ne cessant de baisser. Voyant qu’elle en avait la possibilité, elle a alors décidé de « faire quelque chose pour [sa] communauté ». Cette nouvelle structure, à l’image de l’autoédition, permet de contourner les maisons d’édition déjà instituées. Lisa Mandel souhaite « créer un dialogue avec les grands éditeurs », en leur montrant qu’il est possible d’augmenter la part des auteurs, contrairement à ce qu’ils lui affirment depuis plusieurs années. La solution n’existait pas, il a fallu la créer.
Un nouveau modèle
Le fonctionnement des maisons Exemplaires, où le crowdfunding représente la majeure partie des ventes, nécessite une grande présence sur les réseaux sociaux. Ce sont alors les auteurs aux grandes communautés internet qui réussissent le mieux.
Malheureusement, ce modèle ne peut se généraliser. « Ça ne peut pas être un modèle global, car tous les auteurs ne sont pas fan des réseaux sociaux, ne veulent pas faire leur autopromotion en permanence et ne peuvent pas publier leur travail de manière feuilletonnante. » De plus, si le public est prêt à soutenir un nombre relativement limité d’auteurs dont il aime le travail, il faut prendre garde à ne pas saturer ce marché. En outre, le système tend à délaisser les libraires en faisant la part belle des ventes lors du crowdfunding, donc en ligne.
Néanmoins, les auteurs s’accordent pour dire que même dans des cas où ils vendent moins de livres, leurs revenus sont largement supérieurs à ce qu’ils gagnaient chez les maisons d’édition traditionnelles. Ainsi, Exemplaires réussit la mission qu’elle s’était donnée : lutter contre la précarité des auteurs de BD.
Yanis Drouin
Zoom sur...
Le fonctionnement d’une maison d’édition traditionnelle
Une maison d’édition est une entreprise ou une association qui produit et diffuse des livres. D’après le syndicat national de l’édition, il y a environ 10 000 maisons d’édition, mais seulement une petite partie d’entre elles (10%) propose régulièrement des livres à la vente. Cela est dû au fait que la majorité des maisons d’édition sont de petites structures, qui ne publient pas régulièrement.
Le choix du livre :
Une maison d’édition reçoit beaucoup de livres, il y a plusieurs tris en fonction de la qualité et de sa ligne éditoriale. Ensuite un comité de lecteurs va sélectionner une petite quantité de livres à éditer, seulement 1% des auteurs sont édités (SNE). Une fois le livre écrit, la maison d’édition prend en charge toutes les dépenses, elle s’occupe de la correction, de la mise en page, et fait imprimer le livre.
Fabriquer et diffuser :
La maison d’édition est une entreprise qui doit réaliser du profit, elle va donc s’occuper de la promotion et de la diffusion pour que le livre soit disponible dans le plus de points de vente possible, et de sa distribution pour qu’il puisse être commercialisable (stockage, expédition, etc). La diffusion via les librairies est le canal le plus important, il représente 76% des ventes.
Et dans tout ça, que devient l’auteur ?
Il signe un contrat avec la maison d’édition, qui détermine les droits cédés à l’éditeur en échange de la production et de la commercialisation du livre, mais aussi sa rémunération. De manière générale, l’auteur reçoit une somme d’argent à la signature et des redevances pour chaque livre vendu. En moyenne un auteur touche entre 6% et 12% des droits d’auteur d’après le baromètre des relations auteurs / éditeurs, ce qui représente pour un livre vendu 22€ en librairie entre 1,32€ et 2,64€ par livre vendu.
De quoi est composé le prix d'un livre :
La composition du prix d’un livre n’est pas connue du grand public, il existe néanmoins des estimations comme celle du ministère de la Culture. Le graphique reprend ces chiffres et illustre la répartition moyenne du prix d’un livre hors taxe.
Au vu de leurs nombreuses missions, les grandes maisons d’édition touchent donc environ 56% des prix de vente d’un livre. Ce pourcentage varie en fonction de la taille des maisons d’édition, certaines font appel à des prestataires pour certaines étapes comme la fabrication, alors que d’autres sont plus indépendantes.
Léa Razafindrabe
Croâfunding : la première librairie consacrée à 100% à l'autoédition
La micro-librairie Croâfunding est bien loin de la librairie classique : elle ne propose que des ouvrages édités et distribués par leurs auteurs, en circuit court. KissKissBankBank, Ulule, Kickstarter… les plateformes de financement participatif sont nombreuses et c’est par ce biais désormais que certains auteurs propulsent leurs projets.
Entretien avec Xavier Lancel, fondateur et gérant de la librairie Croâfunding par Manoa Debande.